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Critiques de Emmanuel Ruben (114)
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Les Méditerranéennes

Samuel part à la conquête de l'histoire de sa famille, juive et originaire de Constantine en Algérie . A travers cette quête , qui l'amènera dans le pays de ses ancêtres , lui le prof d'histoire du 93, on replongera dans celle de l'Algérie , du XIX ème à nos jours.



Roman ambitieux qui, comme d'autres mêlent la grande et la petite histoire.

Un roman qui met quelques éclairages sur l'histoire de l'Algérie et notamment les relations entre juifs et arabes . Et le rôle , allez disons ambigu, de la France .

L'auteur a pour moi réussi, avec un regard qu'il a essayé de rendre le plus neutre possible, a montré l'évolution des relations entre communautés . Quelle est belle cette image de fraternité sur une place ombragée de Constantine entre des artisans arabes et juifs.

Alors bien sur, on navigue sur les faits inscrits dans les livres , l'annexion française , la discrimination entre arabes et juifs par rapport à la France, les pogroms de 1934, les émeutes du 8 mai 45, la guerre d'Algérie. On vit ces événements à travers les membres de la smala de Samuel, notre narrateur.

Il y a un coté L'art de perdre de Alice Zeniter même si la période française est moins traitée.



Un roman dense , on s'attache à ces personnages que la structure du roman nous oblige sans suspens à voir mourir.

Naviguant entre dialogues et narration , le style ne soulève pas les foules certes mais rend la lecture très fluide et agréable .

Et si les références à la religion juive sont nombreuses , elles ne sont pas envahissantes.

Une très belle découverte.
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Sur la route du Danube

C’est peu de dire que j’ai d’abord adoré ce récit de voyage au rebours du Danube avec tout ce qui fait aimer le genre et même plus. Soit deux fous de la petite reine, une Europe kusturicienne (selon le mot de l’auteur), un parcours à inventer pour suivre au plus près un fleuve au delta capricieux en évitant les grands-routes secouées par des camions furieux, de fréquentes bitures et beaucoup d’acide lactique. Ajoutons à cela une connaissance quasi-encyclopédique de l’histoire des Balkans (et environs) et un amour revendiqué de la géographie capable de lire les paysages d’un œil aussi expert que gourmand. Et surtout une langue riche, bigarrée, exaltée, qui entraîne le lecteur au long cours des 600 pages d’un périple trans-européen.

Mais. Car il y a un mais et même plusieurs.

Suivre un fleuve ne devrait pas empêcher les escapades et autres accidents de parcours. Sans errances, pas de vrai voyage. Or, si Emmanuel Ruben change parfois d’itinéraire, il maintient le cap : sous le roman-fleuve, l’intention.

Commençons par le péché véniel : la vitesse. Vlad et Emmanuel aiment avaler les kilomètres et ne se déroutent pas quand la moyenne est en jeu.

Mais cette obsession à respecter un programme établi a moins à voir avec la nécessité qu’avec les préjugés. L’auteur juge sévèrement l’Europe, forteresse cadenassée qui oublie ses origines métissées pour se vautrer dans le confort bourgeois en réécrivant son histoire. Et il n’a vraiment pas de pot car tout ce qu’il voit et tous ceux qu’ils rencontrent le confortent dans ce diagnostic.

À moins que ce soit moins le pot qui manque que l’ouverture aux autres, comme Ruben finit par le reconnaître dans un mea-culpa inconscient confondant de naïveté : « nous comprenons que depuis Vienne, nous n’avons pas eu de réelle conversation avec un autochtone – il y a eu Mila, la tenancière du Biergarten, du côté d’Ybbs, mais elle venait de Croatie, sinon, chaque fois que nous avons causé avec quelqu’un, c’était pour une transaction commerciale, et les seuls êtres humains qui nous ont vraiment regardés, ce que l’on appelle regarder, avec une curiosité non dissimulée, ce sont ces réfugiés ». Eh oui: revoilà la bonne vieille guerre entre nomades et sédentaires, et Ruben certain que seuls les autochtones sont responsables de son voyage sans paroles ni rencontres…

Il faut dire qu’il pédale aussi à contre-courant dans le but avoué de retrouver son enfance. Et à vouloir chercher ce qu’il est venu trouver, enfance idéalisée et Europe dénigrée, Emmanuel Ruben s’égare de ne pas s’égarer et conforte ses obsessions.

La même maladresse préside à l’organisation du livre. Désireux d’écrire un récit qui épouse le cours changeant du Danube, l’auteur bouscule la chronologie de son périple sans que le livre s’en porte mieux : mais « quelle est la forme idéale que doit adopter un livre sur le Danube ? Doit-il être un atlas, un éventail, un paravent, un millefeuille, un rouleau brut sans chapitres et sans alinéas, un flot de paroles sans queue ni tête, un dictionnaire amoureux, où l’on jetterait l’ancre au petit bonheur la chance ? En tout cas, pas un livre qui commencerait par un début et se terminerait par une fin, pas un livre se déroulant comme un long fleuve tranquille, de la source à l’embouchure. ». Emmanuel ne déroge ni à ses plans ni à ses a priori : il a décidé que la chronologie ne convenait pas au Danube, que les Européens n’aimaient pas les étrangers et qu’il était nécessaire de faire chaque jour le kilométrage prévu.

Alors, normalement, cet entêtement devrait m’exaspérer au plus haut point. Et pourtant, malgré tout, la magie opère. «La vie nomade est un enchantement de tous les instants, car c’est une vie réglée sur la rotation terrestre. Se coucher avec le soleil et se réveiller avec lui : les voyages au long cours ont ce pouvoir de nous raccorder aux grandes orgues du cosmos et de nous rappeler que nous ne sommes que de la poussière d’étoiles s’agitant dans le vent ; tout le charme du bivouac est dans l’allégresse de ces retrouvailles avec les éléments bruts composant le chant premier du monde ; rien d’autre ici que le feu du soleil, l’argile de la terre, l’eau du fleuve et le bleu du ciel. À 6 heures pétantes, nous avons enfourché nos bécanes. Notre premier regard a été pour le Danube en contrebas et pour cet astre éclatant qui paraissait renaître du fleuve où il s’était noyé hier, comme si, tandis que nous dormions sous nos toiles de tente à l’abri de l’orage, lui passait la nuit drapé dans le lit fluvial, sous le duvet cendré des saules. »

Et toc. 4 étoiles.
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Les Méditerranéennes

L'Algérie et son histoire constituent la trame de fond du roman qui met en scène la communauté juive de Constantine du 19e siècle la fin de la guerre d'Algérie, ensuite s' y mêle l'histoire individuelle, personnelle du présent du narrateur Samuel.

