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Critiques de Alexandre Soljenitsyne (392)
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Le Premier Cercle

Volodine est un jeune diplomate soviétique destiné à une belle carrière sans tâche. Cependant, quand il apprend qu'un docteur, vieil ami de la famille, va être emprisonné pour avoir envoyé des médicaments en Occident, il tente de le prévenir d'une cabine téléphonique. La conversation sera enregistrée et brutalement interrompue.



La bande va être confiée à une charachka, premier cercle de l'enfer des goulags, qui ressemble des scientifiques dont la pensée n'est pas pleinement conforme aux dogmes du parti, mais dont les capacités sont trop précieuses pour être envoyés dans les camps de déportation.



Soljenitsyne nous entraîne dans ce récit dans toute la société soviétique et nous décrit des tranches de vie de plus d'une vingtaine de personnages : le prisonnier accusé de toutes les trahisons pendant la guerre alors qu'il a simplement cherché à sauver sa peau, le prisonnier arrivé là par hasard par la dénonciation d'un voisin qui lorgnait sur son appartement, le communiste convaincu qui est passé de héros de la révolution à traître antisoviétique sans avoir changé son comportement d'un iota. La surveillance est constante dans la charachka, les restrictions de plus en plus sévères et humiliantes. Il faut dire que l'administration voit dans chaque morceau de fer une puissante radio capable de communiquer les secrets d'état à l'Occident, et dans chaque prisonnier laissé seul cinq minutes un individu prêt à creuser un tunnel d'évasion.



Les épouses des prisonniers ont également un sort peu enviable : obligée de cacher leur situation d'épouse de déporté si elles veulent continuer à travailler, garder un logement et ne pas se faire cracher au visage par tout leur entourage.



On fait aussi un détour par les gens «libres» qui ne sont pas mieux lotis : pression constante, doctrine mouvante qu'il faut suivre cependant à la lettre pour éviter la «trahison», risque de dénonciation permanente, tâches impossibles à réaliser avec la menace de l'accusation de «sabotage» en cas d'échec,…



L'ambiance est assez pesante : on ressent tout le poids de la bureaucratie écrasante et paranoïaque, totalement coupée du monde réel, d'un système dans lequel personne ne peut rester innocent bien longtemps.
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Une journée d'Ivan Denissovitch

Avec "Une journée d'Ivan Denissovitch", Soljenitsyne dissèque la réalité implacable des goulags.

Mémoire des camps pénitenciers où il a séjourné, l'auteur dépeint un zek s'adaptant à la machine impitoyable de ces camps de travail.

La voix et les yeux de Choukhov témoignent du système inhumain du régime soviétique de Staline.

Durant vingt-quatre heures, du lever au coucher, on suit cet homme sur une journée programmée au cordeau.

D'abord au rassemblement le froid vous saisi avec un -38° dehors. Puis le travail harassant de maçonnerie vous appelle laissant peu de temps pour une kacha claire.

Brimades, humiliations, représailles et magouilles font parties de la vie de forçat.

Choukhov n'aspire pourtant qu'à peu de choses: survivre à ses deux dernières années de camp. Les seuls moyens pour s'en tirer: manger davantage si cela est possible, fumer des cigarettes, exécuter les ordres et éviter de trop penser.

Son réconfort s'appuie non pas sur les colis de son épouse mais sur la solidarité et surtout la protection du brigadier Turine.



Cette lecture d'hommes voués au tombeau m'a agréablement surprise par son style et par sa facilité .

Elle correspond à une vie d'homme simple

Soljenitsyne bâtit ici un mausolée à des destins entremêlés sur le mode argotique, qui fait le sel de ce roman.



"Une journée d'Ivan Denissovitch" est désormais un tatouage indélébile sur cette U R S S qui a brûlé à vif des êtres humains, pions de l'échiquier russe de l'époque.









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Le pavillon des cancéreux

Quel ouvrage ! 700 pages de littérature russe , grandiose !



Après la mort de Staline nous sommes plongés dans un huis clos qui est le service des cancéreux d'un hôpital. Alexandre Soljenitsyne nous présente sur fond historique une galerie de personnages attachants qui côtoient tous la mort.



L'écriture, tout en élégance, fait vibrer les analyses de l'auteur sur l'histoire de la Russie grâce à la richesse des protagonistes de l'ouvrage.



Je vous invite à lire cet ouvrage qui est une référence littéraire.
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L'Archipel du Goulag

Comment parler de l’indicible ? Comment parler d’un génocide par les camps de travail ? De déportations massives ?



De populations que l’on a pris dans leurs villages et qu’on a déplacé dans des terres arides, incultes, sans rien leur donner ?



Comment parler de la mort de millions de personnes, assassinés par les gens de son propre peuple ?



Tout simplement comme Alexandre Soljenitsyne l’a fait dans son célèbre livre qui lui valu des sueurs froides lorsqu’il le composa, ne laissant jamais l’entièreté d’un chapitre au même endroit, ne laissant jamais tout son travail étalé sur sa table. Trop dangereux.



Il est des livres qui, une fois terminés, vous donnent envie de plonger dans du Tchoupi ou équivalent (mais rien de plus fort). L’envie de plonger dans du Oui-Oui s’est déjà faite ressentir après certains chapitres de romans particulièrement éprouvants ("Cartel" & "La frontière", de Winslow).



Pour l’Archipel, j’ai eu l’envie de me rabattre sur des P’tit Loup après chaque phrase lue, c’est vous dire sa puissance ! C’est vous dire les horreurs que l’on a faites aux prisonniers politiques, condamné sur base de l’article 58 et qu’on appellera des Cinquante-huit dans les camps.



Mais jamais Soljénitsyne ne s’amuse à faire dans le glauque pour le plaisir d’en faire, jamais il ne fait dans le larmoyant.



Alors oui ce qu’on lit fend le cœur, fait naître des sueurs froides, surtout si vous imaginez que ces horreurs arrivent à vos proches, mais l’écriture de l’auteur fait tout passer facilement car il donne l’impression de vous raconter une histoire, vraie et tragique, mais d’une manière telle que vous continuez la lecture sans arrêter.



Ce livre n’est pas vraiment un livre dans le sens habituel puisque la trame narrative n’est pas une suite, mais plutôt un rassemblement de divers témoignages, le tout étant regroupé dans des sections bien définies, commençant par l’industrie pénitentiaire qui décrit la mise en place de la machine à broyer.



Le ton de Soljénitsyne n’est pas dénué de cynisme, de causticité, mais jamais au grand jamais il ne fait de réquisitoire contre la politique, ni contre ceux qui broyèrent les autres, car il est lucide : le hasard de la vie aurait pu le mettre du côté des tortionnaires au lieu d’être avec les victimes du Grand Concasseur Humain.



Et il se pose une question que peu de gens osent se poser (et n’osent jamais y répondre véritablement) : qu’aurait-il fait si le destin, le hasard, l’avait placé du côté de ceux qui avaient le pouvoir de vous pourrir la vie, de vous arrêter arbitrairement, bref, du côté des Méchants, des grands salopards ?



Il ne les juge pas trop durement, il sait très bien que bien des Hommes ont obéi afin d’avoir la vie sauve, pour protéger les leurs, pour ne pas crever de faim, tandis que d’autres se cachaient derrière le "on m’a donné un ordre", là où d’autres ont senti pris leur pied d’avoir le pouvoir de vie ou de mort sur des êtres moribonds.



