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Critiques de Alberto Moravia (264)
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Le Mépris

N°694 Novembre 2013.

LE MEPRIS – Alberto Moravia- Flammarion (1955).

Traduit de l'italien par Claude Poncet.



Le sujet de ce roman est celui du mariage d'un homme d'une trentaine d'année, Richard, un peu désargenté mais surtout fan de théâtre qui accepte pour vivre d'être scénariste de cinéma et d’Émilie ancienne dactylo et maintenant femme au foyer. Les deux premières années de cette union sont heureuses. Au départ, c'est un peu la vie de bohème mais la situation de Richard s'améliore vite avec de nouveaux projets de scénarios et le couple achète un appartement, une voiture... Peu à peu, il prend conscience qu’Émilie ne l'aime plus et cela le bouleverse puisqu'il n'a rien fait pour cela. Même si ce travail déplaît à Richard, l'éloigne de son épouse, il lui permet d'éponger les dettes du ménage. Petit à petit, le malaise qu'il vit au sein de son couple affecte son travail. Dès lors la question est simple : doit-il quitter Émilie ou abandonner son emploi pour la garder, est-ce l'absence d'enfant qui provoque cette atmosphère toxique ? Richard entame un dialogue mais ne parvient qu'à une affirmation de cette dernière : Émilie l'aime et veut qu'il garde son emploi, c'est à tout le moins ce qu'elle lui dit. Richard devrait être rassuré mais, imperceptiblement, il sent qu'elle lui ment, il l'interroge encore et de guerre lasse, à force de questions qui sont un peu une forme de harcèlement, son épouse lui avoue qu'elle ne l'aime plus, qu'elle le méprise et qu'elle veut le quitter sans pour autant mettre ce projet à exécution. Le lecteur ne peut pas ne pas supposer un adultère d’Émilie, mais il n'en est rien. Elle se révèle par ailleurs incapable de formuler la raison de ce désamour nouveau, toute l'écriture du roman étant basée sur le raisonnement de Richard, sur sa quête, sur ses interrogations. Dès lors, ils mènent deux vies parallèles et l'ambiance au sein du couple est délétère mais, des motivations d’Émilie, de ses aspirations et des raisons qui la pousse à agir ainsi envers Richard, nous ne saurons rien puisque tout se passe, comme une longue introspection, dans la tête du mari délaissé. D'autre part, Émilie nous est présentée comme une femme d'intérieur assez effacée, d'une éducation un peu sommaire face à un mari artiste et créateur. Moravia souligne par là le fossé qui existe entre les époux qui se sont mariés par amour sans considération de leurs aspirations réciproques. Une fois l'amour disparu, il ne reste plus rien que le vide et le mépris de la part d’Émilie.



Plus tard, Battista, le producteur, propose à Richard d'écrire un scénario sur le thème d'Ulysse. Il souhaite que son travail s'approche le plus possible de la poésie d'Homère parce que ce concept plaira au public alors que Rheingold, le metteur en scène, un Allemand proche de Freud, considère, au contraire Ulysse « comme un homme qui appréhende de revenir auprès de sa femme » et voit dans cette œuvre moins une expédition guerrière vers Troie et un voyage de retour de dix ans que le drame intérieur d'un homme qui souhaite fuir son épouse. Il soutient d'ailleurs que le roi d'Ithaque est parti en guerre moins pour délivrer Hélène que pour fuir son foyer, parce qu'il ne s'entendait plus avec son épouse Pénélope. Les deux visions s'affrontent donc et Richard, coincé entre eux, va devoir choisir mais le producteur qui n'aime guère la psychologie entend bien faire prévaloir son avis au seul motif que c'est lui qui finance le film. Cette ambiance de travail n'est guère favorable à la création d'autant que ce que vit Richard dans son couple s'apparente peu ou prou au scénario prôné par l'Allemand. Cette situation est soulignée par le procédé de mise en abyme. Ces quatre personnages se retrouvent à Capri dans la propriété de Battista et l'affaire se complique puisque qu’Émilie n'est pas insensible au charme de ce dernier et quitte son mari. Dès lors, Richard, trop prudent, trop servile peut-être puisqu'il dépend financièrement de Battista, se révèle incapable de vraiment réagir face à lui. Il ressemble ainsi un peu à cet Ulysse du scénario de Rheingold alors qu’Émilie campe sans le savoir, le personnage de Pénélope. Le metteur en scène ne se prive d'ailleurs pas de lui faire remarquer sa lâcheté par rapport à Battista, mais à mots couverts, en usant de la métaphore grecque, en interprétant le comportement d'Ulysse. Il lui suggère de faire comme lui, d'éliminer le prétendant de sa femme c'est à dire le producteur. Richard s'y refuse[«  En substance, j'étais l'homme civilisé qui dans une situation de caractère primitif, en face d'une faute contre l'honneur, se refuse au geste du coup de couteau, l'homme civilisé qui raisonne même en face des choses sacrées ou réputées telles »] et au lieu de cela Richard songe à se suicider sans pour autant mettre son projet à exécution. Émilie quant à elle finit par formuler enfin une explication à son attitude au sein du couple : Richard n'est pas un homme puisqu'elle suppose que, pour consolider sa situation financière, Richard a poussé sa femme dans les bras de Battista. Elle le méprise donc à cause de cela, même s'il n'en est rien. Son mépris serait donc né d'une méprise.



