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Critiques de Eugène Guillevic (53)
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Limaille

Cette « limaille » poétique s'agence en un album jeunesse joliment illustré par Hélène Vincent, avec des dessins qui imitent habilement des gribouillages d'enfants. C'est vivement coloré et bien en rapport avec les poèmes qui commencent tous par « c'est ainsi que font » comme pour mieux rappeler la comptine bien connue. Mes deux préférés sont ceux des pages 9 et 10 sur les lunettes et respectivement les livres. Je m'en vais de ce pas les poster dans la rubrique citations.

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Possibles futurs

Il est un âge où l'on commence à apprivoiser l'idée de la mort. La maladie, la fatigue et parfois la terrible solitude nous alourdissent. Pourtant, vieillir n'implique pas forcément de renoncer à la vie. Tout au contraire, cela peut être le temps d'en connaitre enfin le secret, d'en apprécier pleinement les fruits et de compter ses "Possibles futurs".



Le dernier recueil de Guillevic, publié en 1996, soit un an avant sa mort, se découpe en plusieurs thèmes: le matin, le soir, l'oiseau... Des thèmes simples, tendant à l essentiel, que Guillevic décline en une poésie minimaliste, parfois proche de l'haïku.

Si le poète cessa de fréquenter les églises, il n'en garda pas moins une espérance et le désir d'un au-delà qui nous sauverait de tout et du rien qui habille parfois nos vies. Le poète va maintenant à petits pas mais plus rien ne lui échappe, de la beauté d'une feuille à celle d'un battement d'aile. Lui, dont les années sont maintenant comptées, s'émerveille du simple fait d'exister.



"Le matin

T'est donné



Ne le prends pas

Comme un dû."



Pour dire son amour de la vie, Guillevic réduit sa parole, la condense, creusant toujours plus loin vers ce qui nous recentre. Ses poèmes atteignent ainsi à la beauté nue, débarrassée de tout lyrisme. Ils sont comme de petits galets polis par les flots, humbles et purs. Pourtant il n'y a aucune froideur dans cette poésie minérale, mais plutôt une infinie tendresse et de la gratitude pour ce qui est encore donné et qui bientôt ne sera plus.



"Arrête

Repose-toi.



Nourris-toi du ciel

Autant qu'il te le demande."



La poésie a le souffle court et le rythme d'une pulsation. Le temps presse mais la vie appelle encore.

"Il nous faut regarder" chantait un autre poète. Regarder l'ici et maintenant et s'en gorger jusqu'à plus soif. Et puis, par ce regard rendus plus forts, affronter les "Possibles futurs".





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Image

C'est une initiative fort louable de l'éditeur Rue Du Monde, sous la houlette de son directeur Alain Serres, de vouloir mettre en contact des auteurs renommés et de très jeunes enfants afin, espère-t-on, de leur permettre " d'interroger et d'imaginer le monde " (la formule n'est pas de moi, d'où ces guillemets).



J'aime aussi la démarche, un peu citoyenne, un peu écolo, un peu artiste. Passons maintenant au résultat. Il s'agit d'un petit poème d'Eugène Guillevic qui a été segmenté en à peu près autant de pages qu'il comporte de vers, à une ou deux exceptions près.



Le tout est mis en image (c'est le cas de le dire) par Clotilde Perrin. Chaque illustration se poursuit sur la double page suivante et l'on pourrait les accoler toutes les unes aux autres pour en faire une grande frise.



Le propos, tant du poème que des illustrations, est de montrer que dans le sol, il y a toute une vie trépidante et bariolée, toute une microfaune ultra diverse qui s'y agite tandis que nous nous en faisons " l'image " d'un ensemble homogène et calme.



La gageure pour moi maintenant consiste à dire simplement mon avis : triple gageure car j'aime le côté " poésie alternative " de Guillevic, j'aime la démarche de l'éditeur, j'apprécie beaucoup l'illustratrice, qui est une personne charmante, mais…



… mais si j'écoute mon cœur et ma raison (ça va être compliqué cette histoire, Nastasia), et si je tiens à être parfaitement honnête avec moi-même il me faut confesser que j'adhère moyennement à l'ouvrage. J'en suis désolée, sachez-le, mais c'est la vérité, du moins, ma vérité.



Premièrement : le poème choisi, bien que très court, fourmille de néologismes et de termes complètement vide de sens pour les jeunes enfants auxquels le format et le type d'illustration s'adressent. Sur une même double page, lorsqu'il n'y a que six mots et que vous devez en expliquer deux à chaque fois, selon moi, il y a un problème de proportion.



Deuxièmement : les illustrations, bien que très créatives, bien que propices à l'imaginaire, me semblent manquer cruellement de connaissances anatomiques sur les insectes, vers annélides et autres myriapodes. (Je ne parle même pas des échelles de proportions qui font que les lapins de garenne ont la même taille que les iules ou les grillons.)



Quand je vois des " insectes volants " munis de 2 pattes, 4 pattes ou même de 21 pattes et jamais de 6 pattes comme c'est ce qui en fait pourtant la définition, le restant de biologiste en moi s'insurge. Quand je vois des vers annelés affublés d'antennes ou d'ommatidies, je me dis que les enfants n'auraient rien perdu à ce que tous ces petits animaux soient représentés avec des caractéristiques anatomiques compatible avec la réalité.



