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Jean-Jacques Fleury (Traducteur)Marie-Neige Fleury (Traducteur)
EAN : 9782862608921
191 pages
Autrement (06/01/1999)
4.6/5   15 notes
Résumé :
"Ágata fit face au miroir avec sa bouche entrouverte, ses yeux grands, secs, et sa chevelure noire et soyeuse. Et elle passa lentement sa main sur ces cheveux et sur ces joues lisses et jamais caressées. Sans complaisance aucune, elle se détourna du miroir et se dirigea vers la cuisine ; là, elle souleva avec apathie le couvercle de la marmite. La vapeur brûlante enveloppa son visage de femme jeune auquel le manque de couleurs, une extrême pâleur et une maigreur pro... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (4) Ajouter une critique
Roman à la saveur intense d'amertume et de mélancolie, qu'on consommera néanmoins sans aucune modération, extasiés par autant de beauté crépusculaire, CENDRES nous fait plonger dans l'intériorité d'un personnage qui court irrémédiablement à sa perte : Ágata, dotée d'une sensibilité aiguë, à qui «chaque foyer de désir qui s'allumait en elle la hérissait, l'exaltait, l'épuisait», habitée par un «foisonnement intérieur» qui la rendait particulièrement inapte à supporter la monotonie du quotidien, la banalité des conversations et des réunions mondaines, la vanité des manifestations extérieures ou toute autre forme d'adhésion aveugle aux apparences et aux conventions purement sociales.
Femme à la pâleur et à la beauté diaphanes, son prénom avait été choisi en hommage au souvenir et à cette pierre que sa mère, morte en lui donnant le jour, aimait contempler longuement, dans le bureau de son mari, forme minérale qui «avait meublé la solitude de ses interminables après-midi de souffrance». Son père, émigré tardivement en Argentine, à l'âge de 30 ans, était un médecin suisse ayant épousé «une adolescente maladive après deux semaines de fiançailles» et qui, par la suite, «adoucirait par l'alcool la solitude de son veuvage». Ainsi, Agate fut-elle élevée par un père déraciné, exilé protestant et lecteur d'un seul livre, la Bible. Devenu profondément sceptique par chagrin, «espèce d'athée évangélisateur» professant à l'égard de lui-même et du monde «un calme dédain» («Nous sommes tous coulés dans le même moule -déclarait-il- et bien qu'empruntant des chemins différents, nous nous dirigeons tous vers le péché»), il s'était toujours adressé à sa fille «comme à une adulte». Enfant solitaire, Agata «passait son temps plongée dans ses pensées, se posant des questions sur le pourquoi de l'existence et y répondant comme elle le pouvait, avec toute la puérilité de son coeur». A Ingeniero White, port situé à quelques kilomètres de la ville côtière argentine de Bahia Blanca, dans une maison la plupart du temps vide, elle avait grandi face à l'immensité de l'Atlantique austral et à ses peurs enfantines, «dépourvue de toute croyance, dure, renfermée, sauvage, tel un chat perdu en rase campagne».
Rien, en effet, ne semblera pouvoir combler plus tard la solitude et la soif d'absolu qui se cachera au fond de cette âme inquiète et désorientée. Enfermée dans un environnement et dans une réalité vécus comme étant incongrus, décevants, résistants à tout véritable partage de ses sentiments propres, Ágata n'aura de cesse à vouloir, par défaut, s'y soustraire du mieux possible. Dans un premier temps, en se mariant hâtivement comme sa mère, à l'aube de ses 20 ans, quittant de la sorte un océan Atlantique devenu oppressant et la maison de son enfance, pour se rapprocher des grandes étendues vertes de la pampa, battues par le puissant vent minuano, cherchant alors dans le silence et dans la nature un moyen peut-être d'apaiser son étonnement perpétuel et ses doutes. Puis s'en éloignant encore davantage, quelques temps après, vers les contreforts sauvages et arides de la cordillère, pour, enfin, après s'être vu délivrer au forceps d'une existence durant laquelle elle s'était asséchée, «emmurée vivante» dans un mariage raté et dans un paysage extérieur et intérieur dépourvus de toute verdure (le titre original de CENDRES est «Todo verdor perecerá», «Toute verdure disparaîtra»), terminer par revenir s'installer à Bahia Blanca, quinze années s'étant écoulées depuis son premier départ. Imaginant un instant avoir définitivement soldé son «pretium doloris» par cet arrachement dernier, retournant alors vivre seule dans une chambre d'hôtel en ville, libre de toutes attaches -son père et son mari étant tous les deux morts -, dans un état de suspension existentielle provisoire, Ágata s'autorisera enfin à ouvrir complètement les portes de son être intime à quelqu'un d'autre, et à s'abandonner à la passion amoureuse. Cet épisode sera le dernier acte, acmé d'un drame subjectif qui la ravira d'une fois pour toutes, la ramenant vers le point de départ, là où précisément tout avait démarré, le port et sa maison d'enfance à Ingeniero White. Point nodal où, en bout de course, repose pour elle une vérité qui dispenserait toute explication, toute justification, toute preuve matérielle, via crucis entamée en quête de révélation et d'une possibilité de rédemption.