J'ai relu avec plaisir ce roman découvert, comme bien d'autres ouvrages du même auteur il y a bien des années. Il est l'occasion pour Moravia de se livrer à ce qu'il aime, c'est à dire à une fine analyse psychologique de ses personnages autant qu'à un essai brillant sur le manque d'amour au sein d'un couple. Il nous rappelle que tomber amoureux illumine la routine de ceux qui croisent Eros, mais il ajoute tout aussitôt que ce sentiment appartient aux choses humaines c'est à dire qu'il s'use, que ceux qui le font rimer avec « toujours » sont des menteurs ou des inconscients et qu'on peut facilement oublier ce sentiment par intérêt. J'ai apprécié l'écriture, la poésie des descriptions (notamment celles des paysages de Capri), la finesse des observations. Cela dit quel peut être le message de Moravia ? Voulait-il opposer l'intellectuel qu'est Richard à Battista présenté comme un être « primitif » juste préoccupé par des questions matérielles. Il désire Émilie, a les moyens de sa conquête et ne voit pas pourquoi elle se refuserait. De son côté, cette dernière qui n'aime plus son mari et le lui fait savoir se comporte moins comme une victime que comme une sorte de proie consentante, l'arbitre ou le butin de cette lutte entre deux hommes que tout oppose. Elle a peut-être aussi l'occasion de changer de statut social et entend ne pas s'en priver.



Ce roman est connu surtout depuis que Jean-Luc Godard en fit une adaptation cinématographique en 1963 avec Michel Piccoli et Brigitte Bardot. Moravia reste pour moi un écrivain majeur, sans doute un peu oublié. En effet le lit-on encore de nos jours ?



Hervé GAUTIER - Novembre 2013 - http://hervegautier.e-monsite.com
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L'Amour conjugal

Le narrateur se trouve au comble du bonheur, il a épousé la femme qu'il aime et vit avec elle une existence harmonieuse et paisible. C'est compter sans la jalousie qui va s'insinuer dans le couple et transformer ces moments de tranquillité en un enfer de plus en plus intolérable pour le mari... Évidemment à force de craindre l'infidélité, on la mérite, et cette découverte, superbement décrite dans une scène quasi surréaliste, plonge le narrateur dans un désespoir amer. Le bonheur peut-il exister sur cette terre ? Ne le détruisons-nous pas nous même à force d'en douter ? Moravia ou l'impossible paix de l'âme.
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L'ennui

Tout est dans le titre ; c'est un avantage.
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L'Amour conjugal

Alors que l’automne tire ses dernières cartouches avant que l’hiver ne nous achève, partons faire un tour du côté de la Toscane, en 1949, date à laquelle Alberto Moravia publie “L’amour conjugal”, dissection en parallèle du couple et de la création littéraire. Silvio, le narrateur, a épousé Léda et nourrit de sérieuses ambitions littéraires : simple critique, il se rêve auteur. Silvio se persuadant que la création doit s’affranchir de son attachement physique à Léda, un pacte sera donc noué : bien que retirés tous deux dans une grande bâtisse de Toscane, Silvio et Léda feront chambre à part le temps que le premier finisse son œuvre. Laquelle semble avancer à grand pas. Soudainement, Léda s’en prend à Silvio : son barbier, Antonio, aurait profité d’une coupe de cheveux pour tenter d’abuser d’elle. La suite… lors de votre lecture, bien entendu..



“L’Amour Conjugal” ou l’histoire d’un couple imparfait : une passion qui cède parfois la place à une “bonne volonté” blessant l’ego ; deux personnages friables, faillibles, malgré l’apparente force liée à leur position sociale ou à la dureté potentielle de leur regard. Une rencontre et une destinée tracés pour l’un, une intermittence des comportements pour l’autre ; une sincérité jamais (ou presque) démentie pour les deux. On ne peut dire, et c’est une des forces du roman, que le casting de départ était idyllique ; on ne peut dire pour autant, et c’est également une force, que le ver était, dès l’origine, dans le fruit. Non plus. Tant mieux.



L’œuvre se construit, peu à peu, entre littérature et sentiments, entre aveuglement et révélation, comme si finalement, l’amour conjugal, radeau frêle ou salvateur ballotté par les contextes, était une question de perception. Tordant avec bonheur le cou aux figures imposées de l’amour-passion ou de l’amour-soutien, Moravia met le doigt (et l’enfonce) sur un amour égoïste tributaire de l’amour-propre de chacune de ses parties. Tordant le cou à une bourgeoisie sûre d’elle-même (Silvio serait-il une relique d’une bourgeoisie comtienne de l’avant 1914 aux prétentions artistiques ?) et incapable, même dans l’intimité de la vie conjugale, d’accepter que cette dernière soit bel et bien un organisme vivant et non une nature morte.



Pour autant, on ne saurait tresser des lauriers à l’auteur sans critiquer une certaine complaisance envers sa propre intelligence. Délaissant de manière coupable sa dramaturgie en plein milieu du roman, il le laisse faire du surplace et néglige d’incarner les atermoiements de son personnage principal dans des actes. Il préfère alors se réfugier dans un registre didactique au risque de la répétition : ces chapitres parfois brillants, parfois patauds semblent ne contenter qu’un auteur soucieux de bien faire comprendre son propos, quitte à le désenchanter et/ou ôter une partie du plaisir de la lecture. Alors oui, on peut également (une fois la lecture achevée) voir dans ces incartades le reflet de l’enfermement de Silvio dans son rôle du “Silvio qui peut (et veut) tout comprendre et rationaliser”. Mais il n’empêche que cela nuit à la fluidité de l’œuvre ; du moins est-ce l’avis de l’humble auteur de cette chronique.