Staline et son parti ont posé une chape de plomb sur les épaules de leurs concitoyens, fait régner la terreur car jamais au grand jamais vous n’auriez pu prévoir que le Rouleau Compresseur allait vous passer dessus, pour des peccadilles, bien entendu !



Vous avez osé dire que le matériel des Allemands était bon ? Apologie, donc au trou ! Vous avez fait un paraphe sur la gueule à Staline, sur le journal ? Au trou ! Aberrant les motifs d’emprisonnement, exagérés les peines de prison pour des riens du tout, mais c’est ainsi que l’on fait crever son peuple de trouille et qu’on obtient tout de lui.



Soljenitsyne le décrit très bien, nous expliquant aussi, sur la fin, pourquoi personne ne s’est révolté, rebellé, pourquoi les gens n’ont pas osé aider les autres. Même sous 40° à l’ombre, j’aurais eu froid dans le dos durant ma lecture.



Ce témoignage met aussi en lumière la folie des dirigeants, dont Staline, qui voyait des espions partout et qui a imaginé les camps de travail bien avant que Hitler ne monte ses abattoirs.



Ces deux moustachus sont des assassins en puissance (aidés par d’autres, bien entendu). À la lecture de ce récit, on constate que les horreurs de Staline ont durées plus longtemps et qu’elles firent encore plus de mort (oui, c’est possible) et étaient tout aussi horribles que les camps d’exterminations des nazis (oui, c’est possible aussi).



Lorsque le procès de Nuremberg se terminait et que tout le monde criait « Plus jamais ça », les camps de travail étaient toujours bien là en Russie. En 1931, des hommes avaient même creusé un canal (le Belomorkanal, 227 km) sans instruments de travail - ni pelles, ni pioches, ni roues aux brouettes,… Renvoyés à la Préhistoire !) et en seulement deux ans….



Le 20ᵉ siècle fut un siècle d’extermination en tout genre, hélas. Par contre, il est dommage que l’on ne porte pas plus d’éclairage sur les goulags, sur les camps de travail, sur les prisonniers innocents qui y périrent, sur leurs conditions de détentions déplorables,… J'ai l'impression qu’on les oublie dans la multitude des horreurs du 20e.



Une lecture faite sur 6 jours, une lecture coup de poing, une lecture à faire au moins dans sa vie.



PS : Cela fait longtemps que je voulais lire ce témoignage, mais j’avais du mal à trouver les différents tomes dans les bouquineries, alors, lorsque j’ai vu que Points avait sorti une édition abrégée, j’ai sauté sur l’occasion et acheté ce livre en octobre 2019.



Je voulais lire ce témoignage en janvier 2020 et c’était "Cartel" de Winslow qui est passé à la casserole et j’ai reporté cette lecture aux calendes grecques car le récit me faisait peur.



Peur que le récit et moi n’entrions pas en communion (ce qui aurait été dommageable), peur d’avoir peur de ce que j’allais y lire et que le roman de Soljénitsyne ne termine au freezer, comme d’autres le firent avant lui, notamment des livres parlant des camps de concentration.



Tout compte fait, nous nous sommes rencontrés, sans aucun problème et il est regrettable que j’ai reporté cette lecture. Maintenant que je l’ai faite, je suis contente et le livre termine dans les coups de cœur ultimes.


Lien : https://thecanniballecteur.w..
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Le Déclin du courage

Ce livre retranscrit un discours iconoclaste prononcé par le prix Nobel de littérature lors de la remise des diplômes de l'université de Harvard en 1978. Là où les oreilles de l'Occident attendaient qu'il fustige une nouvelle fois l'Orient communiste responsable de sa déportation au goulag et de son exil, Soljenitsyne choisit à l'improviste de changer de cible, pour renvoyer dos à dos les deux systèmes. Il le fait au nom d'une recherche spirituelle où transparaît sa foi chrétienne, heurtée par le matérialisme propre aux deux modes de vie : la dictature communiste et la démocratie moderne, sclérosée selon lui par la promotion de l'individualisme via une législation abrutissante.

Selon Soljenitsyne, l'homme occidental typique est un lâche qui refuse d'hypothéquer son bien-être, et se laisse ainsi anesthésier, incapable de trouver la volonté pour mener à bien de grands projets, de grandes oeuvres : le nivellement par le bas au nom du bonheur de tous. Même à l'époque, ce constat n'était pas nouveau, Alexis de Tocqueville en observait déjà les prémices dans de la Démocratie en Amérique : « Je vois une foule d'hommes semblables et égaux qui tournent sans repos sur eux-mêmes pour se procurer de petits et vulgaires plaisirs, dont ils remplissent leur âme. Chacun d'eux, retiré à l'écart, est comme étranger à la destinée de tous les autres ». Je soupçonne d'ailleurs Soljenitsyne d'avoir puisé dans cette source pour alimenter sa réflexion.

Depuis, à partir de la déliquescente satiété dénoncée par Soljenitsyne, les idoles de la démocratie se sont affermies et ont pris de nouveaux noms : « politiquement correct », « inclusivité », « bienveillance »… autant de signes totémiques engendrant des tabous, participant de cette société aseptisée et superficielle, d'où disparaît tout échange d'idées en profondeur dans la simple crainte de froisser autrui et/ou de gâcher son droit à jouir de l’opulence occidentale. Nous bâtissons ainsi notre mal, que Philippe Muray appelait le Bien.
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La maison de Matriona

Un recueil de nouvelles pour découvrir l'écriture d'Alexandre Soljenitsyne, pour entrer dans son style ...

A lire en débutant la préface des traducteurs qui expliquent, qu'il est parfois difficile de rendre, à la traduction, les subtilités de la langue russe, et par là, on comprendra l'originalité de certaines tournures qui laissent parfois bien dubitatif devant certains passages.







Trois nouvelles, plutôt différentes dans leurs thèmes, constituent ce livre. Différentes dans leur sujet mais pour autant, assez semblables dans leur dénonciation : celle de l'absurdité d'un système où sévit la corruption et où le "pur" est littéralement broyé par plus roué que lui, celle de la convoitise humaine , omniprésente , dans une société, il est vrai, où chacun manque de l'indispensable.



La première "raconte" un pays russe rural où la pauvreté est la réalité quotidienne, auprès d’une femme qui vit de peu. Des caractères trempés, des profiteurs, un regard sur les paysages, les animaux, et les liens sociaux.

Un récit bien mélancolique et bien coloré à l'image de l'âme russe !



La seconde où règne l'absurdité des règlements et de l'obéissance au détriment d'une certaine humanité qui, grâce à la présence de certaines âmes non corrompues, essaye tant bien que mal de se frayer un passage, sur ces quais, dans cette gare, au milieu de tous ces convoyés, alors que la guerre emporte impitoyablement les vies à quelques kilomètres.



la troisième est le récit de La corruption, de celle qui fait oublier qu'une société est constituée d'hommes et de femmes, avant d'être un théâtre d'avancement social, et que l'entraide, le respect et la promesse tenue devraient valoir beaucoup plus que l'opportunité pour un seul de se mettre en avant...







Toujours des personnages marquants, pour moi, bien sûr, Matriona, mais aussi le vieux cheminot Kordoubaïlo et Lidia Guéorguievna, un style assez vif, une façon de dire les choses qui parfois surprend mais surtout une écriture qu'on ne lâche pas avant d'avoir tourné la dernière page et d'avoir à quitter tous les personnages dont on a fait connaissance. Ils sont nombreux et cela peut dérouter mais c'est comme s’ils revenaient ensuite au fil des lignes pour nous raconter, chacun, leur propre histoire, en filigrane.