La communauté musulmane est évoquée en miroir, les colons sont présents dans le récit et détestés, les liens d'amour et de haine qui sont tissés ou pas entre les différents groupes qui se côtoient dans la ville aux ponts suspendus.

Ce sont des récits familiaux intergénérationnels, les femmes de la famille, la tante, la grand-mère, se succèdent et transmettent à Samuel, les légendes, les histoires familiales les incluant dans la grande histoire.

C'est l'éternel questionnement de l'identité et des origines de la communauté juive d'Algérie, le rôle des femmes et des hommes qui ont façonné L Histoire à la lumière des histoires familiales.

Le récit et l'écriture sont très denses, une logorrhée, c'est alors l'occasion pour le narrateur de mettre en scène toute une galerie de portraits de personnages qui défilent sous nos yeux, en grand nombre (on peut parfois s'y perdre), c'est tantôt le récit de la fameuse Kahina, femme berbère, rebelle et guerrière, d'autre fois la circoncision du petit enfant devenu l'oncle, métèque accoutré de son fidèle caméléon qui se fond dans le décor et se confond avec lui, les tantes, les grands-mères sont aussi de la partie et bien d'autres par la suite, et bien sûr les ponts suspendus de Constantine sans oublier les chandeliers symboliques.

Pour la partie historique du roman, certaines scènes sont bourrées d'humour, d'autres moins, notamment quand il est question de la grande guerre et les violences commises de part et d'autre durant le 20e siècle en Algérie, la guerre, les rivalités, les meurtres, les conséquences de la colonisation.

En 2019, après les récits historiques, Samuel part en quête de ses origines, il nous fait découvrir la Constantine actuelle et les traces laissées par ses aïeux, témoins de l'Histoire. Se mêlent alors le présent et le passé qui resurgit au détour d'une ruelle en ruine, d'un monument, d'un ancien bâtiment, d'un édifice religieux.

A travers cette quête on découvre un roman qui nous fait découvrir une partie peu connue de l'Histoire de la communauté juive, les rapports de force avec l'assujettissement des uns dans une Algérie dont l'histoire est traversée par la violence, la domination des autres et l'histoire individuelle et familiale de certains.

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Sur la route du Danube

Sur la route du Danube est un grand récit d'arpentage. Emmanuel Ruben à quatre cordes à son arc.

Il est un géographe doublé d'un écrivain.  Comme si cela n'était pas suffisant il est aussi  dessinateur et cycliste émérite.

La corde dessinateur ne servira pas le long de cet d'arpentage car Emmanuel Ruben à pris le parti de profiter de cet arpentage de 45 jours et d'être entièrement dans l'instant et le quotidien.

Quel est donc cet d'arpentage ?

Avec un ami russe - ukrainien , Vlad ,ils ont décidé de remonter le Danube à  vélo de son delta à sa source.

Soit 2 900klms depuis Odessa en Ukraine jusqu'à la source du Danube en Allemagne.

Emmanuel Ruben enfant du Rhône et maintenant gardien de la maison Julien Gracq  aux bords  de Loire, est fasciné par les fleuves.

Voici ce qu'il en dit :

" La vue, même éphémère, même fugace, d'un fleuve aux flots vifs nous apaise ou nous dynamise et redonne sens à nos efforts : comme lui nous savons que nous sommes mortels, mais comme lui nous espérons nous élargir avec l'âge,  chaque année nous gagnons en sérénité  ; comme lui , nous nous souvenons de notre source sans nous languir pour autant  de l'avoir désertée  ; comme lui, chaque épreuve  nous élargit .....

Le fleuve ne vient pas les bras vides jusqu' au rivage, il apporte les preuves de son labeur ; il arrive les bras chargés d'allusions, qu'il offre comme un présent  au continent qui le retient et comme un défi  à  la mer qui le délivre  ; chaque jour, il repousse son terme et chaque jour le delta s'agrandit.

Ce récit d'arpentage est donc une grande déambulation le long du Danube et à travers  10 pays qui constitue le bassin versant du Danube.

Ce qui fait la force de ce récit c'est l'imbrication de la géographie,  de l'histoire, des paysages et des hommes.

Surtout les hommes et les femmes que rencontrent Emmanuel Ruben

Au travers de ces rencontres , on comprend mieux cette Europe Centrale multi ethnique qui nous apporte les parfums du Moyen Orient et de l'Asie

On comprend aussi que ces parfums orientaux ont comme autres noms guerre, migrants , réfugiés et que le Danube est un melting pot humain incroyable et que si ce melting pot existe c'est que les hommes ont divisé ces régions sans tenir compte de l'entité Danube.

Comment un fleuve peut il être une frontière entre trois pays alors que ces rives et ses plaines alluvionnaires font vivre les mêmes groupes d'homme

Cette reflexion nous ramène à  l'Europe d'aujourdh'ui qui est le calque de l'histoire. Les frontières ou les limes comme le dit Emmanuel Ruben restent les mêmes.  On les habille au fil des siècles de nom de pays différents, mais le bassin du Danube reste la porte d'entrée de l'Europe et son creuset.

Que cette région fut le lieu des guerres contre l'empire ottoman, le lieu des guerres de l'ex Yougoslavie ou aujourd'hui  avec la Hongrie , la porte d'entrée dans l'espace Schengen.

Comme le dit Emmanuel Ruben nous restons sur le vieux schéma politico économique du Rhin, axe du charbon et de l'acier.

Dorénavant l'axe européen suit les rives du Danube.



Je ne voudrais pas terminer cette chronique sans parler de l'extase géographique.  En quelques lignes Emmanuel Ruben nous décrit le mieux qu'il soit le sentiment que je peux ressentir dans un lieu

" Je ressens ce que j'appelle l'extase géographique,   qui est ma petite éternité matérielle,  éphémère,  mon épiphanie des jours ordinaires : oui, l'extase géographique,  c'est le bonheur soudain de sortir de soi, de s'ouvrir de tous ses pores, de se sentir traversé par la lumière,  d'échapper quelques instants à  la dialectique infernale du dehors et du dedans"

Ce récit d'arpentage est tout cela avec une ouverture de toutes ces pores sur ce Danube,fleuve des hommes , de tous les hommes.

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Sur la route du Danube

Ce livre a du souffle, il nous emporte. Une fois la lecture commencée, difficile de la lâcher. J'ai avalé les 600 pages foisonnantes en 2 jours. Très vite. Beaucoup trop vite.