Ce n’est qu’après le deuxième tiers que le récit retrouve de son allant et que les qualités de conteur de Moravia s’épanchent à nouveau dans un terrain d’expression qui leur est plus favorable. Reprenant les rênes de l’action, on y voit que l’ego littéraire déçu et déchu de Silvio se double de la déconstruction de l’image d’une Léda évanescente, ailleurs ; la déconstruction de la “Léda selon Silvio” pour enfin voir émerger Léda, la femme qui agit et qui n’est plus expliquée. Car c’est en réalité la montée en vitalité, en incarnation de Léda qui est l’élément majeur de l’œuvre ; de simple objet littéraire dépeint comme une nature morte par son (wanna-be ?)auteur de mari (et l’auteur du roman), de sorte de muse aux humeurs changeantes, elle devient sujet d’action, être humain de chair, de boue et de sang. La mise en abyme devient défavorable au créateur que se veut Silvio alors qu’émerge la suprématie de l’humain, du vécu sur la machinerie rationnelle : Silvio serait-il une sorte de Jean de Florette qui aurait troqué ses théories sur les lapins pour celles sur les êtres, les hommes, les femmes et le couple ? Il reste donc beaucoup à apprendre.



C’est donc sur cette critique de la connaissance a priori que s’achève cette œuvre, qui, sans être la meilleure de son auteur, constitue néanmoins une excellente introduction – à la fois courte, facile d’accès et élégante – à son univers ainsi qu’une critique solide d’une bourgeoisie compassée.



T.M.
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Les Indifférents

Ce roman raconte l’histoire d'une famille bourgeoise déclassée. Les protagonistes sont la mère, la fille et le fils, ainsi que l'ancien amant de la mère de Leo, qui a maintenant posé les yeux sur sa fille, et la "petite amie" de la mère Lisa, brûlante de désir de séduire son fils. L'ambiance est comme dans les films de Visconti: une villa délabrée, une petite ville italienne dans la saison automne-hiver, des jeunes - beaux et condamnés, mais moins flamboyants par rapport aux personnages de Fitzgerald, et à côté d'eux se trouve un environnement sclérosé, qui ne connaît que l'égoïsme et la luxure.



La jeune génération est vouée à l'échec, mais ce n'est pas le detail le plus intéressant. Les actions réelles et les actes des personnages du roman sont autant racontées que leurs fantasmes, leurs rêves, leurs pensées, et ces rêves et ces pensées caractérisent mieux les personnages que leurs propres actes boiteux et impulsifs.



Malgré le fait qu'ils soient jeunes, les personnages principaux se trouvent dans une période de déclin - en d'autres termes, ils ont rejoint l'âge adulte, où la tromperie, l'hypocrisie, la luxure sont la norme. Tout le monde ne parvient pas à rompre avec les rêves d'une vie différente et à se réconcilier sans douleur avec la réalité. Moravia n'est pas resté indifférent à la romance de la nuit et des fenêtres des autres, vacillant sous la pluie dans l'obscurité - et cette note, une note de quelque chose de mystérieux, invitant à elle-même, située au-delà des limites de tout ce qui est familier et habituel, m'a le plus fascinée.



Il n'y a aucune certitude qu'il existe une autre vie, pleine de sens - à l'exception de ce point lumineux de la nuit, à l'exception d'une vue sur la ville, où des fenêtres sourdes et indifférentes se cachent sous les toits, où vous êtes attirés à regarder ... Mais tout cela est si éphémère qu'il se dénoue. Les rébus de la réalité dépassent le pouvoir d'un cœur saturé et fatigué de la monotonie. Ils abandonnent ... qui les blâmera, qui condamnera? Certainement pas nous, embourbés dans la vie de tous les jours, insensibles, indifférents ...
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L'homme qui regarde

Trois voies pour connaître le monde: la science, la littérature et le sexe. Un medium commun entre elles : le regard.



A travers le trio complexe que forment un père, son fils et la femme de ce dernier, Moravia jette les lignes de son récit, comme autant de hameçons...



Pêche inventive, complexe, intelligente et déroutante.



Le Narrateur, Dodo, professeur de littérature française sans grand renom, a un surnom ridicule, enfantin et régressif. Il est l'époux de la belle Silvia qui l'aime mais étrangement le quitte "pour réfléchir ». Tous deux vivent dans l'appartement du père de Dodo, émérite professeur de physique à la faculté, un vieux Don Juan provisoirement hors de course - encore que...- des suites d'un accident de voiture.



Entre le vieil homme, guetté par l'âge et l'impotence - à ne pas confondre avec l'impuissance- et l'homme jeune, empêtré dans son passé de rebelle et refusant honneurs et possessions matérielles, se joue une rivalité qui a le sexe pour emblème, pour terrain. Le sexe, le désir et la transgression. Silvia est en effet l’enjeu de cette lutte mortifère.



Le vieil homme est un scientifique, son fils un littéraire : chacun a sa grille pour analyser le conflit immémorial entre père et fils, dans le tissu compliqué des relations humaines.