Une belle découverte qui donne envie de sauter le pas et de tenter une lecture plus longue.

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Le pavillon des cancéreux

Soljenitsyne nous emmène dans l'URSS des années 50, peu après la mort de Staline. L'action se déroule en huis-clos dans le service de cancérologie d'un hôpital. C'est pourtant de l'ensemble de la société russe de l'époque qu'il présente le bilan. Les malades et les soignants de ce service constituent en effet une mini-société représentative où se côtoient pauvres et nantis, jeunes et vieux, communistes staliniens et rescapés du goulag, tous instruments ou victimes de la dictature.



L'auteur dévoile ce qui habite ses personnages et ce qui les divise : les idéologies, la convoitise d'un statut, le sentiment d'injustice, l'amertume, l'égoïsme, l'espoir... et le poids des inégalités sociales dans un système politique qui se flatte d'égalité et d'intégrité.

Il nous montre également ce qui les rapproche : l'angoisse devant la mort, indissociable de leur condition d'être humain, mais aussi la lutte contre la maladie, qui fera naître la solidarité et révélera leur humanité.



« Le pavillon des cancéreux » traite de la maladie qui frappe, sans distinction, en toute égalité, en toute injustice.

C'est surtout un roman bouleversant qui interroge sur le sens et la valeur de la vie, sur la condition et la dignité humaines.
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Une journée d'Ivan Denissovitch

Difficile de faire une critique de ce livre qui est devenu un grand classique. Pour être honnête je m'attendais à autre chose, à un autre style. Ce livre ne sera pas un coup de coeur, cependant c'est un excellent livre. Le lecteur ne s'ennuie pas en le lisant. La seule chose qui m'a dérangée c'était son style, un livre écrit en argot des camps, ce qui peut déconcentrer un peu le lecteur, surtout dans les premières pages... ensuite on s'habitue... et on lit jusqu'à la dernière ligne cette journée particulière du prisonnier Ivan Denissovitch.
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Le pavillon des cancéreux

Avec Le pavillon des cancéreux on entre dans l'univers glauque des malades atteints de divers troubles, métastases, tumeurs. Cela se passe en 1955, dans un hôpital de Tachkent, en Russie. Ainsi, on va rencontrer des dizaines de personnages qui nous apparaissent les uns après les autres. On y entre avec l'arrivée de Paul Nikolaievitch Roussanov qui souffre d'une tumeur au cou et qui est en totale admiration avec Staline et se vante d'être entièrement dévoué à sa patrie. L'autre personnage phare du récit, Kostoglotov, qui a plusieurs points en communs avec l'auteur, exilé lui aussi dans un village après plusieurs années de "goulag" et atteint d'une tumeur dont il va miraculeusement se soigner, est un homme de grandes valeurs qui croit en l'amour de son prochain et n'accorde que peu de crédit aux chimères proposées par l'État. On entre donc dans la Russie du siècle dernier avec tous ses excès, sa grandeur, ses injustices et l'amour que portent ses habitants à cette chère patrie.



Au fil des pages, dans l'étroit dortoir où sont alités plusieurs hommes (car le récit se déroule presque totalement dans le pavillon leur étant réservé) on va être témoin de leurs discussions animées sur la Russie d'hier et la jeunesse d'aujourd'hui, le système de santé, les remèdes naturels (champignons, racines), les relations entre docteurs et malades, mais aussi des questions plus philosophiques telles que "qu'est ce qui fait vivre les hommes ?" et "quel est l'endroit de la terre qu'on élit entre tous ?" et enfin des questions sur la mort, bien sûr.



Je dirais que la force de ce roman est de passer au travers beaucoup de sujets assez "lourd" sans pour autant nous lasser. Chaque chapitre apporte de la nouveauté et de la fluidité au récit et nous fait réfléchir. Et tous ces sujets sont traités au cours de dialogues parfois très drôles entre malades qui retrouvent de la fougue à se diputer alors qu'ils sont gravement affaiblis par la maladie. Par contre, nulle intrigue dans ces 722 pages, nul suspense. Que de la rhétorique !  Mais à petites doses, ça fait toujours du bien ! 
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Le pavillon des cancéreux

A. Soljenitsyne a écrit ce livre alors qu'il était encore presque inconnu. Comme c'est souvent le cas, il y a une part d'autobiographie dans ce roman. On y trouve l'unité de lieu (un hôpital dans l'une des républiques soviétiques), de temps (quelques mois dans les années '50) et d'action (le cancer). Quelques pages évoquent aussi une petite colonie de Russes, relégués dans un trou perdu après un passage dans un camp de travail; c'est une situation que l'auteur a aussi connue.



Soljenitsyne s'ingénie à mettre en scène des personnages très divers, représentant l'ensemble de la société soviétique. Mais deux principaux personnages émergent. Roussanov est un apparatchik communiste important (et convaincu de l'être, certes !); Kostoglotov, surnommé "Grandegueule", est un rude gaillard qui est passé par le Goulag; il est campé sans complaisance, alors qu'il représente certainement l'auteur lui-même.

Les personnages secondaires sont nombreux, ils sont d'âge, d'origine et de mentalité très variés; certains sont attachants. le personnel soignant joue un rôle de premier plan, notamment une doctoresse (Vera). C'est par sa résistance aux propositions de traitement que Kostoglotov noue un lien particulier avec Vera. Mais l'auteur est très pudique à l'égard du sentiment amoureux, a fortiori au sujet du sexe: la relation restera platonique.



Ce que je trouve surtout remarquable, c'est d'évoquer l'immense société soviétique à travers un microcosme bien particulier, aux limites bien définies. Les lecteurs ont donc accès à une Russie qui est complètement obsolète, mais qu'on devrait pourtant conserver en mémoire. Les personnages, quoique très éloignés de ceux que nous côtoyons ici au quotidien, sont intéressants et nous disent souvent quelque chose qui peut nous toucher. La maladie, qui (bon gré mal gré) sert de trait d'union à tous les protagonistes, apparait comme une entité omniprésente et presque "métaphysique" - qui n'empêche pas, cependant, le développement de la vie des individus au quotidien. le contexte politique est essentiel, mais qu'on ne s'attende pas à un réquisitoire anti-communiste. On peut juste imaginer que Soljenitsyne "boit du petit lait" en décrivant l'incrédulité et l'inquiétude de Roussanov au moment où celui-ci apprend le début de la déstalinisation !



Le livre (en deux parties) pourra paraitre un peu long aux lecteurs pressés. En effet, comme tous les autres grands romanciers russes, l'auteur a besoin d'ampleur et d'exhaustivité. Quant à son écriture, elle est très caractéristique: concrète, un peu terre-à-terre, presque sans joliesse de style. Mais en définitive, "Le pavillon des cancéreux" reste une grande oeuvre.
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La maison de Matriona

Trois nouvelles composent ce livre de Soljenitsyne et le premier de cet auteur que je lis.



Je dois dire que j'ai largement préféré la première "La maison de Matriona".

Racontée avec une grande simplicité, on retrouve toute l'âme slave et l'attachement viscéral de l'auteur à son Pays.

La morale de cette courte nouvelle sera sans nul doute la convoitise humaine ; où chacun tente d'obtenir ne serait-ce que l'indispensable pour vivre.



"L'inconnu de Krétchétovka" nous emmènera dans une gare , un centre de ravitaillement où wagons et trains, remplis tantôt d'hommes, tantôt de marchandises diverses devront être acheminés sur les lieux où sévit la guerre.

Observer - rédiger et parfois aussi dénoncer.