Ni le titre, ni la couverture ne laissent deviner l'ambition de l'auteur. Impossible de le réduire à un récit de voyages. le regard est celui d'un cycliste chevronné mais plus encore celui d'un géographe, celui jamais pesant d'un historien et d'un passionné de géopolitique, la plume est celle d'un écrivain et d'un poète et l'érudition celle d'un amateur éclairé avide de connaissances et de commentaires.

Partis d'Odessa, Emmanuel et Vlad, vont traverser 10 pays à vélo le long du Danube d'est en ouest jusqu'à Strasbourg. Ce ne sont pas des novices. Ils connaissent déjà cette Europe de l'est. le Danube sera le fil conducteur à travers le flux des divers peuples, des langues, des histoires.

La richesse de l'entreprise se trouve dans les plus humbles rencontres, dans les lieux les plus improbables, un « pays de la lenteur… où les eaux s'écoulent souvent dans un paysage hors du temps, dans une Europe rurale et périphérique…Tel patelin bulgare ou ukrainien dont nous ignorons tout, peut revêtir autant d'importance que telle métropole allemande ou autrichienne dont nous croyons tout savoir. »

C'est une oeuvre personnelle et engagée. Un pamphlet contre l'Europe actuelle, une «Europe suissisante», contre la « kakanie bruxelloise », une Europe qui se trompe sur ses valeurs. La charge est portée sans nuances.

Au fil de l'eau j'ai aussi enrichi ma bibliothèque de références de Jean Bart (Eugeniu P. Botez) à Istrati, de Canetti au Dictionnaire kazhar, de Tisma à Claudio Magris. C'est un voyage littéraire élégamment commenté.

Le texte se termine par un feu d'artifice convoquant chaque rencontre, chaque petit peuple oublié, chaque communauté abandonnée au Parlement de Strasbourg où, supplantant « l'Europe rhénane du charbon et de l'acier » le Danube exprimerait pleinement la richesse de l''Europe.



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Les Méditerranéennes

Le roman s'ouvre sur la fête de Hanoukkah, la fête des lumières en décembre 2017 à Lyon dans une famille juive exilée. A cette occasion le chandelier familial s'illumine bougie après bougie, moment pendant lequel des membres de la famille se remémorent leur histoire.

Samuel, le petit-fils de Mamie Baya, écoute religieusement tous ces récits, et cinquante sept ans après l'exode des siens, il s'envole en décembre 2019 vers cet arrière pays qu'il ne connaît pas. Est-ce là l'archipel intérieur qu'il cherche depuis ses jeunes années ?

Ce roman, comme nous confie Emmanuel Ruben, est "partiellement et librement inspiré de l'histoire réelle de sa famille maternelle. "

J'ai dévoré ces pages sur l'histoire de cette famille s'inscrivant dans la grande histoire des juifs d'Algérie. De multiples informations sont venues compléter mes lacunes sur le sujet, thème si tabou encore j'ai le sentiment !

Merci Emmanuel Ruben pour ce travail colossal d'écriture et de recherche, merci, votre livre devrait être lu dans tous les lycées d'ici et d'ailleurs.



" Ce livre qui rend la parole à toutes les femmes juives de la famille, à toutes ces Méditerranéennes qui portaient le monde sur leurs épaules et le pays perdu dans leur ventre. "
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La ligne des glaces

Ce roman à l'écriture poétique est difficilement classable et sans me déplaire vraiment, j'ai fini par trouver les cent dernières pages laborieuses à lire (sur un livre qui en comporte environ 300, c'est quand même beaucoup !).



Samuel Vidouble , jeune diplomate se porte volontaire pour une mission aux frontières de l'Europe de l'Est dans un pays qui, s'il n'est jamais vraiment cité ressemble fort à la Lettonie.



Il a choisi cette destination en grande partie sur un rêve de gosse : il s'était inventé un pays imaginaire au bord de la mer Baltique.



Et le roman est à l'image de ce choix, entre pérégrinations hasardeuses, souvent alcoolisées et onirisme dans un pays plongé dans un hiver interminable et qui se sent en permanence menacé par son géant et encombrant voisin .



Lorsque le dégel arrive enfin, la gangue de glace qui retenait les eaux des fleuves et de la mer, en fondant fait disparaitre également le fil de la raison de notre héros qui erre entre le passé douloureux du pays et les rêves cauchemardesques ...



Rencontre intéressante avec Lothar, un Suisse à la recherche des derniers Lives et féru de sagas mais qui n'a pas plus les pieds sur terre que Samuel ...



Ce qui parait au départ une réflexion sur le hasard , voire l'inanité des frontières se transforme assez rapidement en errance alcoolique.
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Sabre

Quelle facette du nouveau livre d'Emmanuel Ruben mettre en avant. Sabre est un roman multiforme et protéiforme.

Comme dans son précédent roman Sur la route du Danube , Emmanuel Ruben prend prétexte d'un objet pour nous faire voyager dans le monde, la géographie,  l'histoire mais aussi la littérature  .

L'objet de Sur la route du Danube était  le vélo et le Danube. Objet qui nous a permis  tout en remontant le Danube de réfléchir à  l'histoire des Balkans, de la MittelEuropa  ou encore de ka place des migrants dans nos sociétés.  Emmanuel Ruben était  lui même  sur le vélo.



Pour Sabre il a pris son double littéraire,  Samuel Vidouble( !! ) pour nous raconter l'histoire d'un sabre familial jadis accroché  dans la maison familiale et alpestre des grands parents.

Cette recherche du sabre et de son histoire est le prétexte  à la mise en perspective de ce roman multiforme.

Emmanuel Ruben nous entraîne dans une saga familiale truffée de secrets, de non dits.

Cette saga familiale  qui déclenchera grâce à une imagination débordante, une histoire vraie-fausse ou rêvée  de Victor Vidouble de Saint Pesant. C'est drôle et enlevé.

Si ce n'était que cela, le roman serait déjà réussi . Mais il est plus .

Sous les traits de Samuel Vidouble,  Emmanuel Ruben nous parle de lui. De ce prof d'histoire géographie confronté aux mondes d'aujourd'hui mais aussi à sa jeunesse iséroise  et à cette famille originaire des montagnes alpines et d'un monde rural entrain de disparaitre.

La recherche du sabre l'a conduit dans les pas violents de la Révolution, des champs de bataille de l'Empire. C'est violent,  sanguinolant et les victoires sont souvent des défaites.