Etrangement, avant même de centrer son inquiétude sur ce problème intime et douloureux, c’est la catastrophe nucléaire qui obsède le narrateur : il voit des champignons atomiques s’ouvrir comme de monstrueux parachutes au-dessus de la coupole de Saint-Pierre de Rome.



Sa grille de linguiste – et le désordre amoureux qu’il est en train de vivre - lui font bientôt voir une parenté étroite entre « fission » et « fente ».. La catastrophe nucléaire redoutée serait apparentée à celle qui menace son couple : la curiosité scientifique pousse à intervenir, pour la briser, dans la matière même et la créativité littéraire offre ses points de vue voyeuristes sur ce « coquillage pâle et rose », pour en surprendre les secrets, en déchiffrer les oracles…



J’ai lu avec fascination ce récit limpide, mais ô combien complexe, pimenté de quelques scènes d’un érotisme raffiné- on convoque Mallarmé, Baudelaire, Proust, Hérodote, ou les peintres de la Renaissance italienne- les scènes les plus crues sont toujours entrevues par l’entrebâillement d’une porte, dans le secret d’une bibliothèque, d’un bureau ou d’un cabinet particulier.. faisant du lecteur- ou de la lectrice- un(e) scopophile consentant(e) – le mot voyeur est trop vulgaire pour une quête aussi exigeante de la vérité.



La fin m’a surprise : une sorte de retour à la case départ inattendu- et pourtant tout le parcours intellectuel et érotique des protagonistes a profondément modifié la donne. Même si le mystère des décisions humaines reste entier.



Il faut réfléchir davantage, semble nous dire Moravia. Pas question de vous délivrer un prêt-à-penser des relations homme-femme ou des modes de règlement du conflit oedipien…Débrouillez-vous avec les outils à votre disposition : lisez, parlez, écoutez, mais surtout regardez, de tous vos yeux, regardez…

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L'ennui

Un livre étonnant. D'un côté, le sentiment d'être face à une histoire relativement "médiocre", celle d'un "amour" non réciproque et purement physique... Et d'autre part, des phrases magnifiques et une vie intérieure remarquablement décrite et "analysée".

L'ennui... un sentiment attaché à l'absurde et à l'angoisse, envahissante,

un beau roman de Moravia.
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Le Conformiste

Marcello ! Non, ce n'est pas celui qu'Anita Ekberg poursuivait de ses pulpeux atours autour de la fontaine de Trévi, aux grandes heures du cinéma italien. Ce Marcello-là, n'a aucune disposition pour la Dolce Vita. Enfant, il a été persécuté par ses camarades d'école qui le trouvait efféminé. Il se sent différent, fait preuve de cruauté vis-à-vis des animaux et échappe de peu à un pédophile. Quand on se sent différent, que les autres vous le font méchamment comprendre, il est très difficile d'accepter sa différence. Marcello aspire à rentrer dans le rang et à la normalité la plus banale. Il fera tout pour se conformer à la norme, sociale, sexuelle, affective, politique. Et lorsqu'il devient un obscur mais ordinaire fonctionnaire, dans cette Italie de la fin des années trente, cela signifie aussi se compromettre et prêter main forte (ou faible) aux basses besognes d'un régime dictatorial.

« Dans son désir de se soumettre à une norme quelconque, il n'avait pas choisi celle de la religion chrétienne qui défend de tuer, mais bien une autre, toute différente, politique celle-là et de fondation récente, à laquelle le sang ne répugnait pas. »

C'est glaçant, d'autant que le personnage n'éprouve en général, aucune émotion, n'a d'empathie pour rien ni personne, même pas pour le fascisme et ses dirigeants sur lesquels il ne se fait aucune illusion. Il est fasciste parce que c'est la norme et parce qu'il éprouve… «Une aspiration à être normal; une volonté d'adaptation à une règle reconnue et générale; un désir de ressembler à tous les autres puisque, être différent signifiait être coupable. »

Et si nous tentions, cinq minutes, de quitter le conformisme qui cantonnerait ce roman à une énième condamnation du fascisme. Oublions un peu le fascisme, il appartient au passé, même s'il renaît perpétuellement sous d'autres formes, dans d'autres lieux, en se drapant d'autres oripeaux, avec la même bêtise, la même lâcheté et les mêmes bassesses. Ce serait, à mon sens, particulièrement réducteur pour ce roman, à l'écriture fluide et à la lecture facile, qui mérite mieux que quelques larmes de crocodile à verser sur un passé tragique : «C'était donc cela le passé : ce vacarme devenu silence, cette ardeur désormais éteinte auxquels la matière même du journal, ce papier jauni qui, avec les années, s'effrite et tombe en poussière, prêtait un caractère vulgaire et médiocre. le passé était fait de violences, d'erreurs, de duperies, de futilités, extravagantes et qui assourdissent… seules choses que, jour par jour, les hommes trouvaient dignes d'être publiées et transmises à la postérité. La vie normale et profonde était absente de ces feuillets… »

C'est avant tout un roman sur la différence, la culpabilité, le refoulement, le besoin d'être accepté, d'être considéré comme normal, d'appartenir au groupe et, pour finir, sur le manque d'empathie.