Toute l'absurdité des règlements y sont consignés.



"Pour le bien de la cause"

Une Commission décide d'allouer des locaux neufs, initialement prévus pour agrandir et améliorer l'accueil d'un Collège Technique, à un Institut de recherches.



Corruption et injustices, soi-disant pour le bien de tous.



Soljenitsyne entend ici le langage des hommes paysans, ouvriers, simples soldats ou étudiants.



"Qu'est ce qui fait donc la prééminence de Soljenitsyne dans la littérature russe contemporaine, son extraordinaire influence sur ses confrères, cette action puissante qu'il exerce sur les lecteurs ? La modestie du vrai courage. La retenue de ton. La gravité. le goût infini de la vérité. L'art de dire le plus difficile. Et un coeur plus grand que tous les malheurs".







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Une journée d'Ivan Denissovitch



Une journée, celle de Chouchov, bagnard déporté pour « trahison ». En fait de trahison, le camarade Choukhov est fait prisonnier pendant la seconde guerre mondiale, ça suffit pour l’envoyer au goulag, dix ans.

Aujourd’hui son groupe est affecté à la maçonnerie, un mur à monter, même par moins 28 degrés y’a pire comme boulot alors Choukhov se plaint pas.

Lui le paysan russe sans histoire, n’a plus que deux ans à tirer. C’est qu’il est débrouillard Ivan Denissovitch Choukhov, honnête et travailleur, des qualités qui le feront peut-être tenir encore une journée, entre les fouilles, la peur des vols, peur de l’adjudant, peur de ne jamais sortir vivant d’ici, le comptage interminable dans le froid, le réfectoire où il faut jouer des coudes, les combines pour améliorer l’ordinaire, les cachettes pour le croûton de pain.

Du lever au coucher, tout est décrit par le menu sans aucune fioritures, dans une langue teintée d’argot.

Une journée ordinaire d’un homme au camp de travail, routine aliénante terrible de réalisme, qui m’a happé.

A lire.
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Une journée d'Ivan Denissovitch

La littérature russe aura sorti de son chapeau quelques noms bizarres et compliqués pour les francophones que nous sommes. Dostoïevski, Maïakovski, Tolstoï, … C’est qu’il faut de la concentration pour écrire, d’une traite, les noms de famille francisés des Fiodor, Vladimir et autres Léon. Un moment d'inattention et c’est toute la fine mécanique d’un nom russe qui se dérègle. Les lettres deviennent alors des pièces détachées mises au sol, dans le camboui, sans aucun manuel de montage. Que faire du ï ? Combien de y ? Ou placer ce petit monde et dans quel ordre? La première fois qu’on écrit le nom de certains auteurs russes on recompose les lettres à la va comme je te pousse et c’est de cette manière que l’auteur de Crime et Châtiment se voit affubler d’un nouveau nom des plus créatifs. Doïstoïfsky. Aïe!



Au firmament des noms russes imprononçables, il y a Alexandre … Soljentsine? Non. Soljtsyne? Encore moins. Solejtsynine? On racle le fond là. SOLJENITSYNE. Bingo! Cet auteur, moins connu par les jeunes générations, fut de ceux dont l’existence est plus parlante qu’un manuel d’histoire. Il aura étiré sa vie depuis la naissance de l’URSS jusqu’à l’ère post-soviétique. Mais c’est surtout ses récits de l’intérieur du Goulag qui auront fait de Soljenitsyne un homme qui a marqué le XXème siècle. Une journée d’Ivan Denissovitch, paru pour la première fois en 1962 a été le premier roman autobiographique qui décrivait les conditions de détentions réelles au sein des tristement célèbres camps du Goulag. Comme à l’accoutumée, je vous propose ici une analyse personnelle de cet oeuvre qui fut une des pierres angulaires de la dissidence russe. Un premier pas dans la dislocation du bloc soviétique...



Point d’introduction pour ce roman, le lecteur se réveille aux côtés d’un détenu dans le baraquement d’un camp. Son nom, Ivan Denissovitch Choukhov, a été remplacé par un numéro: M.854. C’est que l’Union Soviétique savait s’y prendre pour effacer la moindre trace d’humanité chez chacun de ses condamnés. Et quoi de mieux que tenir un homme par la faim pour l’asservir à sa guise. Il ne faut pas tourner des dizaines de pages pour se rendre compte que l’appel du ventre était une problématique quotidienne dans les camps du Goulag. Un quignon de pain, une arête de poisson, un bol de soupe, la moindre chose comestible devenait le but ultime d’une journée.



“La seule bonne chose dans la soupe, c’est qu’elle est chaude, mais à présent, celle de Choukhov est complètement refroidie. Malgré tout, il prend bien son temps pour manger, en faisant durer le plaisir. Dans ces cas-là, même si la maison brûle, c’est pas la peine de se dépêcher. Sans compter les heures de sommeil, le gars qui est dans les camps, le laguernik, il n’a vraiment à lui, pour vivre, que dix minutes le matin au petit déjeuner, et puis cinq à midi et cinq au souper.”



Faire l’expérience de la faim se traduit difficilement en mots. L’agencement des phrases ne rendra jamais compte de l’exactitude d’une sensation corporelle telle que celle du ventre vide. Mais Soljenitsyne réussit malgré tout à décrire jusqu’au moindre de ses gestes lors des rares moments où il pouvait se mettre se mettre quelque-chose sous la dent. Cette sacralisation alimentaire démontre à quel point la privation de nourriture était oppressante pour les détenus. En effet, quoi de plus efficace que d’enfermer un homme et de l’asservir par ses besoins naturels pour lui enlever tout désir de rébellion.



“Il faut concentrer cet instant-là, tout entier, sur le manger : recueillir sur le fond la mince couche de bouillie, l‘enfourner avec soin dans sa bouche et bien malaxer avec sa langue […] Il fouille dans sa poche intérieure, sort de son petit chiffon blanc le bout arrondi de croûte tiède et se met à essuyer avec, bien soigneusement, le jus de cuisson collé au fond et sur les bords évasés de la gamelle. Il le ramasse sur son croûton qu’il lèche, puis en recueille presque autant encore. »



Une journée d’Ivan Denissovitch a aussi valeur de témoignage sur les conditions du travail forcé. Les détenus, en sortant des camps, abattaient de longues distances dans les steppes glacées avant d’arriver sur les chantiers. Ces travailleurs forcés s’improvisaient en maçons, couvreurs, façadiers, conducteurs de travaux, et y érigeaient des bâtiments à la force de leurs bras. Le tout dans un désordre ordonné dont seul les russes ont le secret. Il n’est donc pas étonnant que les constructions de cette époque furent des plus élémentaires et sans réelle qualité architecturale.



De plus, il me semble aussi important de souligner que la population des camps du goulag comportait non seulement des russes mais aussi — et on a tendance à le sous-estimer — des estoniens, lituaniens, moldaves, etc. En d’autres mots, des personnes dont leur pays venait d’être récemment annexé à l'URSS et qui joueront, dans les années quatre-vingt, un rôle prépondérant dans la chute de l’Union Soviétique. Dans son récit autobiographique, Soljenitsyne fait référence à ces nationalités qui gonflaient le rang des détenus du goulag.