Il me paraîtrait faux, ou en tout cas extrêmement réducteur, de considérer que le drame d'Ágata serait à mettre en lien avec la notion classique de l'insatisfaction féminine, celle que rien ne semble en mesure de combler, CENDRES n'en est pas, à mon sens, une énième version édifiante, Ágata ne serait pas non plus une sorte de Emma Bovary australe. Au-delà même de toute tentative d'approche psychologique de ce personnage de femme magistralement dépeint et occupant ici une place centrale, quasiment exclusive, c'est la subjectivité humaine elle-même, l'impossibilité d'être-dans-le-monde pleinement dont il s'agirait avant tout dans ce récit.

N'avons-nous pas souvent entendu qu'on naît et meurt seuls ? Faudrait-il pour autant vivre dans l'amertume «cet intervalle entre deux néants» ? «A quoi bon prétendre être différent de ce que l'on est ?», se demandera Ágata à chaque tentative frustrée de s'arracher à sa solitude constitutive. de retour à Ingeniero White, néanmoins, elle se souviendra de ces mots prononcés par son père : « Ce qui subsiste de nous, c'est ce que notre coeur est capable de surmonter. Malheur à la fleur qui voudra toujours n'être que fleur ! Ce qui subsiste d'elle c'est son parfum, le souvenir de sa forme».
Les interrogations soulevées par l'histoire d'Ágata relèveraient donc davantage de celles, plutôt universelles, de l'Homme, de son être foncièrement désemparé face à sa solitude intrinsèque, face à la résistance farouche que le réel oppose à son besoin de transcender l'absurde et la finitude de sa condition, face à son désir continental de communion, voué, île parmi d'autres que tout homme constitue, à rester inassouvi.
Décliné dans une langue cristalline et magnifiée, CENDRES a la beauté et la gravité envoûtante d'une suite pour violoncelle, ou d'un adagio vénitien. C'est une oeuvre parfaitement aboutie qui invite à contempler sereinement la lumière éblouissante de la subjectivité humaine, dans ce que celle-ci recèlerait à la fois de plus éclatant et de plus terrifiant. En somme, c'est du grand art.
Âmes sensibles, ne surtout pas s'abstenir !





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Le docteur Reba, devenu veuf trop, a noyé sa peine dans l'alcool et la solitude. Sa fille unique Agata, presque abandonnée à elle-même, cloîtrée, est restée marquée par cette triste enfance de laquelle elle cherche à s'évader. Quand Nicator Cruz se manifeste, elle accepte de l'épouser sans amour, un peu comme un pacte ou une transaction d'affaires, et rapidement les deux s'installent dans un vieux ranch à la frontière de la pampa argentine. Mais les longues années de promiscuité stérile n'aident pas le couple. Au contraire, l'écart entre les deux se creuse pour n'être plus occupé que par les silences.

C'est d'ailleurs là qu'on reconnaît la magnifique plume Eduardo Mallea. Ces silences. Amplifiés par les regards évasifs, par les bouches pincées, par les gestes manqués. Jamais le silence n'aura été aussi éloquent. D'autant plus que les affaires vont mal, les récoltes sont perdues par la sécheresse une année, par le froid la suivante. La ruine est proche. Rien pour rapprocher les époux, qui s'emmurent davantage dans le mutisme. C'est donc l'histoire d'une solitude à deux, d'une passion manquée qui se consumme lentement.

C'est dans ce silence qui frôle la folie qu'Agata perd son mari, emporté par les fièvres. Elle retourne en ville, à Buenos Aires. Mais toujours son silence l'accompagne. On a beau essayer de lui faire la conversion, ses réponses monosyllabiques intriguent mais on insiste pas. Jusqu'à l'arrivée de Sotero, un tombeur de dames. Pour la première fois, Agata laisse libre cours à ses émotions. Mais peut-être aurait-elle mieux fait de conserver son mutisme… car il risque de ne lui rester que désespoir et folie…