« Et se découvrir insensible, c'était se découvrir guéri. » C'est bien souvent, ce manque d'imagination et d'empathie, qui conduit des individus ordinaires, assurés qu'ils sont d'être en conformité avec les autorités ou l'air du temps, à se conduire, vis-à-vis de ceux qu'on leur a désigné comme différents, comme la lie de l'humanité. C'est autant valable pour les sicaires nazis ou mussoliniens, que pour les nervis des goulags soviétiques et les égorgeurs d'otages ou les crucificateurs d'aujourd'hui.

Mais quid de l'homo occidentalus qui écrit ce billet ou qui le lit en cet instant ? Il n'a pas de sang sur les mains, mais est-il, pour autant, prêt à accepter ou à cultiver sa différence. Ne ressent-il pas le même besoin de se conformer ? N'est-il pas ravi de penser ce que la majorité pense (les médias sont là pour penser à votre place), sans s'être trop documenté ni interrogé ? N'est-il pas ravi de porter les mêmes vêtements, de manger les mêmes repas que ses voisins ou de faire un cadeau à son conjoint le 14 février en même temps que tout le monde ? N'est-il pas heureux de s'en aller chanter, hurler, conspuer et insulter dans un stade, qui l'arbitre, qui l'adversaire, qui le joueur qui ne se conforme pas à ce qu'on attend de lui ? Aussi anonyme qu'on peut l'être, perdu dans une foule, ne se sent-il pas assez fort et invulnérable pour ne pas résister à la tentation de se montrer sous un jour dont il aurait honte s'il était tout seul ?

N'accablons pas (trop) le vulgum pecus car l'Epoque est, elle-aussi, à la conformité, si ce n'est au conformisme. Ces normes énormes dont on finirait par se demander si leur seul but n'est pas d'assurer la subsistance d'une armée de normeurs s'acharnant sur le dos de normés redoutant tous de ne plus être conformes. Tout cela est-il bien normal ? Attention, car, dans l'industrie, les produits non conformes vont au rebus. le Conformisme n'est-il pas un des symptômes d'une société totalitaire ?

Allez, je dois vous quitter, on m'attend pour le Contrôle technique. Pourvu qu'ils ne trouvent rien d'anormal.

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Agostino

La curiosité littéraire nous entraîne parfois dans des domaines que nous aurions mieux fait d’éviter. C’est ce qui m’est arrivé avec ‘Agostino’. Je me doutais que le style de Moravia ne me correspondait pas, j’ai tout de même voulu vérifier. Et certes son écriture est belle. Mais ça ne fait qu’empirer les choses. Car le contraste n’en est que plus violent entre la forme et le fond.



C’est avec une précision et une rigueur méticuleuse qu’il s’attache à décrire l’adolescence dans tout ce qu’elle peut avoir de plus malsain et de plus tordu. La fascination du héros pour sa mère, qui peu à peu se transforme en attirance sexuelle. Sa relation avec la bande de mauvais garçons, auxquels il sert de souffre-douleur, et que pourtant il s’obstine à fréquenter avec délectation. Sa balade seul en barque avec ce qu’on nommerait aujourd’hui un pédophile, et auquel il récite des poèmes pour calmer ses appétits…



Il est sûr qu’en ce qui me concerne, j’ai toujours considéré l’adolescence comme une période particulièrement moche. Mais il y a façon et façon de présenter les choses, et mettre autant de sérieux à décrire des situations aussi malsaines me dépasse. Je comprends qu’on ait envie d’explorer l’âme humaine, y compris ces parties-là ; mais pour moi, elles m’attirent autant qu’une friche industrielle polluée au PCB. Un domaine qui a aussi ses amateurs, du reste.



L’un des très rares livres que je n’ai pas réussi à terminer, et le seul qui soit tombé directement de mes mains dans la poubelle, après avoir tenté sans succès de le recaser à droite ou à gauche.
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Le petit Alberto

Le petit Alberto est un entretien entre Alberto Moravia et Dacia Maraini, écrivaine et deuxième femme de l'auteur. Celle-ci lui pose des questions sur son enfance et la naissance de sa vocation d'écrivain.

Moravia ne parait pas avoir toujours envie de répondre et les questions sont parfois insistantes, voire intrusives, surtout celles qui concernent la mère de l'écrivain et les relations qu'il entretenait avec elle.

Dacia Maraini semble vouloir l'entraîner sur le terrain de la psychanalyse mais l'écrivain n'est pas prêt à jouer le jeu. Il répond simplement aux questions, de manière assez factuelle, sans vraiment entrer dans les confidences.

Il nous relate une vie bourgeoise dans une famille installée à Rome dont le père architecte était originaire de Venise et la mère dactylo au moment de son mariage était issue d'une famille modeste d'Ancône. Il nous propose deux portraits assez fascinants de ses parents : le père, secret, sauvage, qui ne parle à personne et que l'on qualifierait aujourd'hui de "psychorigide", s'emportant au moindre incident, et la mère, en quête de respectabilité et de conformisme, velléitaire et un peu mythomane, qu'il compare à plusieurs reprises à Emma Bovary.

Moravia se décrit comme un étranger dans cette famille qu'il considère comme normale, lui étant, à ses yeux, anormal. Il est doté d'une hypersensibilité qui, paradoxalement, l'amène à se couper des autres et à leur être indifférent, Les indifférents étant le premier roman qu'il publie à l'âge de 19 ans, sans avoir pratiquement jamais été à l'école.