C'est d'ailleurs le cas pour les espèces plus familières que sont les lapins ou les taupes. S'il ne vient pas à l'idée de dessiner un lapin à trois yeux et à 12 pattes, pourquoi l'idée devrait-elle venir lorsqu'il s'agit d'arthropodes, de vers ou de mollusques ?



J'en terminerai avec un dernier point qui me chiffonne un peu, à savoir, la logique propre du texte et des illustrations. Le texte s'amuse des sonorités de la langue et donne tout de suite l'impression d'un joyeux bazar dans l'humus. Les dessins, quant à eux, invitent plus, selon moi, à une descente progressive toujours plus en profondeur dans les arcanes du microcosme qui vit sous nos pieds et que nous ne soupçonnons pas.



Ce faisant, les images ne répondent pas forcément au propos du texte, à l'endroit où le texte évoque telle ou telle chose, ce qui aurait peut-être pu aider à la compréhension de certains termes délicats. Par exemple, le vers (pas le ver, le vers) « Ça s'étripe et se désélytre » aurait vraisemblablement gagné à être illustré par des combats de coléoptères, lesquels combats n'apparaissent qu'à la page suivante et ne font pas intervenir des coléoptères tout en étant accompagnés d'un autre vers de sens très différent.



(— Pas un ver, un vers, mais je l'ai déjà faite, je crois. Pour me faire pardonner je veux bien vous offrir un verre, pas un ver, un v…

— Bon okay Nastasia, on a compris. Il est d'ailleurs grand temps de se mettre au vert, d'enfiler ses petites pantoufles de vair, de prendre une verveine car là on court droit vers la sénilité. Ma pauvre, c'est un calvaire.)



Mais ceci n'est bien évidemment qu'un avis piqué aux vers, c'est-à-dire, bien peu de chose, même vu du sol.
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Ville

Apres le pieton de Paris, de Fargue, Ville, de Guillevic.



Guillevic essaie de decrypter la ville, de saisir son corps et son ame, et malgre une certaine reticence il la celebre. Quelle ville, qu'il ne nomme pas? La grande, la capitale, construite autour du fleuve qui la definit. Paris.



Guillevic n'est pas ne a Paris. J'ai eu la flemme de verifier dans le Wikipaedia mais a la lecture de cet opus cela m'est clair. Il a du grandir dans une petite ville de province aux relents campagnards. Des effluves, un parfum, qui lui manquent a Paris:

“Acacias, marronniers, platanes, Ce sont les arbres de la ville, Et quelquefois tilleuls et sorbiers des oiseaux. Mais pas de chênes”.

Et il s'en desole:

“Ville, vois tes campagnes Qui t'offrent leur écoute, Qui vont être perdues Si tu les agglutines le long de ton squelette Étendu sur les terres. Car toi-même sans elles Qu'est-ce que tu seras ?”



La ville est demesuree par rapport aux hommes qui l'habitent:

“Un, plus un, plus un, Et encore un, d'autres encore, Et d'autres, plus. Un chaque fois qui s'additionne À tous ceux qui sont là, Autant de fois rien qu'un. Tous ceux qui vont, qui se rassemblent, Qui ne sont plus une addition, Mais autre chose”.

De cette demesure peut naitre la solitude:

“Un homme allait à pied dans une rue quelconque, La nuit, longeant des maisons, des boutiques, Des fenêtres, du mur, quelquefois du métal. Il y avait des lampadaires ; de loin en loin, Un peu d'êtres humains. C'est arrivé à mi-chemin Entre deux lampadaires. Il a crié ; « Mais j'existe pourtant. Je cherche où c'est. Essayez-moi. »”.

Mais cette solitude peut etre aussi porteuse d'espoir:

“Fourmis, fourmis – Pas si fourmis que ça, Ces gens qui vont, Qui courent, se faufilent, Qui se frôlent, s'entassent. Ou c'est que les fourmis Ne sont pas ce qu'on dit. Car dans les gens d'ici, Prétendument fourmis, Ça rêve bougrement”.

Et de toutes facons on peut vaincre la solitude:

“Combien d'hommes, de femmes, À former couple au même instant, Dans tes lumières, tes pénombres, Vont l'un vers l'autre en tâtonnant, Qui s'inventent, s'oublient, se retrouvent dans l'autre, Pris, enroulés Dans un tissu qui les dépasse Vers l'origine et les futurs, Prennent en charge ton noyau Avec ta pulpe, avec ta peau, Te portent haut, Te justifient”.



Avec le temps il s'habitue a la ville:

“La devanture des pâtisseries Répond à la douceur du ciel Quand il se reconnaît d'espace, À la douceur de ses nuances Qui témoigneraient que la ville N'exhale pas que des verdicts”.

Un peu surpris d'abord:

“Va ! Continue Ce chant de flûte, mais c'est qui ? Il va la ville, se frotte aux murs, de rue en rue, de place en place, Et par moment il se rencontre Comme de l'ombre avec de l'ombre Et va plus loin S'insinuer”.