Enfin, il est intéressant de relever une analogie que Soljenitsyne a peut-être fait bien malgré-lui dans Une journée d’Ivan Denissovitch. Celle du régime communiste et de la religion chrétienne. On peut y déceler un même pouvoir de soumission avec les mêmes ressorts psychologiques qui forcent l’être humain et à s'annihile en acceptant l'inacceptable



« Qu’est-ce que ça peut te faire, la liberté ? En liberté, le peu de foi qui te reste serait étouffé sous les épines! Réjouis-toi d’être en prison! Ici, tu as le temps de penser à ton âme! Voici ce qui disait l’apôtre Paul : « Pourquoi pleurez-vous et affligez-vous mon cœur ? Non seulement je veux être prisonnier, mais je suis prêt à mourir pour le nom de Notre Seigneur Jésus! »


Lien : https://lespetitesanalyses.c..
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L'Archipel du Goulag

Goulag est l'acronyme de l'administration d'Etat créée en Union Soviétique pour gérer les camps de travail forcé : Главное управление лагерей.

L'Archipel, ce sont les îles Solovki (dans la mer Blanche au nord-ouest de la Russie). Elles furent un lieu d'exil forcé d'opposants au Tsar dès le XVIIe siècle. Le régime soviétique y expédia et y soumit au travail obligatoire des millions de personnes. Ce fut un lieu de répression soviétique parmi tant d'autres (à l'image du célèbre territoire de la Kolyma des récits de Varlam Chalamov, souvent cité par Soljénitsyne).

'L'Archipel du Goulag' décrit et dénonce l'univers concentrationnaire soviétique de 1918 à 1956, cherchant à en expliquer la genèse et le mode de fonctionnement.



■ Première Partie : L'industrie pénitentiaire.



• "L'arrestation" (chapitre 1er) est le point de départ du parcours dans le Goulag. Soljénitsyne (1918-2008, Nobel de littérature en 1970) liste des variantes de l'exercice : de nuit, de jour, au domicile, au travail, dans la rue, lors d'une convocation au poste,… Généralement, la victime demande "moi ? pourquoi ?", et reste sans réponse. Les méthodes d'arrestation expliquent en partie l'étonnante passivité des personnes arrêtées. Lors de son arrestation en 1945, l'auteur guida lui-même les personnes venues le chercher vers la prison de la Loubianka ! Soljénitsyne fut libéré en 1953, après 8 ans purgés pour avoir critiqué la stratégie de Staline durant la seconde guerre mondiale (dans une lettre à un ami). Il fût à nouveau arrêté en février 1974, deux mois après la parution de cet ouvrage, cette fois pour être expulsé d'URSS.



• "Histoire de nos canalisations" (chapitre 2) : le terme Goulag est apparu dans les années 1930 mais les exécutions et les déportations commencèrent dès la guerre civile. Il s'agissait d'abord d'éliminer les opposants (non bolchevik), puis : les membres des "classes exploiteuses" (dont les "koulakisants"), les personnes pratiquant ou prônant une religion (dont les juifs dans les années 1950), celles dénoncées, des membres de nationalités, les "organisateurs de la famine" (famine dont Staline fût l'un des principaux responsables), des ingénieurs (dont les "plafonnistes" qui alertaient de la surcharge de trains par rapport aux capacités des infrastructures ferroviaires), les prétendus membres d'un inexistant Parti paysan du travail, ou encore le premier qui cesse d'applaudir un discours sur Staline… En résumé : n'importe qui pouvait être arrêté, chacun pouvant être un ennemi du peuple. L'article 58 du code pénal, ouvrait la porte à toutes les interprétations et devait conférer un vernis de légalité au processus. Un paroxysme fût atteint lors des grandes purges de Staline (procès de Moscou en 1936), mais assassinats et déportations de masse ne résultent pas de la seule paranoïa du dictateur ou de son "Egocratie". Dès 1917, Vladimir Illich Oulianov (Lénine) voulait « nettoyer la terre russe des tous les insectes nuisibles » (dont les ivrognes). Il ne s'agissait pas seulement d'assurer la survie d'un régime par la terreur mais aussi de fournir de la main d'oeuvre pour de grands travaux.



• "L'instruction" (chapitre 3) est toujours à charge contre le prévenu ; ses aveux ainsi que des témoignages contre d'autres sont activement recherchés. Tortures physiques et/ou morales sont de mise : le catalogue qu'en dresse Soljénitsyne est effrayant. Celui qui s'en sort en n'incriminant que lui-même peut partir la conscience tranquille.



• "Les liserés bleus" (chapitre 4) : La couleur bleu est l'insigne des personnes qui participaient à ce système. Quels furent leurs motivations ? Cupidité et soif de pouvoir constituent souvent les premiers mobiles, tandis que la défense d'idéaux n'est qu'un prétexte. Soljénitsyne se demande aussi ce qu'il aurait fait s'il avait été en position d'être à leur place : sa réponse est nuancée...



• "Première cellule - premier amour" (chapitre 5) : La vie en prison est régie par de nombreuses règles, implicites ou non, réglementaires ou pas (qu'importe, ici la raison de l'Administration est toujours le meilleure...). L'arrivée d'un nouveau dans la cellule est un événement : l'occasion pour les prisonniers d'avoir des nouvelles de l'extérieur et de découvrir un parcours. le nouveau venu doit éviter les confidences hâtives : le "mouton" (mouchard placé là incognito pour surveiller les autres) peut donner des éléments aux instructeurs du Goulag (contre le nouvel arrivant, ou contre d'autres personnes à inculper).



• "Ce printemps-là" (chapitre 6), celui de 1945, fut le printemps de la victoire contre les troupes allemandes. Une victoire du peuple, mais pas pour le peuple. Ce printemps-là aurait dû être celui de la libération, mais il marqua le passage d'un joug sous un autre, et pour les russes prisonniers des allemands, d'une prison à une autre.



• "La chambre des machines" (chapitre 7) : Voici quelques caractéristiques du système judiciaire à cette époque :

- la condamnation n'est pas une question de culpabilité mais une question de danger social,

- les articles du code pénal et la diversité de leurs interprétations permettait de condamner des personnes en raison de sa seule origine sociale (appartenance à un milieu social dangereux) ou pour ses relations avec un individu dangereux,

- toutes les étapes de la procédure se déroulent souvent en huis clos, sauf en cas de volonté politique de publiciser l'affaire.



• "La loi-enfant", "la loi devient adulte", et "la loi dans la force de l'âge " (chapitres 8, 9 et 10) : de grands procès publics, il y en eut en effet (Boukharine, Zinoviev…), dont on peut encore se souvenir. Mais la mémoire des individus et des peuples fonctionne en pointillés et les historiens doivent contribuer à éviter l'oubli. Ces chapitres reprennent et analysent quelques affaires dans un ordre chronologique et en les resituant dans leur contexte.



• "La mesure suprême" (chapitre 11), c'est la peine de mort. Utilisée ponctuellement sous certains tsar (et alors pas toujours judiciarisée), l'usage de l'exécution devint massif sous le régime soviétique (souvent par balle) puisqu'elle frappât alors plusieurs centaines de milliers de personnes.



• "Tiourzak : la réclusion" (chapitre 13) : ici l'auteur compare surtout les conditions de détention des prisonniers politique entre les périodes pré et post révolutionnaire. Sans surprise, la période soviétique est la plus cruelle.



■ Deuxième Partie : le mouvement perpétuel.



