Ce qui m`a le plus impressionné chez les enquêteurs de cette unité, c`est la distance neutre et polie qu`ils parviennent à placer entre eux et leur « sujet », c`est-à-dire les victimes d`overdose et les familles en quête d`explications. Les membres du groupe vivent dans l`intimité quotidienne de la mort et peuvent être appelés au milieu de la nuit pour prendre un cadavre en charge : le plus souvent, ce n`est pas pour ces raisons qu`on entre à la brigade des stups. C`est sans doute ce qui explique le profil atypique de ces enquêteurs : Patrick, le chef de l`unité, voulait être vétérinaire, il a découvert sa vocation sur le tard – aujourd`hui, il ne s`imagine pas faire un autre métier ; Mika a décroché une maîtrise de chimie à Lyon, puis il est entré dans la police judiciaire car la vie de laborantin l`ennuyait ; Émilie, quant à elle, connaît le 93 underground comme sa poche, elle est sans doute l`une des seules brigadières de France qui slame à ses heures perdues… Cette équipe attachante officie dans les régions intermédiaires de la capitale, entre fièvres, délires et convulsions.
Mon statut aux côtés de l`unité était assez flou : parfois on me présentait comme un vieux stagiaire du Parquet, d`autres fois comme un « collègue de la brigade ». Mais ma présence intriguait toujours les suspects : j`étais la seule personne à les vouvoyer après être entré chez eux au petit matin à coup de bélier… Dans le domaine des procédures judiciaires, il est impératif d`être d`une discrétion absolue, car le monde qui rassemble policiers, dealers et journalistes est minuscule. Au 36, on collecte beaucoup d`informations intéressantes et confidentielles sur ses contemporains… Quelques années avant mon immersion, l`un de mes copains d`enfance, devenu toxicomane, a ainsi été arrêté par l`unité Surdoses. Je me suis par ailleurs rendu compte que des amis d`amis, dealers à la petite semaine, connaissaient bien ce groupe du 36. Plus improbable encore : pendant l`année que j`ai passée au sein de l`unité, une overdose est survenue dans ma propre rue, à vingt numéros de mon immeuble… Un Chilien qui avait succombé à une injection de cocaïne par intraveineuse. Son visage n`était plus qu`un amas d`asticots… Au sein d`une unité de police, on apprend vite à être méfiant et à cloisonner les mondes dans lesquels on évolue.
J`ai découvert l`univers de la police en garde-à-vue, depuis des cellules de dégrisement… Lorsque j`étais plus jeune, buvant pour faire la fête, je perdais totalement la mémoire et cherchais désespérément des ennuis dans la ville, tel un spectre querelleur et amnésique… Il m`est souvent arrivé de me réveiller en cellule sans avoir aucune idée des événements qui m`y avaient conduit… Je prenais connaissance de mes méfaits au fil des auditions. C`est une impression atroce, comme si on était foutu à la porte de sa propre vie. J`ai totalement arrêté de consommer de l`alcool depuis plusieurs années, ce qui m`a fait économiser beaucoup de temps, d`argent et de paroles légères. De ces virées nocturnes, j`ai gardé une sorte d`empathie pour les suspects de l`unité qui portaient des menottes : je n`ai jamais oublié que j`aurais pu me trouver à leur place. Une seule journée dans un service de police offre une matière romanesque d`une étonnante richesse. Comme au début de l`écriture de Surdose, je garde une curiosité intacte pour les tranches de vie qui se dévoilent au fil des procédures.
La loi française sur les stupéfiants est en effet infantilisante, archaïque, incohérente et schizophrène. Elle reconnaît explicitement que les individus qu`elle punit sont malades. Par ailleurs, dans le texte – « de jure » –, elle ne fait aucune différence entre l`héroïne et le haschisch. Cette loi de 1970 ne peut que faire figure de mystère pour les adolescents d`aujourd`hui : pourquoi certaines drogues, l`alcool ou le tabac, sont-elles légales ; et d`autres, le haschisch ou les champignons hallucinogènes, sont-elles considérées comme illicites ? Il s`agit d`une classification arbitraire, qui repose sur de simples habitudes culturelles. Les lois sont d`autant plus respectées qu`elles sont comprises par les citoyens : c`est loin d`être le cas au sujet des drogues… Depuis les années 1970, la répression contre les stupéfiants a amplement montré ses limites : elle se résume à vider l`océan à la petite cuillère.
Le seul exemple du Portugal, qui s`est contenté de dépénaliser l`usage des drogues en 2000, prouve la vanité de la répression : dans ce pays, le nombre d`héroïnomanes a été divisé par deux. Surtout, les toxicomanes ne sont plus stigmatisés comme des criminels. Par conséquent, ils se tournent plus volontiers vers les structures médico-sociales susceptibles de les aider. Beaucoup de drogues peuvent être dangereuses en l`absence de prévention : les laisser dans l`ombre de la clandestinité et de l`ignorance ne résout rien… Il faudrait un peu plus de courage politique pour réformer de fond en comble une loi moyenâgeuse.
Les Fleurs du mal de Charles Baudelaire.
Baltimore de David Simon.
Quatre-vingt-treize de Victor Hugo.
Illusions perdues d`Honoré de Balzac.
Tous les livres de Marc Lévy, que je me permets de critiquer sans les avoir lus !
À marche forcée du Polonais Slavomir Rawicz (Phébus), époustouflant récit d`une cavale dans les déserts d`Asie centrale au milieu du siècle dernier.
Toute l`oeuvre de Fernando Pessoa, que je trouve artificielle et geignarde.
Un vers de Johann Wolfgang von Goethe : « Bienheureux qui du monde / Se retire sans haine ».
Faire Mouche de Vincent Almendros, tellement particulier et lapidaire qu`on a parfois l`impression que ce texte est écrit dans une langue étrangère !
Découvrez Surdose d`Alexandre Kauffmann aux éditions Goutte d`Or :
Entretien réalisé par Nicolas Hecht.
Le trafic de drogue est en pleine expansion et avec les évolutions numériques, le narcotrafic mute. Pour y faire face, le gouvernement a lancé les opérations "place nette XXL" et souhaite faire évoluer le statut de repenti. Comment analyser ces changements ? Quelles politiques faut-il mener ? Pour en parler, Emmanuel Laurentin reçoit : Clotilde Champeyrache, économiste et maîtresse de conférences au Conservatoire national des arts et métiers Alexandre Kauffmann, grand reporter et auteur Stéphanie Cherbonnier, directrice de l'OFAST (Office français anti-stupéfiants) Christian de Valkeneer , président du tribunal de première instance de Namur en Belgique et professeur de droit et de criminologie à l'université catholique de Louvain Visuel de la vignette : Lucas Ninno / Getty #societe #politique #justice ------------------------ Découvrez les précédentes émissions ici https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/le-temps-du-debat Suivez France Culture sur : Facebook : https://fr-fr.facebook.com/franceculture Twitter : https://twitter.com/franceculture Instagram : https://www.instagram.com/franceculture TikTok : https://www.tiktok.com/@franceculture Twitch : https://www.twitch.tv/franceculture
Brett est en sixième en