Mais en fin de compte il se laisse charmer:

“Certains jours, Il y a sur la ville Des oriflammes de sourire Qui seraient là pour annoncer de plus beaux jours”.

Et c'est l'aveu respectueux:

“La ville est pourtant Ce qui compte le plus, Qui doit compter le plus Parce que rien N'est plus nous-même que ça. Quand elle change, c'est nous Qui la faisons changer. Elle est notre ouvrage, Quand même. Apprends-toi Dans la ville”.

Et c'est l'hommage:

“Tu es depuis longtemps, Tu es jour après jour Dans la mythologie. Et c'est aussi pourquoi Tu es vivable, ville, Pour des millions qui savent Vivre aujourd'hui cette légende Que tu seras”.



En fait c'est un recueil introspectif, ou Guillevic essaie de saisir le changement qui s'est opere en lui, passant de l'hote qui gardait ses distances, grogneur, a l'amoureux pudique mais quand meme encenseur de sa ville. Parce que oui, elle est devenue, malgre ses reticences, SA ville.



P.S. Je n'ai fait que citer. Que pouvais-je faire d'autre, face a un poete?

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Possibles futurs

Une critique sur un recueil de poésie, bien sûr pourquoi pas. Mais nous savons tous qu'il est extrêmement difficile de dire un poète, de faire partager son univers sensible.

Rien ne remplace la découverte directe par chacun d'entre nous de ses assemblages intimes de mots, de vers, de sa musique personnelle qui nous touche, ou pas d'ailleurs.



Alors, pour innover un peu, je propose d'éprouver la poésie de Guillevic, de suivre mon chemin vers cette poésie concise, presque elliptique, qui s'adresse directement au vivant, au vécu de chacun, sans trop de détour ni métaphore, d'où sa force indéniable bien sûr qui me plait tant. La nature est très souvent mêlée à cette poésie, que je perçois comme foncièrement positive, tournée vers l'énergie, la vie, pour ce breton " Ivre seulement d'exister".



Imaginons !

Tu commences la lecture, lentement et de préférence à haute voix du poème ( ci-dessous par exemple, ou une des citations ).

Les vers s'enroulent autour d'un axe le plus souvent connu, vécu - le soir, le silence, elle, la nature...-, avec des mots simples qui t'entraînent rapidement au-delà de l'état d'équilibre des mots, des souvenirs personnels.

Sans t'y attendre, tu bascules le plus souvent étonné vers une autre possibilité, une proposition inattendue, un pas de côté.

Tu abordes les rivages poétiques de Guillevic qui affirme lui-même :

" J'ausculte un présent sans frontière."





"Ne me demande pas

D'où me vient le pouvoir

Que j'ai de te connaître,



Après tout,

Nous n'avons peut-être

Jamais vécu séparés."

( de Lyriques )



Tu sais

Ce qu'a toujours été

Pour moi une pâquerette.



Laisse-moi te dire que depuis

Que nous l'aimons ensemble



Elle est encore plus

L'œil de la terre.

( de Lyriques )
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Possibles futurs

C'est un vieux poète toujours en quête de «Possibles futurs» qui écrit ces textes, entre 1982 et 1994, «un vieux poète, nous dit Guillevic, toujours en révolte contre les à quoi bon».

Pas le plus original ni le plus fort de ses recueils sans doute, mais c'est bien agréable à lire, bien agréable d'accompagner le poète dans sa quête du «secret qu'on appelle beauté». On est loin de tout hermétisme, et l'écriture dépouillée de Guillevic distille ici une douceur, un apaisement. La contemplation du monde fait voler les frontières intérieur / extérieur, nous révèle en fait à nous-mêmes.



« Quand devant toi


Tu as l'océan





Tu fréquentes les abords


De ton intérieur. »



C'est une poésie qui invite à regarder, le monde, l'aimée, le matin, l'oiseau, etc, d'un regard qui donne


« Assez de temps


Pour communier » ,

une poésie qui invite à ausculter «un présent sans frontière» pour y déceler de possibles futurs.
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Terre à bonheur

« L'idée de départ de ces poèmes, c'est que la terre est faite pour que les hommes y vivent heureux; elle est faite pour le bonheur. Or, le premier ennemi du bonheur, c'était, pour nous, le capitalisme »

Terre à bonheur est donc un «livre de combat». À cette époque, après la Seconde Guerre mondiale, le militantisme, «la lutte pour la paix, pour de meilleures conditions de vie» sont aux yeux de Guillevic plus essentiels que la poésie. Rétrospectivement, il considère que cette poésie engagée n'est pas une réussite, qu'il n'a pas su éviter «la tombée dans le discours»:

«L'ellipse m'est consubstantielle, je l'avais trahie.»

Et c'est vrai que ce n'est pas toujours le meilleur Guillevic. C'est inégal, mais il y a de très beaux textes, et ça ne peut pas faire de mal de rappeler que notre planète devrait être une «terre à bonheur».



« Douceur.

Je dis : douceur.



Je dis : douceur des mots

Quand tu rentres le soir du travail harassant

Et que des mots t'accueillent

Qui te donnent du temps.

 

Car on tue dans le monde

Et tout massacre nous vieillit.