"Les vaisseaux de l'Archipel" représentent les moyens de transport vers les camps. Promiscuité, manque d'eau, et manque de nourriture, sont souvent du voyage. Des wagons spéciaux sont affrétés, appelés ironiquement "stolypine" (en référence à un ancien Premier Ministre de Nicolas II, assassiné en 1911 et qui alliait répression et mesures libérales, pour tuer dans l'oeuf les projets révolutionnaires). Pour les condamnés au titre de l'article 58 du code pénal, la rencontre avec les condamnés de droit commun est un choc. A la confrontation physique s'ajoute la compréhension de la moindre considération accordée au condamné politique par les autorités qu'à un délinquant/criminel, ainsi qu'un traitement plus sévère (« au moment de la fouille, d'être pris avec un couteau ne vous vaudra pas le même traitement qu'à un truand : entre les mains d'un truand, un couteau c'est une espièglerie, la tradition, un signe d'inconscience ; entre vos mains, c'est du terrorisme. » (…)). Gardiens et condamnés de droit commun s'entendent d'ailleurs souvent pour voler et réprimer les condamnés politiques ("possédez le moins de choses possibles pour ne pas avoir à trembler pour elles !" (…) "si vous donnez tout sans combattre l'humiliation empoisonnera votre coeur. Mais si vous résistez vous resterez pour tout bien avec la bouche sanglante" (…) que votre mémoire soit votre unique sac de voyage").

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Mon avis :

Cet ouvrage a marqué un tournant dans la connaissance à l'étranger du fonctionnement de la société et de l'économie soviétique jusqu'à l'assouplissement de son appareil coercitif après le « Rapport sur le culte de la personnalité » (dit « Rapport Krouchtchev », présenté en février 1956 aux seuls délégués du XXe congrès du Parti Communiste d'Union soviétique). A la fin de l'année 1973, ce livre venant d'arriver en France, Bernard Pivot lui consacra une émission dans « Ouvrez les guillemets ». Une partie de la gauche française, en particulier le Parti Communiste Français, dénigra l'auteur et son ouvrage, avec une mauvaise foi qui caractérisa ce parti politique jusqu'à la chute du mur de Berlin dès qu'il s'agissait d'observer la situation à l'est du continent (et encore plus longtemps ailleurs, s'agissant du régime castriste ; André Glucksman - adhérent du PC dans les années 50 mais défenseur des dissidents dans les années 70 - évoque à ce sujet un phénomène « d'auto-conviction, d'auto-intoxication »…).

Il est vrai qu'il est difficile de vérifier des chiffres avancés par Soljénytsine (il l'admet d'ailleurs, faute de sources). Ses fréquentes comparaisons entre régimes soviétique et tsaristes prennent parfois l'allure d'une défense de ces derniers ; ces comparaisons sont rétrospectivement possibles, mais pas nécessairement constructives. La description des dérives de l'après révolution se suffit.

La dénonciation par Soljénytsine du système soviétique de répression et d'exploitation de la main d'oeuvre est convaincante, avec des témoignages directs ou indirects très révélateurs. Ce livre présente un intérêt particulier pour ceux qui s'intéressent à l'histoire de la Russie. Je recommande aussi à tous ceux qui se revendiquent révolutionnaires. En effet, des leçons sont à tirer de cette expérience, malheureusement pas tout à fait unique. Pour produire des résultats favorables à l'intérêt général, la suppression d'un système politique et de ses institutions nécessite un projet politique cohérent et en phase avec la maturité des sociétés concernées. En d'autres termes, ceux qui promettent de renverser la table ne doivent pas nous écraser tous dessous…



Pour poursuivre la réflexion sur ce thème, je recommande aussi l'oeuvre d'Arthur Koestler : 'Le zéro et l'infini' (sur les procès de Staline), 'Spartacus', ainsi que ses essais historiques ('Le Yogi et le Commissaire'…).

Cet auteur - communiste de la première heure, ensuite repenti - s'interroge sur l'équilibre entre la fin (une société meilleure) et les moyens (ceux à mettre en oeuvre pour préserver des idéaux révolutionnaires).
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Le Premier Cercle

C’est le premier roman écrit par Soljenitsyne, entre 1955 et 1958, lorsqu’il se trouvait en déportation au Kazakhstan, après son passage au camp. Il était bien entendu impubliable à l’époque. Lors du bref dégel après la mort de Staline, Soljenitsyne parvient à faire paraître en revue « Une journée d’Ivan Denissovitch, et il espère faire paraître d’autres textes. Pour atteindre cet objectif, il allège quelque peu le texte du Premier cercle, en le raccourcissant, et surtout en l’expurgeant des éléments les plus virulents contre le régime soviétique. Mais le texte ne paraîtra pas officiellement, la version abrégée circulera en samizdat, puis paraîtra à Paris en 1968. Après son expulsion de l’URSS dans les années 70, Soljenitsyne reprendra le texte pour en donner une version définitive.



Le roman commence avec un diplomate soviétique, Volodine. Ce dernier, après de nombreuses hésitations, téléphone à l’ambassade américaine d’une cabine, pour une mise en garde : un espion soviétique est sur le point d’avoir accès à des informations qui peuvent permettre à l’URSS d’avoir la bombe atomique. Il a tenté de brouiller les pistes pour n’être pas découvert, en s’interrogeant tout de même sur la possibilité d’être reconnu rien qu’à sa voix.



Ce qui nous amène au centre du récit, qui est une « charachka », c’est à dire une prison-laboratoire. Une prison dans laquelle sont détenus des savants, des spécialistes, qui travaillent à des projets secrets et importants. Comme justement, le téléphone, et la question de la reconnaissance vocale. La bande sonore de la communication de Volodine sera analysée en ce lieu.



La charachka est définie comme le premier cercle de l’enfer, en référence à Dante, qui mettait dans ce premier cercle les grands sages de l’antiquité. N’étant pas chrétiens, ils ne pouvaient accéder au paradis, mais compte tenu de ce qu’ils ont apporté à l’humanité, Dante leur a réservé un lieu à part, qui n’était pas tout à fait l’enfer. La charachka est bien plus confortable que le goulag : on y mange à sa faim, il n’y a pas de travail physique pénible, on peut même avoir quelques livres. Et les savants font un travail qui les intéresse. Sans oublier qu’ils sont entre eux, et que des échanges et discussions stimulants sont possibles. Mais tout peut être remis en cause du jour au lendemain, une libération est possible, à condition de faire une découverte essentielle, mais également le renvoi au goulag, avec ou sans raison.



La charachka est un monde à part, avec ses contraintes, ses règlements absurdes, mais aussi un côté cocon. Le monde à l’extérieur, tel que Soljenitsyne le décrit, est presque plus dur. Le monde que connaissent les femmes des prisonniers, marquées du seau de l’infamie, dans une société truffée d’espions et de délateurs, et de difficultés matérielles de toutes sortes. Mais aussi le monde des gens avec un plus ou moins grand pouvoir et une vie confortable : ils sont en permanence susceptibles de tout perdre, de se retrouver au camp ou avec une balle dans la tête. Parce qu’il y a toujours un plus puissant au-dessus d’eux, des exigences impossibles à satisfaire,un hasard malheureux. Le seul maître, c’est Staline, qui peut tout, et qui inspire une peur totale, qui paralyse, rend bête et médiocre, pour essayer de survivre et garder ses privilèges. Et tout simplement sa vie.



Soljenitsyne en viendrait à suggérer, que la charachka est peut-être le seul endroit où il est possible de garder un peu de liberté. Où on peut, par moments, penser, se défaire des mensonges servis régulièrement à la population qui doit y adhérer. La question essentielle du roman est sans doute celle de savoir est-ce qu’il est possible, et comment rester libre dans un état totalitaire. La position des prisonniers de la charachka est ambiguë : d’une certaine manière, ils participent à l’édifice totalitaire, leurs découvertes seront utilisées autant que faire se peut à réduire la société. La question morale de collaborer se pose à certains prisonniers.