On croisera Bernadotte, Bonaparte, De Gaulle. On voyagera à Dieppe, Moscou, Alger ou encore  Berlin.

Il sera difficile de dénouer le vrai de la fiction mais est ce important  ?

On s'aperçoit  que les chimères et les réalités de l'histoire disent une grande part de la réalité de notre époque.

" Et, tandis qu'ils obtempéreront sans broncher, tu saisiras  sur le bureau la grande équerre jaune des profs de maths, histoire de te donner une contenance,  mais, croisant le regard de Salie au premier rang, tu reposeras l'éq'uerre aussitôt,  penseras une dernière fois à cet enfant seul le soir, dans la salle à manger de ses grands parents, les yeux rivés  vers ce sabre fêlé,  ce bijou de famille qui le croisait, pointait les ténèbres  et lui indiquait, telle l'aiguille d'une  boussole intime, la source infinie du péril "



Un livre remarquable alliant histoire, réflexion  mais aussi drôlerie et imagination.






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Sabre

"Ce qu'il y a de plus terrifiant avec les objets, c'est qu'ils nous trahissent et nous survivent"

"Ca me turlupine depuis longtemps : on se transmet des objets qui ont une durée de vie plus longue que la nôtre. On a l'habitude de penser qu'ils nous évoquent des souvenirs. Pour moi, ils nous rappellent juste que nous sommes mortels." Emmanuel Ruben. Exécuteur testamentaire de Julien Gracq.



Vous pensez bien que si je réagis à cela, c'est sur les deux plans, à la fois personnel et général. Comme disait Tolstoï, un objet parce qu'il est objet ne peut pas nous trahir à proprement parler, je présume que Ruben parle de ses objets, qu'ils seraient marchands ou de famille. Enfin voyons, un objet de ce point de vue n'existe que par l'intérêt qu'on lui porte. "On a l'habitude de penser qu'ils nous évoquent des souvenirs". Ben oui, je l'imagine si bien que je vais au dela de sa pensée, je veux tout garder de mon univers personnel qui m'accompagne donc : c'est chez moi, j'ai un sentiment de possession inaccoutumé, à cela rien d'extraordinaire, je ne me soucie aucunement de savoir s'ils ont une valeur au delà de mes propres yeux ; je ne vais jamais chez Kiloutou ou amazone tous les quatre matins pour vendre ma trotinette ou mon fauteuil paille d'enfant. Mes objets c'est moi, voilà tout, c'est simple cela, sinon je serais moine. Il est bien clair ici que mes objets sont ma vie propre. Déjà pour ce qui nous concerne, le livre, je n'aime pas le livre des autres : je n'emprunte jamais et je n'en prête plus du tout parce que la plupart du temps les gens les gardent et cela m'est pénible ! J'ai même longtemps préféré le neuf, car j'aime bien quand ils ont leur parfum de neuf, que c'est moi qui suis le premier à l'ouvrir et à le malaxer comme "je me souviens" de mes livres d'écolier .." Et si des livres prennent le chemin de la cave, alors c'est très mauvais signe pour eux, il me semble qu'ils ne sont plus rien !..



Bon d'abord dans ma jeunesse, j'ai jeté mon dévolu sur des objets dont heureusement certains ont survécu et sont près de moi, parce que je suis matérialiste. J'ai quelqu'un de ma famille par exemple qui n'en a rien à secouer des objets, en particulier ceux des autres pour commencer quand on en fait soi-même les frais !



Moi je me les suis appropriés sans tarder, ils n'étaient pas à moi mais juriquement seulement. Donc de ceux-là et c'est mon regret, la plupart de ceux que j'aimais, le temps pour trente-six raisons me les a détournés de leur destination, comme un vol. Si j'avais su, je les aurais confisqués tout de suite, et pourtant il n'y avait pas de doute qu'ils me reviendraient un jour. mais penser que notre famille a toujours cela en tête, et puis il y a des tiers qui arrivent dans le paysage qui ne l'entendent pas de cette oreille et ne sont pas censés avoir à l'esprit que tels objets en particulier ont une hypothèque (affective) sur eux.



Je ne sais pas si je reste jeune dans ma fidélité aux objets, mais j'ai l'impression moins jeune qu'il en sera toujours ainsi !



Maintenant qu'est-ce qu'on croit des objets, qu'ils sont animés, qu'on peut les personnifier ? Ils ne prennent de valeur qu'à nos yeux bien souvent.



C'est le grand peintre Morandi qui donnait une seconde chance aux objets : il récupérait un tas d'ustensiles désuets, livrés bien souvent au rebus. Bon chez lui ce n'était pas non plus la caverne d'Ali Baba, d'ailleurs il prisait plus certains objets que d'autres que l'on voit reproduits dans ses toiles, il les faisait vivre carrément, leur donnait une autre tonalité, un autre rang dans l'ordre de ses songes. de manière évolutive et exhaustive. Les objets lui permettaient d'accéder au beau, un véhicule de transport vers l'absolu. Ils étaient certes beaux en soi, mais qu'en a-t-il fait ? C'est génial.



Moi, ils ne me rappellent pas du tout que nous sommes mortels. A part sur le terrain marchand en vogue où là il est sûr qu'ils vont passer entre d'autres mains sans état d'âme aucun. Je regrette juste ceux que j'ai perdus et que ça échappe à toute volonté en fait. Ils sont probablement morts ailleurs, personne ne les regarde, voire cassés, détruits, jugés encombrants comme des vieux cartons ou des bouteilles vides. J'ai bien sûr de l'amertume de ne pas les voir, de ne plus les voir, et là aussi le temps fait son effet, car certains sont désormais frappés d'oubli total, et c'est certainement mieux ainsi. Et puis il ne faut pas exagérer la portée de leurs souvenirs, on n'est pas chaque jour en train de se lamenter sur la disparition de ces objets. Ca n'a rien à voir avec les bêtes, nos chers compagnons. Ou alors si, quand c'est un cadeau qu'on m'a fait, je pense à celle qui m'a offert Autant en emporte le vent de chez Gallimard et j'y tiens comme à la prunelle de mes yeux. Ou alors aussi tout ce dont à quoi j'étais, je suis, attaché personnellement, les livres, ma bibliothèque, mes peintures, et puis bien sûr les photos de famille, une propriété dans mon pays natal. Et tout cela m'accompagnera jusqu'à la fin de mes jours, et je sais qu'après ils n'auront plus de maître, ils seront tôt ou tard, le plus tard possible evidemment, livrés à la mort. Qui d'autre que moi peut avoir le même intérêt à mes choses personnelles ? personne, même si je ferai en sorte qu'il y ait un héritier de confiance et estimable. Mais aller dire que les objets nous trahissent et nous survivent, c'est un pure vue de l'esprit. Je ne m'accorde juste qu'une chance, celle que je ne dévalue pas trop après ma mort, en tout cas pas tout de suite. Basta !