 

Je dis : douceur,

Pensant aussi

À des feuilles en voie de sortir du bourgeon,

À des cieux, à de l'eau dans les journées d'été,

À des poignées de main.

 

Je dis : douceur, pensant aux heures d'amitié,

À des moments qui disent

Le temps de la douceur venant pour tout de bon,

 

Cet air tout neuf,

Qui pour durer s'installera. »
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Sphère - Carnac

Contemporain de Jacques Prévert, Paul Eluard, Louis Aragon et René Char, Eugène Guillevic ne jouit pas de la même réputation, sans pour autant être inconnu. Peut-être parce qu'il n'a jamais appartenu au mouvement surréaliste ou n'a jamais cherché à s'illustrer dans la 2nde guerre mondiale.

Sa poésie est très moderne : courte et sèche, s'affranchissant des règles de la versification classique, incitant à la réflexion et à l'ouverture vers les autres et non au repli sur soi.



Quelques exemples :

"Ce n'est pas moi

Qui fermerai,

Pas moi qui crierai

Pour le fermeture,

C'est qu'on me fermera"

(Sphère / de ma mort)



"Fait pour ma main,

Je le tiens bien.

Je me sens fort,

De notre force."

(Sphère / Choses / Un marteau)



"Ils ne sont pas tous dans la mer,

Au bord de la mer,

Les rochers."

(Carnac)



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Quotidiennes

Quotidiennes, c'est un recueil de poèmes d'Eugène Guillevic, poète breton qui a signé cet ouvrage comme à chaque fois de son seul nom Guillevic, nom qui sonne comme celui d'un sol à la fois rocailleux et marin de Bretagne.

Quotidiennes, ce sont comme des missives écrites en regardant un ciel à travers une fenêtre qui traverserait les saisons, un lien, un trait d'union, une passerelle...

Elles sont ma première incursion dans l'univers de ce poète. Elles sont une parole presque chuchotée, presque à mi-voix, à mi-chemin entre ciel et terre. Elles m'ont touché au coeur.

Ces poèmes viennent tardivement dans l'oeuvre du poète, au soir de sa vie, écrits entre novembre 1994 et décembre 1996, ce sont sans doute les tous derniers, Guillevic déjà malade depuis quelques années mourra le 19 mars 1997. Quotidiennes a été publié quelques années après la mort de Guillevic, grâce à sa veuve Lucie Albertini.

Ici Guillevic tutoie le règne végétal et le règne animal, de préférence insectes ou oiseaux, quelque chose qui vole, qui embrasse le ciel et l'espace, qui se pose sur son regard prêt à se fondre dans le paysage.

Le minéral aussi entre dans ce dialogue, un rocher parfois surgit à fleur de mots, qui ressemble peut-être à ceux d'une plage de son enfance, du côté de Groix ou de Carnac, lorsqu'il était encore un peu étranger au monde...

Ces poèmes, dépouillés, presque nus, sont des battements d'ailes qui questionnent l'intime et l'universel.

Voir avec les yeux d'une guêpe, ressentir avec l'étreinte d'une forêt, le chant d'un rossignol, la courbure d'un acacia...

Ici, l'étonnement presque candide tient lieu de beauté.

La musique de ces poèmes est touchante car on y devine l'émotion d'une fin prochaine.



« Moi je sais qu'un jour

Je vais mourir,

Toi, tu ne dois pas le savoir. »



Guillevic n'a pas eu le temps de retoucher les derniers poèmes de ce recueil et c'est peut-être mieux ainsi.

La vie est ailleurs peut-être, autour de lui, mais c'est comme un autre monde plus intime qui se construit au fond de lui, ce sont des pages presque quotidiennes qui viennent se lover dans l'intériorité silencieuse d'un poète au soir de sa vie.

Et tandis que la mort approche pour y faire son nid, les mots d'un poème sont peut-être désormais la seule manière d'y faire face, se fondre dans les yeux d'une guêpe ou le chant d'un oiseau et s'y plaire à jamais...



« Autrefois,

Quand j'étais gamin,

Je me sentais étranger au monde,

C'était

Comme si je n'en étais pas –



Et je me suis appliqué

À m'incorporer à ce tout.



Maintenant où s'approche ma fin ;

Et je le sais, je le vis,



Maintenant

Je n'ai plus d'effort à faire

Pour sentir pleinement le monde

Seconde après seconde.



Il est là , je suis en lui,

Je suis à lui,

En lui, je me plais. »



Il y a des endroits au monde où le ciel est plus grand. Un livre de poésie, par exemple...

Ce que j'ai aimé dans cette rencontre avec Guillevic, c'est qu'il n'est plus devant le paysage, mais dedans, et brusquement dans cette communion intime avec la beauté de la nature, c'est le paysage qui est dedans lui.

"La beauté sauvera le monde", disait Dostoïevski.

La beauté du monde entre parfois en nous pour nous sauver et seule peut-être la poésie sait poser les mots qu'il faut pour dire ce voyage intérieur.

Ici les mots de Guillevic sont traversés de douceur et d'apesanteur. Oubliés de lui-même.

Face au vivant, on n'est jamais seul, jamais lourd, même si près de la mort, surtout si près de la mort...