C’est évidemment un grand livre important, avec de nombreuses dimensions qu’il n’est pas possible de développer dans un commentaire de taille réduite. Néanmoins, à mon sens, malgré toute son ambition, il n’est pas aussi réussi qu’Une journée d’Ivan Denissovitch ou Le pavillon de cancéreux. Peut-être, comme c’est souvent le cas des premiers romans, l’auteur a-t-il voulu mettre trop de choses, et j’avoue que par moments,j’ai trouvé les 1000 pages un peu longues. Les personnages sont très nombreux, différents aspects de leurs vies abordées, et parfois cela fait beaucoup. Il y a un côté un peu démonstratif aussi, le propos de l’auteur manque parfois d’ambiguïté, le portrait de Staline, même s’il est drôle, est tout de même un peu chargé, dans une forme de facilité. On entrevoit la construction, les symétries. Mais l’analyse du régime totalitaire, du fonctionnement qu’il induit chez les individus, est très puissant, très dense, et il n’a malheureusement pas perdu de son actualité.
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Une journée d'Ivan Denissovitch

La lecture de ce court roman m'a fait penser tout le long au film "la vita e bella" de Roberto Begnini. Parce que le héro raconte sa journée en trouvant un peu de bonheur dans les choses simples (un bout de pain économisé, un morceau de scie trouvé, avoir pu acheter un peu de tabac,...) et en relativisant énormément les conditions effroyables dans lesquelles il vit.

C'est avec un langage simple, copié au langage parlé pour les dialogues, et une ironie grinçante envers ceux qui encadrent ce camp, que Soljenitsyne dépeint un quotidien qu'il connait bien et qu'il est parvenu à transmettre malgré les censures diverses et variées. La violence de cette vie, l'auteur l'a suggérée, à de nombreuses reprises, sans la montrer. On pourrait sans doute passer des heures à décortiquer l'ouvrage pour en extraire les essences.



Ce roman, je l'ai pris comme un hymne à la vie, à la volonté farouche de rester un homme, quoi qu'il arrive, et à l'honneur qui reste, au final, la seule chose qu'on ne peut pas nous retirer.
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Le pavillon des cancéreux

Il est des chroniques plus difficile à écrire que d’autres parce qu’on ne sait pas vraiment par quel bout commencer, ni comment l’introduire.



Un peu comme un œuf qu’une poule aurait du mal à pondre tant la lecture fut longue, dure, intensive, mélangeant des tas d’émotions qu’à la fin, on termine un peu saoule. Et devant sa page blanche.



Éliminons déjà le caillou dans la chaussure, perçons l’abcès de suite : j’avais pris plus de plaisir dans « Une journée d’Ivan Denissovitch » mais les deux romans ne sont pas comparables au niveau du nombre de pages (700 ici).



Pourtant, dans cet hôpital qui soigne les cancéreux, nous avons ici aussi un large panel de la société russe dans toute sa splendeur.



Paul Roussanov est un crétin fini (dans le sens de veule et méprisant) qui s’insurge qu’une tumeur ait osé s’en prendre à lui, cadre zélé du parti communiste ! Non mais… Il est exigeant, s’insurge qu’on ne l’ait pas encore examiné après 18h et menace toujours de porter plainte.



Face à lui, Kostoglotov, un relégué qui a vécu les purges staliniennes, les camps du goulag et la guerre. Un personnage que j’ai mis du temps à cerner…



Nous avons aussi, pour équilibrer le bateau, le bienveillant Sigbatov, condamné à se faire emporter par sa maladie, le cynique Pouddouïev, un moribond désœuvré… Chaly qui boit de la vodka,



Sans oublier l’étrange Chouloubine, qui contemple la salle, silencieux. Du côté des médecins, on a la dévouée Lioudmila Dontsova, Vera Kornilievna Gangart dont la vie se résume à son travail, le serein Léonidovitch, le chirurgien respecté, et Zoé, l’impudente et naïve infirmière.



Dans cet espèce de huis-clos où toutes ces personnes sont obligées de cohabiter, malgré leurs différences de statut social (le Roussanov a refusé le pyjama de l’hosto et a amené le sien), vous n’échapperez pas aux méthodes de soin de l’époque – déjà des rayons, oui ! – ni aux regards des médecins sur ce crabe qu’ils tentaient déjà d’enrayer à l’époque.



L’époque, parlons-en, tien ! Elle n’est pas de tout repos non plus… 1955, Staline est out, mort et embaumé, et le pays est dans une phase de déstalinisation, ce qui n’arrange rien.



La maladie, par contre, les met égaux, se fichant pas mal qu’ils soient ancien prisonnier ou cadre du parti ! Là, c’est égalité. Et la maladie vous montre aussi une part peu connue des gens malades. Pas toujours la meilleure chez certains.



Malgré le fait que j’ai aimé découvrir ce petit monde qui souffre, qui espère, qui partage, qui se chamaille, qui perdent courage, qui se battent, j’ai souffert de certaines longueurs dans le roman au point que j’ai sauté des lignes.



Problème aussi, le nom des personnages qui changent souvent, étant appelé selon un nom et ensuite un autre… ça n’aide pas ! Lioudmila Afanassievna alias Dontsova, par exemple ou Paul Nikolaievitch qui est ensuite appelé Roussanov ou Paul Nikolaievitch Roussanov. Bon, lui, vu son caractère de chien, il était reconnaissable.



Soljenitsyne a été soigné dans un pavillon pour cancéreux et il a connu le goulag… Kostoglotov devait lui ressembler un peu. Un homme qui a connu l’horreur dans la vie et qui malgré tout, avance encore et toujours. J’ai aimé le personnage.



C’est un roman sombre, qui vous parle de ce régime qui oubliait sciemment ses membres les plus faibles et qui se complaisait dans ses odieuses certitudes.



Un roman qui vous ouvrira tout grand les portes de la souffrance humaine…



Un roman qui vous fera découvrir la Russie du 20ème siècle, celle de tous les excès, sa grandeur, ses injustices et l’amour énorme que portent ses habitants à leur chère patrie.



Un roman où il ne faut pas vraiment chercher un récit, une histoire, du suspense, car vous êtes juste face à un panel de patients et des médecins qui sont confrontés à la maladie et au manque de place dans cet hôpital de Tachkent



Un roman sombre, un roman qui dénonce un régime, un roman humaniste aussi, qui met en avant la capacité de l’humain à s’inscrire dans son destin. Ou pas.
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Le pavillon des cancéreux

je viens de lire le Pavillon des Cancéreux. Comment donner un avis, si modeste soit-il sur une telle oeuvre. En tant que lectrice lambda, je vais essayer courageusement. Le titre m'a fait hésiter longtemps.Contrairement à mon appréhension, dès les premières pages j'ai tout de suite été prise par le récit et n'ai pu le quitter (en quelques fois quand même) Le portrait des personnages, tous attachants par leur peur, leur angoisse devant cette terrible maladie, leur histoire personnelle, sont là devant moi, je les écoute avec émotion. Il y a aussi l'hôpital, les médecins, le personnel d'une telle dévotion, humanité auxquelles je ne m'attendais pas dans un contexte politique communiste. En fait, à la réflexion, le livre fermé, j'ai retenu deux grands thèmes : le cancer et l'enfermement stalinien, comme deux monstres qui rongent les corps et les esprits. D'autres lecteurs et lectrices ont développé cent fois fois mieux que je ne le saurais le faire l'ensemble détaillé de l'oeuvre Il faut les lire. En ce qui me concerne j'ai apprécié au plus haut point les récits bouleversants de chaque personnage, aidée par une écriture admirable de clarté, de sensibilité, de précision et de pudeur. Une oeuvre majeure qu'il ne faut pas hésiter à aborder en toute simplicité,
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La maison de Matriona

Un jeune professeur, enthousiasmé par le communisme, décide de demander son transfert dans un petit village isolé de campagne. La seule personne disponible pour l'héberger est Matriona : la maisonnette est délabrée, la nourriture peu variée (pommes de terre entières ou en soupe). Bien qu'ayant travaillé toute sa vie, Matriona ne reçoit pas la moindre aide, depuis qu'elle a été écartée du kholkoze. Ce qui ne l'empêche pas de donner un coup de main gratuitement aux voisins, malgré leur mépris, malgré sa maladie qui la cloue régulièrement au lit, faute de soin.