Les souvenirs ben oui : les objets ont même une âme, mais c'est la nôtre qui se projète sur eux
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Sur la route du Danube

Emmanuel Ruben, écrivain européen de langue française comme il se définit lui-même, remonte le Danube à vélo avec son ami Vlad, d'Odessa à la source du fleuve. On découvre avec eux les conditions météorologiques et les difficultés de la route mais surtout des paysages magnifiques. C'est l'occasion à chaque étape de comprendre le sens des noms de lieux, de visiter musées, sites et monuments historiques - souvenirs de l'empire romain aux guerres contemporaines - de goûter aux mets et boissons locaux, surtout de rencontrer les gens. Une vue de l'Europe actuelle loin du pays imaginaire , la Zyntarie, que l'auteur avait tracé enfant.

Lecture indispensable à la veille des élections européennes pour qui aime la littérature et les voyages.
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La ligne des glaces

Le géographe Samuel Vidouble (le double de l'auteur) fuit l'Ouest qui a pris pour lui la figure d'un "cauchemar aseptisé" et a décidé de se refaire une santé mentale dans les marges septentrionales de l'Europe. Retenu pour un stage dans une ambassade, il pose donc ses bagages dans un pays qui ne sera jamais nommé, mais qu'il dit être sur les rives de la Baltique. Quelques indices semés ça et là – la présence aux frontières d'un grand voisin menaçant – nous laisse penser qu'il peut s'agir d'un pays balte. Un ultime indice en page 64, la date de la fête nationale, permettra au curieux de mettre un nom sur ce pays. L'ambassade lui confie la tâche de rédiger un rapport sur la frontière maritime dudit pays. Et c'est parti pour une rencontre avec une géographie, une histoire, un peuple, des femmes, un climat.

L'écrivain-géographe se révèle être un poète, un peintre des lointains et des rêves. Beau livre !
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Sabre

Sabre Emmanuel Ruben publié chez Stock.

Attirée par la première phrase:« Il y avait autrefois dans la salle à manger des grands-parents, un sabre de modèle inconnu, que je n'ai jamais manié, jamais soupesé, pas même caressé» je me suis plongée dans ce roman. Samuel de tout gosse a été fasciné par le sabre accroché au dessus du poêle. Il a écouté béat les aventures de V.V R.L l' aïeul vénéré Victor Virouble Roi des Lives.narrées par les anciens. Alors lorsqu'après les obsèques de son grand-père il constate la disparition du sabre son monde s'effondre... ou presque!

Comment reconstituer l'histoire familiale sans lui? Où le chercher? Au près de qui obtenir des informations? Et puis l'idée lumineuse surgit: " Les hommes d'hier n'étaient pas comme aujourd'hui traqués par toutes ces machines qui pourront retracer dans le futur chacun de nos mouvements, chacun de nos faits et gestes, ces machines où nos pensées, nos peurs, nos mensonges, nos erreurs seront gravés pour l'éternité – alors, je crois qu'ils inventaient beaucoup, et le meilleur moyen de leur rendre hommage, je le sais désormais, ce sera d'inventer à mon tour" (p45).

Tout semblait sourire à la lectrice que je suis , une bonne histoire, un auteur à l'imagination foisonnante, une région que je connais mal... Malgré toute ma bonne volonté je n'ai pas adhéré à ce récit. le désintérêt suivi d'un profond ennui m'ont conduit bon an mal an à la fin de cette escapade en la bonne ville de D***.

Merci aux éditions Stock pour ce partage

#Sabre #NetGalleyFrance
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Les Méditerranéennes

C'est un roman intéressant que nous propose Emmanuel Ruben avec Les Méditerranéennes.

Utilisant des fragments de son histoire familiale, il nous raconte des fragments de l'histoire de l'Algérie française, vue du point de vue des juifs d'Algérie, berbères enracinés depuis des siècles dans le pays, assimilés relativement rapidement par la France malgré quelques pages peu glorieuses, puis arrachés à leur pays du fait de la guerre d'indépendance pour être rapatriés dans une patrie qui leur était très virtuelle.

On apprend beaucoup, et l'on songe à cette histoire d'amour et de haine entre l'Algérie et la France, qui se raconte comme celle d'un couple divorcé dans la souffrance, marquée par des épisodes douloureux qui ont pris le dessus sur un quotidien d'un calme trompeur. Dans cette histoire, les juifs d'Algérie tiennent une place bien à eux, place qui offre un éclairage particulier fait de douleur, d'ambigüité parfois, mais aussi d'espérance.

Fragments, familiaux, fragments historiques; le récit est peut-être trop fragmenté pour permettre le développement d'une véritable puissance romanesque. Un livre intéressant donc, mais qui laisse un peu sur sa faim.

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Les Méditerranéennes

Une formidable fouille généalogique, en couleurs, en saveurs et en drames, dans les plis et replis d’une ascendance juive algérienne, et dans les failles mémorielles qui l’affectent aujourd’hui, ici et ailleurs.



Sur le blog Charybde 27 : https://charybde2.wordpress.com/2022/09/12/note-de-lecture-les-mediterraneennes-emmanuel-ruben/



Depuis presque une dizaine d’années maintenant, Samuel Vidouble, l’alter ego malicieux, torturé et doté d’une imaginative curiosité sans bornes, de l’auteur Emmanuel Ruben, nous entraîne sur les chemins savoureux et néanmoins fort sérieux de ses aventures personnelles dans les méandres de la géopolitique contemporaine et de l’Histoire, intime, familiale ou mondiale. Après avoir arpenté les pays baltes (« La ligne des glaces », 2014) et l’Europe de l’Est (« Sur la route du Danube », 2019), fréquenté les eaux ambiguës d’un archipel nommé Israël et Palestine (« Sous les serpents du ciel », 2017) et enfin exploré les lignages et les fantasmes fondateurs de la branche paternelle, protestante et grenobloise, de son ascendance (« Sabre », 2020), le voici propulsé en quête d’une meilleure compréhension, peut-être, de la branche maternelle, juive algérienne (constantinoise, pour être précis, et ce lieu-là sera particulièrement important) désormais ramifiée un peut partout en France. Bien sûr, cet héritage-là était déjà central dans le magnifique et fondateur « Kaddish pour un orphelin célèbre et un matelot inconnu » de 2013, mais l’enquête généalogique n’y était pas de même nature : il s’agit désormais (même si le prétexte saisi, comme souvent chez Samuel Vidouble, est celui d’une tentation amoureuse) de chercher dans l’histoire familiale les ressorts d’une situation mémorielle qui la dépasse, et qui englobe ainsi bon nombre de failles contemporaines et de traumatismes résistants même lorsqu’ils ne s’avouent pas comme tels.