La mort attendra encore un peu, l'amour est là à proximité des mots, l'amour de celle qui lui a peut-être tenu la main une dernière fois, fermé les yeux et qui nous a transmis ces toutes dernières missives comme un chant offert au monde.



« Ce besoin de clamer

Que je cherche quelque chose de plus,

De total –



Où le monde tout entier

Chanterait par toi



L'espèce de royaume



Que le soleil couchant

Ferait avec les océans et les terres,



Et avec toi aussi, mon amour,

Si tu le voulais bien,



Nous deux chantant

Le bonheur presque là. »

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Possibles futurs

" S'il n'y avait pas ce rêve, cette projection de l'avenir dans le présent, ce monde ne serait pas pour moi supportable", écrivait Guillevic dans " Vivre en poésie". Le titre de ce dernier recueil publié par le poète, alors dans un grand âge, affaibli par une chute, fait écho à sa vision du temps.



Le sentiment merveilleux d'être jaillit au coeur des poèmes, en cela ce recueil n'est pas à voir comme un chant du cygne déchirant, une plainte de celui qui sait qu'il va mourir.



" Sur cette plage,

Sur ce sable devant l'océan,



Plus profond

Que tout ce que tu reçois:



Cette chose

Dont tu ne sais rien,



Qui te maintient en cet état

D'équilibre, de bien-être



Où tu aimes

Te sentir vivre"



Chaque partie égrène comme un refrain un mot thématique: l'oiseau, le matin, le soir, les textes courts creusent le temps de vivre, d'observer, de goûter. J'ai particulièrement été sensible aux deux chapitres intitulés " Elle" et " Lyriques" qui exaltent avec une telle ferveur, par des mots pourtant sobres, l'amour porté à celle qu'il aime, proche comme lui de la nature, où ils fusionnent:



" Pour dire

La beauté du jour,



Il lui suffit d'apparaitre

Sur le pas de la porte"



Ces ultimes poèmes de Guillevic m'ont emplie de sérénité, l'enchantement d'exister au coeur de la nature est toujours là, le désir de participer au monde aussi. Quel bel élan , quelle source d'émotion! A lire, assurément.



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Sphère - Carnac



Homme de la terre et de la mer, de la pierre, Guillevic offre dans ce recueil, publié alors qu'il a une cinquantaine d'années, des textes bruts, clairs et courts, à son image.



La concision des textes, le désir d'aller à l'essentiel, au coeur des choses avec peu de mots ne confine pas nécessairement à la simplicité, certains poèmes peuvent même sembler hermétiques. Mais ce qui est sûr, c'est que ce poète nous reconnecte à la nature, à l'humilité que l'on doit avoir face à elle, aux merveilles intactes qu'elle présente:



" Autour du tilleul,

Près de la pervenche,



Dans l'air qui s'émeut

D'être à leurs côtés,



Il doit y avoir un chemin

Pour aller vers eux,

Les accompagner."



Oui, l'être humain s'imprègne du paysage, vit en lui, à travers sa poésie. Et cela fait un bien fou de lire ces vers lumineux, tournés vers le minéral, le végétal. Ces vers d'une fulgurante beauté :



" Pas d'aile, pas d'oiseau, pas de vent, mais la nuit,

Rien que le battement d'une absence de bruit."



Je trouve que Guillevic fait entendre une voix unique, reconnaissable entre toutes, une approche et une compréhension remarquables de notre environnement naturel.



" L'azur est loin

Qui m'envahit"



Superbe image...







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Blason de la chambre

RÉINVENTER LE QUOTIDIEN



Les quarante textes qui composent ce bref et charmant recueil, accompagné de dessins au fusain délicatement désuets avec leurs allures d'ombres un peu raides et tout juste ébauchées, n'ont pas pour tâche de bouleverser le petit monde de la poésie comme ce fut le cas, dans une thématique qui pourrait lui sembler proche, du recueil incroyable de Francis Ponge, Le parti pris des choses.



Le regard d'Eugène Guillevic sur le monde, sur son petit univers - qui est aussi le notre - n'avait pas cette apparente froideur de la dissection pongienne. Il ne s'était pas plus donné pour tâcher de disséquer ce qui est pourtant sous nos yeux et que nous voyons plus, non ! En revanche, il nous rend sensible ces choses-là, en mettant la lumière, une lumière intime, profonde et tendrement décalée, sur son univers proche, celui de sa chambre, tout autant lieu de vie - mais quelle ! puisque c'est celui où nos existences se mettent entre parenthèse - que de travail, ce qu'il rappelle avec vigueur lorsqu'il évoque sa table :



Tu es mon affût,

Tu es mon chantier,



C'est ici que je suis

Au mieux avec moi-même,



Ici que l'univers

Devient mon matériau.



Ainsi, c'est à l'état de veille que le poète se sent au mieux avec lui-même, pas dans son lit, où l'on confie son esprit à un certain Morphée dont on ne se souvient jamais assez qu'il était fils d'Hypnos chez les antiques. Pour autant, les draps de ce lit sont ses «accueillants», «confidents», «adéquats».