On se demande, à la lecture de cet entretien, sur quoi repose la genèse d'un écrivain aussi talentueux : une enfance solitaire dans une famille atypique, une longue maladie qui l'a tenu éloigné du système scolaire, un goût précoce pour la lecture, l'histoire et les histoires, les langues - le français était parlé à la maison -, un rapport particulier au temps, à l'espace et à la réalité ?

Si l'entretien avec Dacia Maraini ne nous donne pas de réponses et nous laisse un peu sur notre faim, celui qui sert de postface avec René de Cecatty son interprète, bien que court, a plus de profondeur. Il se rapproche de sa Brève autobiographie littéraire, rédigée également sous la forme d'un entretien.
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L'Amour conjugal

La lecture de ce court roman n’est pas fluide et cela ne vient pas de l’écriture qui, elle, est fluide. J’ai eu un peu de mal à rentrer dans ce court roman dont le personnage central-narrateur, Silvio Bardeschi, se présente sous un jour peu flatteur : un bourgeois cartésien assez infatué de sa personne, amoureux certes, mais qui nous dépeint son épouse Leda comme il le ferait d’une nature morte. Il l’aime mais est plein de condescendance quand il en parle, en particulier de ses compétences intellectuelles. Leda découvre qu’il a quelques ambitions d’écrivain et l’encourage, y compris quand il se met à penser qu’un peu d’abstinence l’aiderait à écrire. Le récit commence à prendre tout son sel car il s’agit d’une mise en abyme puisqu’il veut écrire une nouvelle intitulée L’amour conjugal sur le couple qu’il forme avec Leda. Silvio reste tout aussi peu sympathique, égoïste, ne voulant pas sacrifier son petit confort personnel en renvoyant son barbier. Ce passage central du livre est assez lourd, Silvio s’étale complaisamment sur ses atermoiements et ses rationalisations. Ce que le lecteur n’apprécie qu’une fois le livre refermé et la fin de l’histoire connue. Dans le dernier tiers du livre Leda, non sans l’avoir subtilement averti, cède au barbier. L’ego de Silvio, déjà mis à mal du côté littéraire, en prend un coup. Il y a un petit quelque chose du vaudeville dans cette histoire, mais qui porte autant sur la création littéraire que sur la vie de couple. Il y a du cynisme sur le couple dans ce court récit, mais aussi un brin d’optimisme sur l’avenir du couple une fois les masques tombés si chacun accepte l’autre tel qu’il est. La fin du roman, plutôt brillante, rattrape les débuts qui étaient moins agréables à lire.
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L'Amour conjugal

Cela aurait pu s'appeler "les illusions perdues", mais un certain Balzac s'est brillamment approprié le titre ! Donc Moravia a intitulé son ouvrage "l'amour conjugal".

Cela tombe bien car c'est le titre qu'a choisi Silvio pour la nouvelle qu'il écrit.

Quel homme heureux que Silvio ! Fou amoureux de sa femme Leda, et certain d'en être aimé, il se sent pousser des ailes, Silvio.... En fait, non, il se sait simplement capable de sublimer son amour par l'écriture. Par le passé, il a déjà tenté d'écrire, mais sans succès. Et son esprit critique acéré lui a bien fait sentir l'inanité de ses efforts littéraires.

Mais maintenant, tout est différent. Porté par l'amour de Leda, il le tient son chef d'oeuvre ! Il sera écrivain, il est écrivain.

Dans le calme de sa thébaïde, le tranquille refuge que le couple s'est choisi, il écrit fiévreusement, se conformant strictement à un schéma d'existence rigoureusement établi, faisant fi de tout ce qui peut contrarier l'acte créatif auquel il s'adonne.

Si Moravia épingle avec humour et dérision l'existence étriquée de bourgeois aisés, oisifs et improductifs menée par Silvio et Léda, la critique sociale n'est pas pour autant le sujet de cet ouvrage.

Non, le propos de Moravia est autre. Il étudie, analyse les moindres pensées et actions de son héros. Dans cet exercice périlleux, il fait la preuve d'un savoir-faire exceptionnel car il est doué d'un talent remarquable pour décortiquer les méandres capricieux de l'âme humaine, ici en l'occurrence celle du mâle humain car Léda n'apparaît, ou presque, qu'à travers l'idée que son mari se fait d'elle.

Et là, les illusions engendrées par l'amour prennent un relief saisissant. On ne voit que ce que l'on veut voir en ignorant trop souvent les signes, certes minuscules, mais pour autant bien réels semés par l'autre autour de lui et que Silvio, tout à sa passion, celle, amoureuse, qui le lie à Leda, et celle, créatrice, qui l'attache à l'oeuvre en cours, refuse de considérer.



Moravia voit tout, lui, sait tout de l'amour conjugal ainsi que de la création littéraire et il nous le fait âprement ressentir, ce qui, au final, laisse au lecteur un goût bien amer.

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Le Mépris

On se demande pourquoi, de nos jours, pratiquement aucun écrivain ne sait écrire comme Moravia.

Un auteur qui aurait vu, comme Moravia, autant de ses écrits devenus des films.

Si ce livre force l'admiration, c'est par son style à la fois naturel et fluide, par cette intimité qui se crée entre le lecteur et son auteur, par la qualité des descriptions physiques et psychologiques. La finesse avec laquelle l’auteur analyse chaque personnage, en faisant s’exprimer le héros perdu dans ses réflexions et sa femme qui peu à peu se détache de lui. a quelque chose d’un Flaubert et me touche profondément.