Il faut un grand talent de conteur et d’imagination des interstices, précisément, pour faire ainsi revivre, en transmutant les souvenirs familiaux racontés par les grand-mères et grand-tantes, elles-mêmes dépositaires d’une tradition qui confine souvent, mi-joueusement mi-sérieusement, à la mythologie, une histoire intime ainsi inscrite méticuleusement dans la « Grande », où elle exprime toute son humanité, dans les bons et dans les mauvais jours.



La conquête de l’Algérie par la France (traitée dans les chapitres « Constantine novembre 1836 » et « Constantine novembre 1870 »), s’attachant à ce berceau que fut la ville des ponts suspendus, où Juifs et Arabes partagèrent longtemps ensemble le joug colonial, sans animosité particulière entre eux, fait bien figure de fondation oubliée (ou occultée), que le rappel de la dénaturalisation des Juifs algériens par le gouvernement pétainiste, malgré le sang patriotique largement versé au préalable (« Constantine août 1914 »), ne suffit pas à réveiller vraiment – car le terrible pogrom de l’entre-deux-guerres a déjà alors laissé sa marque quasi-indélébile (« Constantine août 1934 »).



À cette échelle, les étapes suivantes du chemin familial ne sont déjà plus que des formes de conséquences (même si elles ne comportent sans doute pas, intrinsèquement, de fatalité), celles d’un ajustement des perceptions de l’histoire qui survient à un ciment préalable désormais solidifié autour de nouvelles fondations mentales partagées : les massacres de musulmans à la fin de la deuxième guerre mondiale (« Guelma mai 1945 », comme en écho à ceux, beaucoup plus massifs, perpétrés au même moment à Sétif – et dont beaucoup d’historiens s’accordent désormais à faire un ferment essentiel de la « guerre d’Algérie »), l’insurrection elle-même (« Guelma juillet 1957 ») et l’exode final (« Algérie France avril 1962 », où déjà le rôle central de l’OAS s’efface dans la mémoire familiale devant celui du FLN), retrouvant les accents si poignants et cruels, dans le même contexte, appliqué à des populations différentes, du Mehdi Charef du « Harki de Meriem » ou de « 1962, le dernier voyage », voire, de manière plus surprenante mais désormais comme logique, la guerre du Kippour (« France Israël octobre 1973 »), la décennie noire algérienne (« Banlieue lyonnaise décembre 1997 ») et les attentats de l’État Islamique en France (« Paris janvier-novembre 2015 »), ne seront plus lus, essentiellement, qu’à l’aune d’un prisme familial mêlant indissociablement histoire objective et mythologie subjective.



Comme le Mathias Énard de « Zone » ou le Sébastien Ménard de « Soleil gasoil », quoique d’une manière radicalement différente, Emmanuel Ruben nous offre ici à lire et à ressentir un pourtour méditerranéen tissé de liens et de constantes partagées, de l’Algérie à Israël et du sud de la France aux confins italo-balkaniques, convergence de facto, inscrite dans les pratiques intimes et la vie matérielle, et pourtant convergence que les récits déchirent au fil du temps. Les horreurs réelles, les causes objectives et les causes reconstruites, les aveuglements de la mémoire individuelle et collective concourent à bâtir de solides légendes qui n’ont souvent plus grand-chose à voir avec les faits et leur agencement de hasard et de nécessité.



En confrontant Samuel Vidouble, côté maternel, au pouvoir mythologique du chandelier, après l’avoir exposé, côté paternel, à celui du sabre, Emmanuel Ruben nous offre non seulement un magnifique et terrible récit familial – où l’imagination vient opérer sa magie salutaire – mais aussi une décapante leçon d’écriture de l’Histoire, intime et politique, et de la manière dont les souvenirs devenus évidences, quel que soit leur degré de véracité, mais par leur seule force qui va, structurent notre contemporain.
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Sur la route du Danube

J'ai lu ce livre après la lecture de plusieurs ouvrages de Nicolas Bouvier - dont l'Usage du monde qui m'avait littéralement transportée: en effet, Sur la route du Danube a obtenu entre autres le prix Nicolas Bouvier. Même périple à deux voyageurs , cette fois en vélo , d'Odessa à Strasbourg. Ici la vision de l'Europe, une vision engagée , m'a touchée, ouvert des pistes de réflexions et élargi mon regard (et mon cœur , pour reprendre les mots de l'auteur) . Rencontres , paysages , anecdotes de vécu, confidences , dans un style alternant familier et lyrisme (comme par pudeur ) ... un beau livre dont on ressort grandi !
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Sur la route du Danube

Je me suis laissé entraîner dans cette équipée à vélo, chevauchée effrénée de ces deux Haïdouks, cyclistes et nomades qui remontent la route du Danube de l'Orient vers sa source sur les pas des envahisseurs Huns, Avars, Magyars, Pétchenègues, Turcs....et ceux des migrants Syriens ou Afghans. 



"Vous allez rouler à contresens de Napoléon, d'Hitler et de l'expansion Européenne, mon pauvre ami! Et vous avez bien raison quand on pense comment ces aventures ont terminé!"



Aventure cycliste, sportive, mais aussi littéraire. Emmanuel Ruben écrit comme il roule :  à perdre haleine dans les pistes et les chardons, paresseusement, prenant le temps d'un coucher de soleil ou de l'envol d'un héron. Il connait :



" l'extase géographique, le bonheur de sortir de soi, de s'ouvrir de tous ses pores,  de se sentir traversé de lumière. "



Ambitieux, devant la copie de la Colonne Trajane de Bucarest :



" il faudrait écrire un livre qui s'enroule comme la colonne Trajane, l'hélice de l'Histoire s'enroule en bas-relief où sont gravées les aventures de l'empereur Trajan et du roi Decebale sur les bords du fleuve - oui je voudrais une sorte de rouleau original du Danube, un rouleau sans ponctuation, sana alinéa; sans paragraphe, un rouleau sans début ni fin, un rouleau cyclique, évidemment car c'est cela aussi le Danube."