Le poème est donc, plus que jamais dans ce recueil, cherche à mettre en lumière ce quotidien le plus évident, essentiel, dans cette suite intitulée Blason de la chambre, publiée en 1982 par Eugène Guillevic. Le poète y prend ainsi pour objets poétiques ces choses - meubles, instants, sensations - pour nous insignifiantes que sont une chaise, des rideaux, un crayon ou même les murs et le plafonds ; le silence. Le poète ne s'en éloigne jamais qui lui évoque souvenirs, impressions, intuitions, instantanés de vie présente, passée ou possiblement future.



Guillevic parvient même à s'objectiver - à se mettre au niveau de ces petites choses qu'il transmue en concepts plus grands, par les mots - tandis qu'il s'y décrit en occupant, admettant ainsi qu'il s'y trouve presque surnuméraire, un étranger, celui qui occupe mais sans en être véritablement. Et il s'adresse, presque d'individu à individu, à ces objets qui l'entourent :



L'OCCUPANT



Alors même

Que je ne suis pas seul,



C'est en solitaire

Que je vous parle,



Sauf quand le corps-à-corps

M'enlève à vous -



Mais vous savez.



Blason de la chambre n'est d'évidence pas le plus grand recueil que Guillevic aura écrit au court de sa belle et longue vie en Poésie mais les textes qu'on y trouve s'insinuent dans l'esprit du lecteur en ce qu'il retiennent et contiennent de cette inquiétude sereine qu'est cette recherche de lien à construire entre le soi - l'en soi - et le monde qui vous entoure, avec tout son mystère, avec ses évocations, avec sa difficulté à être dit autrement que par les mots du poème.

Un sourire perle à la commissure des lèvres une fois ce petit livre délicat enfin reposé - reposant -, le regard un peu vague, perdu à entrevoir, grâce à l'évidence établie par le poète, l'âme des toutes ces choses précédemment inanimées...
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Relier

Un beau et gros recueil (près de 800 pages...) qui rassemble sur quelque 60 ans (1938-1996) des poèmes inédits ou introuvables de ce très grand poète que fut Guillevic.



Des petits textes à picorer, des fragments, presque des haïkus, à savourer lentement, comme des bonbons pleins de douceur qu'on laisserait fondre sur la langue...
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Présent : Poèmes, 1987-1997

Ce beau très beau recueil est particulier, car il rassemble les dernières poésies de Eugène Guillevic. Au crépuscule de sa vie, le poète a su encore nous émerveiller avec ses courtes poésies, hymnes vibrants à la nature et ses éléments dans lesquels l'auteur puisse ses ultimes forces créatrices pour en faire un splendide recueil. Chez Guillevic, pas de forfanterie, de fioritures inutiles, on va de suite à l'essentiel, les deux pieds bien ancrés sur terre et dans le terroir, point de mysticisme inutile, d'onirisme ronflant, on aime les gens et les choses simples. Au soir de son existence, le poète ne pouvait pas éluder son état, la vieillesse menaçant la source même de sa création et de son devenir intellectuel. Alors là aussi, sans ambages pompeux, le poète nous dit tout : vieillir ce n'est pas terrible, lui-même le refuse, mais avec une lucidité implacable, il sait l'inévitable impossible, donc acte ! On préfère s'en moquer gentiment, prendre les choses du bon côté et continuer d'y croire un peu, beaucoup, passionnément, pas du …

Heureusement, dans tout ce fatras existentiel, où Dieu ne semble pas le bienvenu, il y a le remède suprême : l'amour avec un grand A et soudainement, fi de la vieillesse et de tous les emmerdes… On vit, on revit dans les yeux de sa belle et la vie redevient si belle…
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Terraqué

Parfois, il vaut mieux laisser parler les poètes eux-mêmes plutôt que d'essayer d'expliquer avec des mots maladroits pourquoi on les aime, pourquoi ils sont précieux, pourquoi on les porte au poignet comme des amulettes, pourquoi ils nous rendent si forts qu'on pourrait marcher sur la mer, pourquoi ils nous soufflent dans l'âme un grand vent breton tout salé, pourquoi ils restent plantés dans nos cœurs comme les vieux menhirs de Carnac dans la lande..

Ecoutons donc Guillevic, ce druide merveilleux:



"Ce que tu vois, ce que tu touches,

Ce qui t'arrive par l'oreille,

C'est le réel.



Ce que tu ne vois pas, mais que tu sens,

Cette angoisse du merle

Et tant de noces dans l'espace,

Ce que veulent les papillons,

Ce qu'éprouvait le menuisier,

C'est le réel.



Ce que tu ne vois pas et ne sens pas non plus,

Mais qui est confirmé par d'autres, plus savants,

L'infra-rouge, tous ces rayons qui percent l'air,

Les occultes géométries que l'on calcule,

L'univers de l'atome où la force prend forme,

C'est le réel.



Tout ce qui est réel

Mérite d'être vu.

Tout ce qui est réel

Mérite qu'on l'approche.



Tout ce qui est réel

Suit la ligne du beau."



Vous avez quelque chose à rajouter? Moi pas...
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Du domaine Euclidiennes

  Poésie fine décrivant un univers insolite, à partir

de l'observation du quotidien buissonnier des choses,

du vivant. Il développe simplement des considérations

profondes, singulières :





. sur le temps et son corolaire

l'horloge.



