Invalide de guerre à 50%, Victor Baton, vit avec sa maigre pension de guerre. Il ne travaille pas. Une vie bien triste, faite d’ennui, dans le Paris de l’après guerre. Par tous les moyens, il aimerait qu’on le remarque, il veut tant vaincre sa solitude…Ah si seulement on le regardait, si seulement quelqu’un lui adressait spontanément la parole…Mais non, chacun passe sans le voir..Insignifiant dans son costume élimé. Pourtant il essaye de se faire des amis, d’attire et de retenir l’attention…Une liaison rapide, sans suite, et c’est tout. Bien qu’il soit pauvre, il offre des cigarettes, des repas, « prête » de l’argent à des profiteurs,…et immédiatement se rend compte de son erreur…
Il passe ses journées à errer de sa chambre aux beaux quartiers…des journées au cours desquelles il croisera des regards, des suicidaires, des personnes prêtes à lui donner un peu d’attention..
Victor pourrait être incarné au cinéma par Chaplin…un « Charlot » triste, seul et apparemment sans famille, perdu dans son monde, un « Charlot » attachant toutefois qu’on plaint à chacune de ses aventures, de ses rencontres…Un Charlot qui nous ferait rire jaune…. Il est l’un de ces laissés-pour-compte, dans des vêtements élimés et démodés, dans ce Paris des années folles, …Le Paris bourgeois, des femmes faciles, du luxe, des grands boulevards, du plaisir.
Une jolie femme lui sourit, est gentille avec lui…Quelle belle amitié possible, et pourquoi pas l’amour !! Il ne se rend même pas compte que l’occupation principale cette belle dame est justement de sourire aux hommes, dans ces établissements spécialisés, que Madame Marthe Richard fermera plus tard
Un regard, une cigarette offerte, une personne un peu plus polie que les autres …et immédiatement un espoir d’amitié naît….Et par son attitude inconsciente, par ses mots, il cassera toute possibilité de rapprochement, y compris lorsqu’il tentera de se rencontrer d’autres paumés, de même condition sociale…Ces personnes croisées étaient polies, n’ont nullement recherché une relation d’amitié durable avec lui…il n’en est pas conscient…Il est tellement éloigné des conventions sociales. Il est jaloux du bonheur des autres , et envisage le suicide…réel ou appel au secours ?
Il est insignifiant, n’a aucune place dans cette vie, dans ce Paris qui vit très bien sans lui. Pourquoi personne ne s’intéresse à lui?.
Pourtant il n’est pas timide. A-t-il toujours été ainsi ? A-t-il été traumatisé par cette grande guerre dont il est sorti handicapé ? Emmanuel Bove, ne nous donne pas la clé…A chacun de nous, de la trouver, de la supposer, si on le souhaite.
Une écriture dépouillée mais percutante, faite de phrases courtes. Chacune a sa place, aucune n’est de trop… Un style plaisant qu’on ne retrouve plus..Emmanuel Bove maîtrise avec bonheur le présent ou l’imparfait du subjonctif….Ah ! un peu désuet parfois mais quel bonheur !
Un roman qui a plus de 90 ans mais qui conserve toute sa pertinence et son actualité…Nous croisons, sans les voir, tous les jours des Victor Baton, seuls à l’écart de notre monde…
Un auteur que j’ai eu plaisir à découvrir avec « Le Piège ». Découvrez-le vite si vous ne le connaissez pas.
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