Partis d'Odessa, les deux compères veulent goûter à la steppe comme les envahisseurs d'autrefois. Ils traversent la steppe,  le delta ukrainien sur des routes dangereuses ou sur des pistes poussiéreuses, traversent la Moldavie



"cinq minutes en Moldavie, une demi-heure à ses frontières"



En Roumanie à  Sulina  (=Europolis)



Sulina



"Au kilomètre zéro du Danube, à la terrasse du Jean Bart, le dernier café sur le fleuve, le capitaine Hugo Pratt buvait une bière. Cela se passait en juillet de l'année 2***"



imagine-t-il comme incipit de son futur livre.



A Galati et Braila il évoque Panaït Istrati et ses romans Nerrantsoula et Tsatsa Minnka ainsi que Mihail Sebastian , "trop juif pour les Roumains, trop roumain pour les Juifs" et son roman prémonitoire L'accident. Dans le Baragan, le vent les freine, projetant les fameux Chardons du Baragan (mon livre préféré de Panaït Istrati). En Bulgarie, à Roussé, ils visitent la maison d'Elias Canetti transformée en studio ou répètent des groupes de rock local. 





Géographie et histoire :



En Bulgarie, il évoque aussi le Tsar de Bulgarie Samuel 1er (1014). Leur passage à Nicopolis est l'occasion de raconter la "grande déconfiture" selon Froissart, défaite des Croisés en 1396.  Souvenirs d'un voyageur Evliya Celebi(1611 - 1682). Visite en Hongrie du cimetière de la bataille de Mohacs (1687).... 







Leur voyage est aussi fait de rencontres :  Raïssa, lipovène parle Russe avec eux. Vlad, le compagnon de l'auteur est Ukrainien, Samuel (le héros) se débrouille en Russe, en Serbe, en Turc et en Italien. Tant qu'ils sont en Roumanie, en Bulgarie et en Serbie, ils se débrouillent bien et ont de véritables échanges avec les piliers de bistro, les passants de hasard qui les aident pour réparer les vélos. Ils passent des soirées mémorables à boire des bières  de la tuica ou rakija, ou à regarder le coucher de soleil avec l'accompagnement d'une trompette de jazz tzigane. Rêve d'une île turque disparue Ada Kaleh, Atlantide qu'ils ne devineront pas, même en grimpant sur les sommets. 



la scène la plus kusturiciene de ce voyage : trois tsiganes dans une charrette tractée par deux ânes remorquent une Trabant









Les routes sont parfois mauvaises. Ils se font des frayeurs avec les chiens errants



Ces chiens sauvages sont les âmes errantes de toutes les petites nations bientôt disparues d'Europe. Le nationalisme est une maladie contagieuse qui se transmet de siècle en siècle et les clébards qui survivront à l'homme porteront le souvenir de cette rage à travers les âges. 



Comme Claudio Magris, ils s'arrêtent longuement à Novi Sad en Voïvodine ou ils ont des amis de longue date, du temps de la Yougoslavie.  mais contrairement à Magris qui part à la recherche des Allemands venus en colons peupler les contrées danubiennes, Ruben reste à l'écoute du Serbe, du Croate, des Tsiganes à la recherche des Juifs disparus dans les synagogues en ruine ou dans le cimetière khazar de Celarevo. Au passage je note dans les livres références Le Dictionnaire khazar de Milorad Pavic, La treizième tribu d'Arthur Koestler (que je télécharge). Je note aussi Le Sablier de Danilo Kis. Inventaire des massacres récents ou moins récents, victimes du nazisme en 1942, ou bombardements de l'OTAN (1999) 



 "délires nationalistes de la Grande Serbie, Grand Croatie, Grande Bulgarie, Grande Albanie....etc.... d'où découlèrent les guerres balkaniques, La Première guerre mondiale et les guerres civiles yougoslaves. La balkanisation est un fléau qui touche chaque peuple et son voisin, une maladie contagieuse qui se transmet de siècle en siècle et de pays en pays : la maladie de la meilleure frontière"



L'arrivée en Hongrie coïncide avec les pluies du début septembre qui les contraignent à traverser la puzsta en train. difficulté de communication, les Hongrois parlent Hongrois (et pas nos deux compères) les rencontres se font plus rares. De même en Slovaquie, en Autriche, en Allemagne, les deux cyclistes n'ont que peu de contacts avec la population germanophone. En revanche, ils ont le don de trouver  des guinguettes, bars ou restos où officient Croates, Kosovars ou Serbes avec qui ils sympathisent immédiatement.







Les pistes cyclables (communautaires) sont plus confortables quand ils traversent l'Autriche mais elle n'ont plus la saveur de l'aventure. Ils croisent même un grand-père de 78 ans et son petit fils de 9ans. Un couple de retraités maintiennent la même moyenne que nos deux champions, grâce à l'assistance électrique. Leurs visites de musées et châteaux se font plus touristiques. Près de Vienne  musée Egon Schiele (mort de la grippe asiatique). Visite du Musée d'Ulm : musée de la colonisation des souabes. Toujours consciencieux ils ne zappent pas le musée de Sigmaringen, ni les autres curiosités touristiques mais l'élan d'empathie n'y est plus. Legoland à Audiville, Europa-park! 





Le périple se termine devant les drapeaux du Parlement Européen à Strasbourg. En route ils ont découpé les étoiles du drapeau européen



un voyage d'automne dans le crépuscule d'une Europe qui a perdu ses étoiles en traquant ses migrants



Il s'agissait bien de parler d'Europe, de faire surgir une autre Europe de cette traversée d'Est en Ouest. En route, en Slovaquie, un monument de ferraille représente le cœur de l'Europe. mais pour l'auteur :



Le cœur de mon Europe bat au sud-est entre Istanbul et Yalta, Novi  Sad et Corfou dans l'ancien empire du Tsar Samuel...
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Sur la route du Danube

C'est en 2016 que Emmanuel Ruben part avec son ami Vlad depuis les steppes d'Europe de l'Est jusqu'à la Plaine d'Alsace via les Balkans, Budapest, Vienne, la Bavière et la Forêt Noire.



Emmanuel nous raconte ces peuples qui s'égrènent le long du fleuve. Il raconte les histoires de ces souabes, de ces lipovènes, de ces magyars et bien d'autres encore dans la Grande Histoire mouvementée de l'Europe.



Il évoque ces écrivains serbes, bulgares, roumains qui ont construit leurs œuvres dans une dimension universelle.



Entre deux étapes éreintantes le long de cette grande voie cyclable, il parle de cette nouvelle Europe où le populisme prend une place de plus en plus gênante. On y croise les migrants d'hier, et ceux d'aujourd'hui.