Par rapport au film de Godard, la différence est grande. Les images et le jeu des principaux acteurs rachètent la pauvreté du scénario, sa mauvaise adaptation, en se demandant si Godard a bien compris le roman...

La musique il est vrai, de Georges Delerue, ajoute un peu de grandeur à ce film.



Pour en revenir au roman, il est la signature d'un grand génie littéraire, qui semble être peu lu de nos jours, malgré le succès des nombreux films qui ont été tournés. À croire que les lecteurs n'aiment que les daubes et « méprisent » ce qui est admirable. J’espère me tromper.
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Le Conformiste

On aurait grande peine a identifier la fêlure originelle, celle qui entraîne le (anti) héros de Moravia dans cette quête de normalité. L'auteur nous glisse dans la peau du fasciste, ou plutôt, de son bras armé. L'écriture est délicieuse, précise, riche de cette capacité de nous faire appréhender toute la complexité du personnage, pourtant « détestable », qui nous est présenté ; toute la complexité de l'âme humaine, pour ainsi dire.
Lien : https://bw.heraut.eu/user/Ba..
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Agostino

L'été des treize ans, la plage, une mère adorée, un jeune homme pour la courtiser, une bande de gamins effrontés, la découverte de la sexualité et la perte définitive de l'innocence...

Voilà en une centaine de pages, le programme offert par Moravia, qui de sa plume toujours aussi talentueuse, détaille magnifiquement les tourments d'un jeune garçon au seuil de l'adolescence.



Jusqu'à présent sa mère pour Agostino était une idole respectueusement adorée et le jeune garçon, se montrait fier de se pavaner sur cette plage aux côtés de cette belle femme, admirée de tous, du moins à l'avis de son fils. Mais tout va changer à l'arrivée d'un jeune homme aux charmes duquel sa mère n'est évidemment pas insensible.

Jaloux, ulcéré, le garçon va s'acoquiner avec une bande de jeunes voyous, petits pêcheurs mal embouchés qui vont lui dessiller cruellement les yeux en lui assénant en réflexions brutales et vulgaires les réalités de la sexualité.



Le choc va être d'une extrême violence pour Agostino. Il va prendre conscience, à travers la banalité des gestes anodins du quotidien, de l'animalité de sa mère, qui, de déesse inaccessible, va brutalement descendre de son piédestal pour être réduite à l'état de femelle, bouleversant irrémédiablement le rapport que le garçon entretient avec elle.



Ce court ouvrage dégage une violente sensualité, et la découverte par Agostino de la féminité, administrée de manière aussi abjecte par la bande de petites crapules, signe pour lui la fin des illusions de pureté.

Cruel apprentissage !

"La chair est triste, hélas ..." et Moravia s'y entend pour démonter le monde des apparences.

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L'Amour conjugal

Le narrateur est un riche oisif qui rêve de devenir écrivain. Son récent mariage lui donne le courage nécessaire de réaliser ce souhait : sa femme le pousse en effet à s’investir dans ce projet. Ils se retireront dans la campagne, isolés du monde, jusqu’à ce que le livre soit prêt.



Entraîné par une imagination débordante, il se voit soudain pétri de talent, et sa femme devient la muse qu’il attendait depuis toujours. Obnubilé par son futur livre, il lui annonce même la fin de leurs rapports sexuels, qui pourraient perturber son rythme de travail. Convaincu de l’amour qu’il porte à son épouse, et persuadé que cet amour est forcément réciproque, d’autant plus qu’il est sacralisé par un mariage récent, notre écrivain en herbe ne réalise pas qu’il s’enferme dans une vision du monde de plus en plus en décalage avec la réalité.



Livre un brin cynique, qui montre que l’amour qu’on pense éprouver pour quelqu’un n’est parfois que nos désirs plaqués de force sur quelqu’un d’autre, qui se laisse rarement enfermer dans le rôle qu’on lui assigne. Mais aussi qu’un réel amour peut naître une fois que les masques sont tombés et qu’on accepte l’autre tel qu’il est.
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Le Mépris

Le narrateur, Riccardo Molteni, est un jeune homme qui rêve de devenir écrivain et dramaturge. Mais il a épousé il y a deux ans Emilia, il en est très amoureux et après avoir vécu avec sa femme dans un meublé, il accepte un travail de scénariste que lui propose le producteur Battista même si ce travail ne lui plaît guère car cela va lui permettre d'acheter, à crédit, l'appartement dont rêve Emilia. Quand ils emménagent dans leur nouvel appartement, Emilia annonce à Riccardo qu'elle préfère qu'ils fassent chambre à part. Riccardo va n'avoir de cesse de comprendre pourquoi quelque chose a changé dans l'attitude d'Emilia à son égard. Une fois le premier scénario achevé, Battista propose à Molteni de travailler sur un nouveau film, avec le réalisateur allemand Rheingold, qui sera une adaptation de l'Ulysse d'Homère. Il a peu envie de s'engager dans ce travail mais Battista propose que lui-même, Rheingold, Riccardo et sa femme se retrouvent quelques jours dans sa villa de Capri pour travailler sur le scénario d'Ulysse. Riccardo finit par accepter et ils se retrouvent tous ensemble dans une belle villa qui fait face à la Méditerranée.



