Sergiu Penegaru, poète de son état est également traducteur de textes français. Il voue une admiration sans borne aux auteurs français tels
Albert Camus,
Raymond Radiguet,
Lautréamont,
Gide mais aussi à
Tristan Tzara et surtout à son compatriote exilé en France,
Eugène Ionesco dont il traduit les pièces. Tant et si bien qu'il est même hanté en permanence par le seul personnage absent de
Ionesco, la fameuse cantatrice chauve. Mais dans la Roumanie communiste, la littérature et la culture en général sont contrôlées par l'Etat et l'on voit d'un mauvais oeil les traductions et la poésie de Sergiu que l'on juge peu patriotiques. Ses textes sont de plus en plus souvent refusés et un soir, alors qu'il se soulage sur la statue de Staline, il se fait jeter en prison. Dans sa cellule, un philosophe, un ancien ministre et un ancien magistrat tentent tant bien que mal, à l'aide de jeux de mots, de faire passer le temps. Sergiu entreprend de leur raconter de mémoire La cantatrice chauve. Les rires du groupe éveillent la suspiscion du directeur de la prison qui y voit un complot en train de se fomenter. D'ailleurs « La Cantatrice Chauve » n'est-ce pas un très bon nom de code ?
Dans un jeu entre réalité et rêve,
Matéi Visniec révèle l'absurdité du quotidien dans une Roumanie enfermée dans une idéologie poussée à l'extrême qui brime l'esprit. La pièce est à la fois un témoignage de cette période où les prisons regorgeaient d'intellectuels qui refusaient de se plier au patriotisme ambiant et un bel hommage à
Ionesco mais aussi au pouvoir de la littérature.
« A l'époque où je découvrais les pièces de
Ionesco, dans une Roumanie communiste où l'absurde quotidien rivalisait avec le théâtre de l'absurde, je découvrais en effet la liberté absolue et un outil extrêmement efficace de lutte contre l'oppression, la bêtise et le dogmatisme idéologique. Après avoir lu les pièces de
Ionesco, je n'ai jamais eu peur de rien dans ma vie. Plus que tout système philosophique ou livre de sagesse, c'est
Ionesco qui m'a aidé à comprendre l'homme et ses contradictions, l'âme humaine, la vie et le monde » écrit
Matéi Visniec dans l'avant-propos. Et ce paragraphe résume à lui seul l'essence de la pièce. Une pièce où l'on rit d'une absurdité qui effraie aussi, où
La Leçon et La cantatrice chauve fusionnent dans une scène hautement surréaliste, et où les
Rhinocéros imaginés par
Ionesco existent bien.
En refermant le livre, on n'a qu'une envie : découvrir de la sensation d'élasticité lorsqu'on marche sur des cadavres sur scène. Ah si, une autre aussi : lire ou relire tout
Ionesco… et
Visniec.
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