" Ici le temps

Se croit innocent

p27



" Laisse l'horloge

Dormir son ronron



D'artisanale

Éternité.

p.123





. sur le silence



" Il y a des silences

Gros de silence.



Ils écoutent.

p.24



" Un silence

Couleur de l'étang

p.54





. sur la lumière



" Quand une lumière

Rencontre une autre lumière,



On entend monter

un chant de prophète.

p.27





Par ailleurs, le poète se questionne

à propos du vivant :



. sur les oiseaux

en général.



" Un oiseau



Que voler

Apaiserait.

p.55



" Les oiseaux

Se sont faits



Aux murs.

p.59





. sur l'épervier

en particulier



" Là-haut

L'épervier dit :



C'est maintenant,

L'éternité.

p.98



" Jamais vu l'épervier

Jouer à l'épervier.

p.113





. sur les murs, les haies



" Les murs.



S'ils savaient à qui

Se raconter

p.31



" Des haies.



Que fait un regard

Que rien n'arrête ?

p.13





Poésie champagne faite de bulles

assurément apaisantes :



. sur sa vision de la vie.



" Avancez ! Avancez !



Avec

Ou sans vous

p.10

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Ville

 

 

Méditation poétique sur la capitale Paris.



Ville lueur brodée d'adjectifs :

tourbillonnante, tentaculaire

vrombissante, bruyante

coagulante.



Ville-jour, ville-nuit

Ville taupinière, surtout le soir

Ville toujours en travaux.



Guillevic perçoit sur la ville comme

un battement.



Ville contenant s'intéressant au contenu.



Ville et sa question fondamentale :

Est-ce lourd une ville ?





Ainsi :



" Il y avait une lueur un peu rouge

Qui pénétrait par la fenêtre dans la chambre

Où l'on pouvait se passer d'elle.



C'était probablement la ville, cette lueur,

Et même le fleuve s'y trouvait,



Qui n'avait pas assez de place où il était

Et qui venait avec le reste

Nous relancer dans notre nuit.

p.9





" Pas autre chose encore, la ville,

Guère autre chose qu'une lueur

Où sont brodés des adjectifs :



Tourbillonnante, gigantesque, tentaculaire, —

Des adjectifs



Qui, comme d'habitude,

Ont l'air d'accueillir

Et qui vous diluent.

p.10





" Elle voudrait partir,

La ville, se quitter,



En montant dans le noir,

En se dilapidant parmi les mille vents,

Les eaux qu'elle salit, les cadavres des hommes.



Elle voudrait partir

En brouillard, en poussière,

En sanglots, en hoquets, en linge abandonné.

p.12





" La ville fait du bruit, des bruits,

Reconnaissables, reconnus, catalogués,



Pour en masquer de moins tranchés,

De moins criards, d'infinis,



Qui viennent en catimini

Et font en nous semblant de jouer au silence.

p.15





" Coagulée, la ville,

Coagulante aussi :

Coagulée, coagulante.



À tel point que le mot

Même d'hémoglobine

Me fait penser à toi.

p.20





" Je me suis assis dans un fauteuil

Au creux d'une chambre, au fond de la ville.



Là elle est tout autre que dans les gares,

Dans les rues, dans les magasins,

Dans l'entrée des commissariats.



Là il y a respect

Et comme la réception d'une eau rajeunie,



Filtrée par les années

Où la lumière a attendu

Quelque tendresse de la ville.

p.22





" Et nous n'entendons guère

Les tourbillons en chaîne

Qui meublent ces atomes

Dont nos corps sont formés.



Nous n'entendons pas plus

Les autres tourbillons

Qui remplissent les lieux

Où nous mettons nos corps.



Tout ce vrombissement

Fait un bruit de pétale

À peine. Et nous pouvons



Écouter nos silences

Escalader leurs bruits.

p.26





" Il faudrait, je cois,

Pouvoir circuler à travers la ville

Comme un globule rouge

À travers le corps,



Qui voit en passant,

Touche les tissus,



Parce qu'il est en train

De devenir ce qu'il regarde.

p.36





" Combien d'hommes, de femmes,

À former couple au même instant,

Dans tes lumières, tes pénombres,



Vont l'un vers l'autre en tâtonnant,

Qui s'inventent, s'oublient, se retrouvent dans l'autre,



Pris, enroulés

Dans un tissu qui les dépassent

Vers l'origine et les futurs,



Prennent en charge ton noyau

Avec ta pulpe, avec ta peau,



Te portent haut,

Te justifient.

p.37





" Elle sait, la ville,

Comment employer

Les grandes masses de temps,

À son avantage, à sa nouaison.



Les digérer, les expectorer

Selon le hasard des milliers de rues,



Les retenir en gris et rose,

En ponçage de pierres.



Ce qu'elle sait moins

C'est ce qu'on peut faire

Du temps en détail,



De la chapelure

D'heures, de journées,

Qui s'en va sans elle.

p.41





" Taupinière, la ville,

Surtout le soir.



Vers le soir aussi :

Tribu de bruyère en exaltation.