La grande force du roman tient dans le parti-pris de l'auteur de nous raconter l'histoire uniquement au travers de ce que perçoit, ressent, comprend le narrateur. le lecteur est dans la tête de Riccardo Molteni et uniquement là. Et nous assistons, impuissants, à la dérive de cet homme amoureux qui voit son amour se défaire avec comme torture supplémentaire le mépris que sa femme avoue ressentir pour lui. Ses efforts pour rationaliser cette situation, pour argumenter, pour contre-attaquer, pour sauver sa mise peuvent nous sembler pathétiques, voire méprisables, mais on peut y voir aussi une certaine forme d'héroïsme, cet héroïsme des faibles que défendait Romain Gary.



Histoire dans l'histoire, Moravia a placé son roman sous le signe d'Ulysse. Rheingold, le réalisateur allemand, voit dans cette épopée le récit d'un homme qui fait tout pour ne pas rentrer chez lui, car, selon lui, Ulysse et Pénélope ne sont pas heureux en ménage. Ulysse serait même méprisé par Pénélope car, avant de partir pour la Guerre de Troie, il n'aurait pas eu le courage de chasser les prétendants qui tournaient autour de sa femme. Bien-sûr Molteni s'insurge contre cette version psychanalytique du livre d'Homère. Mais elle l'obsède néanmoins et . Emilia, spontanée, franche, entière et prévenante est le personnage fort du roman, alors que Riccardo ploie et s'effondre. A travers les yeux de Riccardo, nous assistons, dans un livre écrit en 1954, au passage du sceptre entre l'homme et la femme. Pénélope peut bien désormais se passer d'Ulysse.

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Le Mépris

Le mépris est un roman maîtrisé d'une grande intelligence.



Ricardo, le narrateur, prend soudainement conscience que sa femme ne l'aime plus, qu'elle le méprise. Il va s'épuiser à rationaliser cet éloignement, étouffant ainsi son épouse (et le lecteur) par un questionnement continu. Noyé dans son analyse, il ne perçoit pas ses fautes : ses renoncements, son indécision, sa lâcheté. Il n'a ni le courage de se résigner, ni celui de casser le cours des évènements. Il reste cet intellectuel pathétique qui a vendu son talent et (symboliquement) sa femme pour des besoins bourgeois.



Les psychologies de l'homme, de la femme et du couple sont finement détaillées et parleront à celles et ceux qui ont vécu ce type d'épreuve. Le héros est obnubilé par certaines réflexions qui peuvent alourdir le récit. L'analyse de Moravia est d'une subtilité remarquable.
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Le Mépris

Deux ans de mariage, deux ans de bonheur pour Emilia et Riccardo. Et puis, plus rien.... Mais que s'est-il passé ? comment une pareille chose a-t-elle pu se produire ? Pourquoi Emilia se comporte-t-elle ainsi ?

Riccardo Molteni, dévasté, se livre à une douloureuse et méticuleuse introspection pour tenter de comprendre la désaffection de son épouse et pire ... le mépris qu'enfin elle avoue éprouver pour lui !

Il questionne, harcèle sa femme, se perd en conjectures, s'interroge sur les raisons possibles ou probables de son changement d'attitude, ne comprend rien, souffre, reprend espoir, analyse scrupuleusement, bouscule Emilia, pleure, demande pardon .... mais pourquoi ce mépris ?



Avant le mépris, il y a le talent. Et celui de Moravia éclate à chaque page, à chaque ligne, ou presque !



Le climat devient étouffant, l'air irrespirable et cela, sous le soleil printanier de Capri, au bord de cette mer dont la couleur est un véritable enchantement, si calme et belle, dans ce décor de rêve fait pour le bonheur et où le malheur et le chagrin ravagent cet homme éperdu, se noyant dans ses funestes interrogations.



D' Emilia, nous ne saurons presque rien.

Nous n'aurons d'elle que l'image que veut bien nous en donner son mari, autant dire donc un portrait bien incomplet.

Nous ne verrons d'elle que son agacement et ne saurons jamais ce qu'elle pense ... et elle n'apparaîtra que comme l'inaccessible déesse qu'elle devient pour Riccardo.



Du coup le lecteur se sent frustré. Il voudrait bien savoir ce qu'il y a dans la tête de cette femme, pourquoi elle se met à mépriser un homme qui l'aime tant ....

et c'est aussi là que réside le talent de Moravia. Nous n'en connaîtrons pas plus que son héros et demeurerons donc amarrés à la vision forcément tronquée du mari !



Moravia nous impose, à la force de son verbe puissant, de ses évocations précises, une impitoyable analyse du couple, âpre, cruelle, désespérante ! Il nous en conte l'impossible entente, en détaille la chimérique harmonie, en trace le portrait glaçant tandis que Riccardo décortique avec obstination, vient et revient incessamment sur les raisons d'un échec qu'il ne peut pas comprendre, et que le lecteur haletant se coule, inquiet, bouleversé au fond de l'âme du héros.

Passionnant !

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Nouvelles romaines

Bien loin de l'aboutissement et des grandes problématiques de ses romans, Moravia, se contente dans ces nouvelles de décrire des situations de la vie quotidienne romaine dans les années 50. Pas inintéressant mais vites parcourues. Lues en VO pour l'apprentissage de la langue, il ne m'en reste que peu de souvenirs.
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