Par la plume de Emmanuel Ruben, on voit un Danube qui rit et qui pleure en même temps, un Danube qui rassemble comme il sépare. On y entend le clapotis de l'eau comme on entend les canons de Napoléon, les notes de Strauss, ou encore les bombardements de l'Otan sur la Serbie.



Dans cette Eurovélo 6, c'est tout un monde bigarré que l'on peut voir si on s'y arrête un tantinet soit peu.



Vous, qui voulez arpenter les presque 2900 kilomètres de ce grand fleuve, n'oubliez pas de mettre dans vos sacoches du Ruben.



Et les autres, comme moi, qui ne feront pas ce périple, n'hésitez pas à dévorer "sur les routes du Danube", car là vous allez goûter à ce "pays mouvant, sans racines, sans mémoire, sans identité, sans idéologie, un archipel inachevé..."
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La ligne des glaces

Samuel Vidouble, jeune géographe, est envoyé pendant neuf mois comme volontaire international à l’Ambassade de France dans un petit pays aux confins de l’Europe, marqué par les influences de tout le continent, nordiques, germaniques, russes et même italiennes, au bord de la mer Baltique.

Là, l’ambassadeur, qui semble surgir d’un autre siècle, lui confie la mission de proposer une délimitation des frontières maritimes du pays, ligne rouge objet d’un délicat contentieux.



Malgré toutes ses recherches, la mission reste au point mort. Samuel Vidouble visite, sort et s’amuse, séduit et boit beaucoup, mais tandis que l’hiver et le gel recouvrent et figent le pays, il est gagné par un sentiment d’irréalité et en vient à douter de tout, de l’existence de la frontière et même de celle de ce pays, miette d’Europe au nom romanesque et d’un autre âge, La Grande-Baronnie.



«Journées de plus en plus brèves. Neiges de plus en plus abondantes. Novembre avive le sentiment de vivre nulle part. Sentiment doublé bientôt de celui de vivre hors du temps.

Les Anciens jugeaient que le temps s’écoule différemment sur une île. Ce pays – permettez ce sophisme – serait donc une île. Mettons des îles, oui, une espèce d’archipel chimérique inventé par un idiot et situé dans un angle mort de l’Europe.»



La quête géographique s’enlise, mais des replis de cette quête infructueuse et de l’exploration du pays surgissent des fragments d’une Histoire sombre comme de mystérieux avertissements, chiffres bleus tatoués sur un poignet entrevus, exploration de l’ancien ghetto, et leurs résurgences contemporaines avertissant d’une proximité toujours possible de la catastrophe.



«la seule vraie frontière n’était pas sur les cartes, n’était ni naturelle ni arbitraire, n’était pas une ligne rouge imaginaire mais une ligne rouge bien réelle, une frontière profonde historique, mémorielle, corporelle, qui n’avait pas tranché l’Europe car il n’y avait jamais eu d’Europe mais qui avait tranché des bras et des jambes, des cous, des cœurs, des langues et des cerveaux.»



Après la dissolution du sens dans cet hiver monochrome blanc où tout se fige, le dégel est comme une débâcle, les coulées de boue extérieures reflets d’un véritable à-vau-l’eau intérieur ; tandis que ses amis s’amusent, le narrateur se heurte à la difficulté d’écrire, de comprendre vraiment ce dont il est le témoin, renvoyé à ses propres chimères et à sa propre fuite, à moins que cette cécité ne soit une protection contre une trop grande lucidité.



Un récit énigmatique entre rêve et cauchemar, comme si les confins de l’Europe, plaque de glace trop mince, menaçait à nouveau de rompre et de nous précipiter dans le chaos.

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Les Méditerranéennes

Flamboyant! Enlevé, rejouissant! Quelle saga, nous livre Emmanuel (Samuel ?) dans un style fluide et bien rythmé !

En fait, il nous raconte l'odyssée (à travers les siècles) de ses ancetres juifs constantinois. Mémoire orale, parfois mythique , puis transcrite par le personnage principal (beaucoup de l'auteur ?).

Toute l'histoire des juifs en pays chaouis est retracée a travers les mémoires des membres de cette famille, lors des fêtes religieuses, autour du chandelier a neuf branches. Resiliance admirable face aux humiliations successives vécues : pogromes, ou simple racisme ordinaire! La présence francaise est racontée de la conquête au douloureux rapatriement de 1962.

La dispersion, paradoxalement maintient l'unité familiale et crée une nouvelle perception du judaisme, plus moderne ? moins rigoureux ?

L'Histoire se raconte ici par le déroulement de vies quotidiennes, les plats trditionnels préparés avec un cérémonial culinaire respecté, l'anisette phenix : symbole de cette communauté juive solidaire.

Le rythme narratif est enlevé, rien ne traine en longueur, c'est donc un coup de coeur, tant pour le fond, que pour la forme.

5/5.

Vous avez dit "goncourable" ?



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Les Méditerranéennes

Un objet traverse le livre : un chandelier à neuf branches, symbole de l'unité de cette famille juive du Maghreb qui traversa bien des épreuves depuis la colonisation française de l'Algérie datant des années 1830 jusqu'au retour forcé en métropole en 1962.

Le personnage central est la grand-mère du narrateur (et de l'auteur) Baya Reine, incarnant les femmes fortes, ciment de la famille. Elle en est aussi la mémoire, nous livrant ainsi une multitude de portraits de personnages hauts en couleurs. Ses récits remontent aux débuts de la colonisation, alors que le pays était encre sous influence turque. Suivra en 1870 le décret Crémieux qui accordera la nationalité française aux Juifs, en laissant les Arabes dans le  statut  d'indigènes, fracture lourde de conséquences futures. Nous vivrons avec Baya Reine pogroms anciens, révoltes arabes et évidemment la guerre d'indépendance et le retour forcé en métropole de 1962 avec toutes ses immenses difficultés.

Voilà une fresque vivante et colorée, animée des portraits des multiples membres de cette famille juive si diverse, menée avec sensibilité et un beau talent d'écriture. Une petite remarque quant au style : l'auteur abuse des énumérations, une facilité que j'avais déjà remarquée dans ses précédents livres. Mais c'est un détail.

P.S. Note pour l'éditeur, s'il a la curiosité de se promener sur Babelio, ce qui peut parfois être utile : en page 314, une grosse coquille à corriger en 12ème ligne : écrire « qu'elle fut » à la place de « quel fut », ce qui ne veut rien dire.
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