Au soleil couchant,

Bruyère au soleil.

p.43





" Toujours en travaux,

Tes rues, tes trottoirs.



Et je te creuse et je te comble,

Et je recreuse au même endroit,

Et je remue et je rebouche.



Comme si l'on venait

Gratouiller ton squelette

Avant qu'il ne s'ennuie.

p.61





" Je ne vois pas sur la ville

Ce tremblement



Qui est sur la mer,

Qui est sur les champs,

Où il devient le cri des mouettes,

L'ombellifère.



Je vois sur la ville

Comme un battement.

p.63





" Qu'est-ce qu'après tout

Je vais chercher ?



Tu es un lieu,

Tu n'es que ça.



Où vivre, où travailler,

Se raconter, aller ensemble.



Un croisement de rues, de machines, des gens,

Un contenant, comme une boîte.



Mais c'est un contenant

Qui s'intéresse au contenu.

p.101





" Capitale, tu es donc

La ville des bureaux.



On passe dans tes rues,

On voit dans tes bureaux,

On se demande ce que c'est,

À quoi ça sert.



Et quand on est dedans,

Qu'on y travaille, on sait

Qu'on est au centre, que la ville

N'est qu'un revêtement



Pour ces hors-lieux où tout arrive

Se faire enregistrer, s'inscrire

Dans la trame des actes,



Dans la rédaction

De l'histoire en cours.

p.104





" Est-ce que c'est lourd,

Une ville ?



Est-ce qu'elles ont toutes

Une égale densité ?



La capitale

Est peut-être plus lourde,



Ce qui donnerait une indication

Sur les causes de la lourdeur.

p.111

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Art poétique

L'art poétique de Guillevic n'est pas un livre de poèmes où l'auteur dévoilerait ses secrets et techniques de métier et de fabrication : la poésie est un langage, et aussi une manière de regarder le monde et de l'habiter. C'est donc un art de vivre, un art de regarder, un art de parler aux choses du monde, un art de rêver, - en somme tout ce qui fait la manière poétique qu'ont les hommes de séjourner dans le monde.
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Terre à bonheur

Poèmes du temps de la Guerre froide… à relire avec espoir en ce temps où, en Europe même, la guerre est de retour ; parce que ces poèmes nous disent l’angoisse, nous disent la frayeur, nous parlent de la mort du monde, de la mort atomique :

"Je pourrais vous dire :

Comme si, d’un coup,

Toutes les feuilles

Tombaient des arbres,

De tous, à la fois."

Parce que c’est une poésie politique, engagée (Guillevic a supprimé de ce recueil le poème "Au camarade Staline"… ouf)

"Ce sont les pierres et les femmes, ce sont les hommes et le vent,

Ce sont les choses de la terre et les peuples debout sur terre

Qui désignent les assassins."



Mais une poésie qui dit aussi que "la terre est faite pour que les hommes y vivent heureux ; qu’elle est faite pour le bonheur".

Pour le bonheur de la journée qui commence :

"Que je regarde avec envie

L’abeille en grand travail

Et que je la comprenne,



Que déjà je me lève et voie le buis

Qui probablement travaille autant que l’abeille,

Et que j’en sois content,



Que je me sois levé au-devant de la lumière

Et que je sache : la journée est à ouvrir,



Déjà, c’est victoire."



Et aussi que la terre est faite pour que les hommes y vivent en paix...

"Enfant qui dors,

C’est tout cela



Et c’est bien plus

Que tu verras,



Car nous aurons

Tant et tant fait



Que tu verras

Grandir la paix."
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Vingt poèmes de Georg Trakl



L'univers de TRAKL est marqué par la perte de Dieu : il se disait chrétien et athée, non par choix, mais par l'évidence d'un monde déserté. Son amour incestueux envers sa soeur Margarete le fit vivre dans une culpabilité profonde. Ayant fait des études de pharmacie, il passa sa vie dans une instabillité professionnelle constante, entre alcoolisme et toxicomanie. Il succomba d'ailleurs d'une overdose à 27 ans : certains avancèrent l'hypothèse du suicide qui semble peu probable du fait qu'il se réjouissait d'une rencontre programmée avec le philosophe Ludwig Wittgenstein.

Il fut influencé par Nietzsche et par les poètes français Baudelaire, Rimbaud et Verlaine.

Il vécut sa poésie comme une religion marquée par le sang, la souffrance et la mort, les villes froides, la nature saisie, la pourriture, ainsi que par la figure de la soeur, qui est son double féminin.

Dans cet univers sombre, il élabore une symbolique des couleurs, le blanc signifiant la mort, le bleu la vie, le doré et l'argent la clarté émergeant de l'obscurité, le noir, le jaune et le marron.

°°°°°°°°°

Les poèmes de Georg TRAKL, sonores et tragiques, résonnent longtemps. Il faut les lire à haute voix. La traduction d'Eugène GUILLEVIC est merveilleuse, mais dans la collection bilingue Garnier-Flammarion, les mêmes poèmes traduits par Jacques LEGRAND sont magnifiques aussi. Les couleurs, la nature, le coeur de l'homme, la mélancolie sont évoqués dans un langage simple et musical. Et ce qu'on ne comprend pas, on le ressent.
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