Dans « l'inconnu de Krétchétovka », Zotov, un jeune lieutenant gère comme il peut une gare en pleine pagaille, malgré ses demandes réitérées pour partir sur le front. Il doit faire face à toutes les absurdités des règlements : des soldats affamés depuis une semaine, car les rations se distribuent avant 18h, et leurs trains n'arrivent qu'après cette heure ; des wagons remplis de poches de sang pour les blessés restent immobilisés faute de locomotives disponibles. Quand un inconnu se présente en déclarant avoir perdu ses papiers, Zotov l'accueille avec sympathie. Mais petit à petit, le doute s'installe : et s'il aidait un espion dans sa tâche ?



« Pour le bien de la cause » : c'est l'excuse que l'on sort à une poignée d'étudiants. Entassés dans des locaux étroits depuis des mois, ils ont pris sur leur temps de vacances pour construire eux-mêmes le nouveau bâtiment qui devait les accueillir. Mais une fois celui-ci terminé, il est brusquement réalloué à un autre organisme, plus prestigieux. Mais un bon étudiant communiste a-t-il le droit de crier à l'injustice contre le comité ?



Ces trois nouvelles brillantes nous plongent au cœur de la Russie, tiraillée entre l'espoir qu'a apporté le communisme et les contradictions qu'il crée sur le terrain : exclusion, méfiance généralisée, injustices. Et pourtant, ce qui se dégage des textes de Soljenitsyne est tout le contraire : la compassion, la solidarité coûte que coûte, même contre le système censé l'instaurer, et une joie de vivre qui ne peut pas laisser indifférent.
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L'Archipel du Goulag

Moi, L.Gregorievna Raspoutine, déclare tout d'abord qu'il ne s'agit pas de mon nom véritable mais que je me devais dans un élan patriotique adopter un nom russe et renier par cet acte ma famille que je dénonce d'ailleurs comme étant antisoviétique ! Vous n'aurez qu'à leur faire subir l'instruction pour vous rendre compte qu'ils ne sont pas éduqués comme devraient l'être tout bon citoyen soviétique ! Rendez-vous compte, mon père se rendait tous les dimanches à l’Église dans ma jeunesse ! N'est-ce pas honteux !!! Et ma mère travaillait comme femme de ménage chez des bourgeois à l'étranger, elle est donc forcément corrompue par leur idéologie capitaliste !!! Quant à moi, L.Gregorievna Raspoutine, je devais forcément être coupable de l'éducation de mes parents ! Heureusement que notre Chère Patrie a mis en place le redressement par le travail !!!! Désormais, je me sens digne de notre grand pays !!

Étant fille d'ouvriers, je ne peux bien entendu qu'épouser le communisme ! Et mon seul rêve est de rejoindre le Parti, même si je sais que cette gloire me sera à tout jamais inaccessible de par l'acte d’accusation qui pèse sur mes épaules. Mais je me dois de le porter non pas fièrement cet acte d'accusation, bien entendu !! mais bien honteusement ! Le Parti a eu raison de m'arrêter à la sortie de l'Université et il a bien fait d'arrêter tous mes camarades !!! En effet, je me suis rendue compte dans le camp qu'il n'y a aucun innocent ici ! Tous coupables oui, quoiqu'ils en disent !!! Même moi, coupable ! Le Parti a toujours raison. Tous ceux qui disent le contraire sont des traîtres à leur Patrie et mériteraient d'être fusillés ou du moins d'être envoyés aux travaux généraux qu'ils servent au moins à construire notre Grand Pays ! Ils ne méritent même pas leur pain sec !!!!

Quant à moi, je ne peux qu'être reconnaissante d'avoir été envoyée grâce à mon cher Protecteur K. Kalachnikov. à l'usine où j'ai travaillé fièrement pour notre Chère Patrie. D'ailleurs je me dois de vous signaler le comportement de certains de mes camarades. K. Khrouchtchouk, a délibérément saboté le travail collectif en volant un chiffon !!! Et K. Khroutchak mériterait le cachot pour s'être assis pendant ses 10h de travail !!! Je n'hésiterai pas à revenir vers vous dès que j'aurai un autre élément douteux à vous signaler !!!



PS : Je vous remercie de prendre soin de l'enfant que vous avez confié aux bons soins de notre Chère Patrie ... Je suis fière de savoir qu'il sera allaité des mamelles de la Patrie, qu'il aura la chance de devenir un bon communiste et qu'il pourra servir un jour et pour toute la vie fidèlement la Patrie !!!



Libération anticipée pour bon travail de L.Gregorievna Raspoutine.



L.Gregorievna Raspoutine aura donc fait son temps après sa lecture des Quatre Parties de l'Archipel du Goulag relatives à l'industrie pénitentiaire (l'arrestation, l'histoire de nos canalisations, l'instruction, les liserés bleus, première cellule premier amour, ce printemps-là, la chambre des machines, la loi-enfant, la loi devient adulte, la loi dans la force de l'âge la mesure suprême, Tiourzak : la réclusion), au mouvement perpétuel (les vaisseaux de l'Archipel, les ports de l'Archipel, les caravanes d'esclaves, d'île en île), l'extermination par le travail (les doigts de l'Aurore, l'Archipel surgit de la mer, l'Archipel envoie des métastases, l'Archipel se pétrifie, les fondements de l'Archipel, V'là les fascistes !, la vie quotidienne des indigènes, la femme au camp, les planqués, en guise de politique, les bien-pensants, bzz! bzz! bzz! , on prend les mêmes et on recommence, changer le destin!, chizo, bour, zour, les socialement proches, les mouflets, les muses au Goulag, les zeks en tant que nation, les chiens au travail, le monde qui gravite autour des camps, nous construisons), l'âme et les barbelés.



L.Gregorievna Raspoutine peut désormais rejoindre la vie civile, mais il n'est pas exclu qu'elle revienne au Goulag finir son temps.



L.Gregorievna Raspoutine rejoindra peut-être une nouvelle et dernière fois le Goulag, car il est toujours possible que le Goulag vous prenne et vous travaille au corps.

L.Gregorievna Raspoutine sera peut-être même heureuse de retrouver son travail, heureuse de construire, par exemple, un mur, comme Ivan Denissovitch. Elle sera peut-être même heureuse de revoir les voleurs avec leur franc-parler, les mouflets et leurs jeux insolents, les crevards si pathétiques, parce qu'ils sont devenus, à la longue, à force de les côtoyer si longtemps (pendant vingt-cinq kopecks !), sa famille. Peut-être même qu'elle rédigera un traité d'ethnologie (voir le chapitre "Les zeks comme nation") afin de parler des hommes nouveaux créés par l'Archipel du Goulag.
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