Un coup de coeur, un coup de coeur qui remue, qui frappe fort, une lecture douloureuse, une lecture qui titille les consciences et qui va me hanter un moment. Le témoignage bouleversant, intelligent et révoltant de Nathacha Appanah sur Mayotte est dur et éprouvant, elle décrit une réalité difficile à entendre, à concevoir, à admettre, qui touche, saisit, déchire, insupporte. Une vérité crue et violente à laquelle on se doit de ne pas passer à côté.
Le message passe violemment mais ... sûrement, grâce à une écriture tour à tour poétique, sensible, vive et acérée, violente ... :
violence des mots «...ce jour-là, j'ai failli te tomber dessus et t'éclater comme une papaye et tout de toi, ton oeil vert ton sang ta merde ta bave ton foutu sac tes couilles ta bite ton coeur, tout ça je voulais le voir par terre, sur mes mains et sur les murs» ,
violence des images «...j'en ai vu des petits corps baignés d'écume».
Tropique de la violence porte bien son nom et dresse un portrait très réaliste de la sombre et miséreuse situation dans laquelle Mayotte est plongée : "l'île aux parfums" voit aujourd'hui affluer un nombre considérable et constant de migrants à bord des kwassas kwassas, augmenter la violence et la délinquance. De nombreux jeunes sont livrer à eux-mêmes, à l'instar de Moïse (personnage principal de ce roman) ou encore de Bruce.
Moïse, au parcours incroyable, entouré d'amour et de bienveillance enfant, il partira lui comme tant d'autres à la dérive, déboussolé, désorienté, ancré dans la misère, la crasse et la violence, dépossédé de tout, ne jouissant ni de bonheur ni de plaisirs quotidiens ... Comment venir en aide à ces jeunes ? Comment guérir ce pays ? C'est tout un système à revoir, à corriger, à créer ... encore faut-il sans donner les moyens ! Les politiques, absents, sauf au moment des élections sont à vomir !
Il y a bien Stéphane qui travaille pour une ONG, mais connaît-il la réalité de la vie de ces jeunes ? «[...] je l'écoutais mais ses paroles ne rentraient jamais en moi, c'était comme de la pluie sur ma peau, ça coulait, ça coulait et, à mes pieds, il y avait une grosse flaque de mots.»
Beaucoup trop d'inégalités, de souffrances, d'indifférences ... règnent et gangrènent les quartiers difficiles. «[...] il n'y a jamais rien qui change et j'ai parfois l'impression de vivre dans une dimension parallèle où ce qui se passe ici ne traverse jamais l'océan et n'atteint jamais personne. Nous sommes seuls. D'en haut et de loin, c'est vrai que ce n'est qu'une poussière ici mais cette poussière existe, elle est quelque chose. Quelque chose avec son envers et son endroit, son soleil et son ombre, sa vérité et son mensonge. Les vies sur cette terre valent autant que toutes les vies sur les autres terres, n'est-ce pas ?»
Moïse se rattache à ses rêves «C'est une vie magnifique que d'être un baobab sur une plage.», à son livre «L'enfant et la rivière» véritable talisman protecteur, un moyen de se raccrocher à la vie, à la réalité si dure soit-elle, de retrouver Marie, de ne pas sombrer définitivement ... il est nostalgique de son enfance, il regrette certaines de ses pensées, de ses actes ... «Qu'est-ce qu'on sait de nos cœurs et de ces choses de notre enfance qui nous rattrapent par la cheville et nous retournent brusquement ?»
Un garçon extrêmement touchant ...
«J'aurais voulu pouvoir voler, regarder ce foutu monde de haute, de très haut, être inatteignable, inattaquable, invincible, invisible. J'aurais aimé être un homme oiseau, non j'aurais aimé être un oiseau tout court et piailler ici et partout. J'ai imaginé ... mes souvenirs s'envoler en fumée, mes pattes décoller, mes ailes s'ouvrir et alors, je vole ... Je suis léger et puissant à la fois. Je chante. J'allume le soleil, je suis faiseur de pluies, je fais des merveilles.»
On aurait tant aimé un destin plus gai pour lui, plus réjouissant moins difficile. Mais par manque de cadre, de soutien et même solidement armé, il est difficile voire impossible de résister à l'appel de la violence, de la rue ...
«Sa voix est douce et grave, une voix d'adulte qui sait les choses, qui pourrait tout comprendre, tout réparer. [...] Je voudrais lui dire ... que j'ai été un garçon qui lisait des livres, qui écoutait de la musique, qui était un as du Lego...que la peur m'a paralysé pendant des mois.»
J'ai beaucoup aimé la construction de ce roman, un roman à plusieurs voix, les personnages tour à tour témoignent, donnent leur point de vue, reviennent aussi d'entre les morts pour nous offrir leur ressenti, évoquer les souvenirs ou tout simplement raconter leur mort; ce procédé apporte richesse, profondeur et originalité à ce témoignage.
De l'émotion vive à chaque page, un aller simple en enfer, celui des laissés pour compte, là où le vide et le chaos règnent en maîtres !
Âmes sensibles armez-vous de courage, ceux qui sont à la recherche d'une lecture détente, revenez un peu plus tard ... et quand vous vous sentez d'attaque, faites un détour par Mayotte, ce lieu où l'on ne maîtrise plus grand chose, où tout part à la dérive, un tout petit endroit qui a tant besoin d'aide !
«Mayotte connaît depuis plusieurs années une montée inquiétante de la violence et de la délinquance. Le cent unième département, surnommé l'île aux parfums ou l'île du lagon, fait également face à une pression migratoire constante venue des Comores, de Madagascar et même de quelques pays africains. Presque vingt mille personnes ont été reconduites à la frontière en 2014 mais les kwassas kwassas continuent d'arriver tous les jours sur les côtes mahoraises. Cinq cent quatre-vingt-dix-sept embarcations ont été interceptées en 2014. On estime à trois mille le nombre de mineurs isolés qui vivent durablement dans le cent unième département de France, sans foi ni loi.»
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