J'avais beaucoup aimé « Chaves », du même auteur. Je retrouve les mêmes thèmes, le même style dans « Cendres ». Il s'agit d'un roman sublime, dans lequel Eduardo Mallea réussi à donner une voix au silence. Ce silence, une fois accepté, permet de s'ouvrir au monde qui entoure, mais surtout à plonger au plus profond de soi-même et d'y découvrir un abîme de tourments qu'il vaut mieux taire. Considéré comme le chef-d'oeuvre de l'auteur, il gagnerait à être mieux connu. Et tous gagneraient à entreprendre la lecture de son oeuvre.
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Ce roman est d'une très grande tristesse et dévoile le pessimisme de l'auteur, lequel explore sans concessions et avec beaucoup de justesse des états de solitude et de désespoir qui se transforment peu à peu en folie. La plupart des personnages de « Cendres » sont prisonniers d'eux –mêmes autant que des circonstances qui s'acharnent contre eux sans relâche ; étrangers aux autres, inaptes à la vie, ils semblent condamnés à subir et à creuser un abîme. Agata Cruz a épousé un homme sans l'aimer, peut- être pour échapper à son père, un médecin incompétent et alcoolique, et à la petite ville de Ingeniero White, un port proche de Bahia Blanca. Nicanor est aussi un être taciturne mais moins passionné et imaginatif qu'Agata. Il s'entête à cultiver une terre qui suite à des intempéries occasionnera sa ruine. Dans l'incapacité de s'aimer, Agata et Nicanor n'avaient plus à échanger que silences, ressentiments, puis haines. Aussi la mort de Nicanor apparaît elle d'abord comme un soulagement à Agata, la chance d'un recommencement et elle découvrira même la passion, avec Sotero, un homme brillant, jouisseur, mais aussi volage. La rupture, inévitable, sera une catastrophe pour Agata et dans la dernière partie du roman, Eduardo Malléa s'attache à nous décrire sa lente décrépitude, jusqu'au retour, plus tragique que salvateur, sur les terres de son enfance, c'est-à-dire dans les rues d'Ingeniero White, port aussi anodin que cruel.
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Vraie littérature par un auteur reconnaissable dès les premières pages. Tout est introspectif, avec un style aride comme le désert.

Cendres ou le récit d'une fleur qui se fane dans le désert, d'une femme dont l'intelligence et la beauté n'ont pour toute compagnie que l'indifférence d'un père alcoolique, d'un époux taciturne, d'un amant égoïste. Au terme d'un long monologue intérieur, cette femme va tomber dans l'ennui, le désespoir puis la folie.

Il est curieux de voir comme Mallea semble amené à faire tourner en boucle dans ses romans des héros solitaires, silencieux, malheureux, en marge de la société. Ses thèmes récurrents de solitude physique et psychique font pourtant de ses oeuvres des oeuvres d'art.

Entre les êtres, aucune communication n‘est possible. C'est le silence. On ne peut manquer de percevoir dans l'oeuvre de Mallea la référence constante au silence comme symbole de la solitude de l'homme. Chez Mallea, le silence est consistant.

Ce livre est admirable et m'accompagnera longtemps. Je ne peux que vous le conseiller. J'ai été obligé de l'acheter d'occasion car il ne semble plus édité.
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Citations et extraits (20) Voir plus Ajouter une citation
Assis tous deux sur les sièges avant du véhicule, perdus dans la vaste étendue désolée du paysage, ils avaient l'air si petits, si misérables, si gauches! De temps à autre, ils apercevaient une chouette perchée sur un poteau, un lièvre déboulait de façon impromptue sur le chemin, un engoulevent traversait le ciel en diagonale comme s'il allait les agresser. Ce n'est que dans ces moments-là qu'Ágata sentait la proximité de Dieu. L'immense campagne plate lui faisait voir l'énorme disproportion avec les hommes, leurs insuffisances et leur médiocrité. Dans ces étendues illimitées, on se croyait abandonné et éloigné de tout, et cependant, il semblait possible, en ces lieux et par un simple cri, d'accéder à l'éternité, au ciel universel. Aucune barrière entre soi-même et l'infini.
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Les pâturages furent envahis, les pluies se firent plus rares, et la campagne, malade, se mit à dépérir. Et la population se dispersa en de lentes migrations. Et là-haut, il ne resta que la maison isolée. Sur ce paysage d'aridité et de mort, on croyait voir le refuge de Job. Au sommet de la pente, la seule conversation était celle qui s'établissait entre ces quatre silences : la maison blanche, avec son muret de terre sèche, la montagne, la vallée et les faucons tenaces.
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Leurs amertumes étaient dissemblables. L'une de mâle raté trépignant au beau milieu de son apocalyptique inefficacité, acculé par une réalité qui se refuse à tout compromis, qui se gausse et lui tourne le dos dans un éclat de rire. L'autre blessée; ne portant que le désert dans ses entrailles, le désert dans son âme, le désert dans son cœur, le désert dans son esprit, et traitée par cet homme comme un objet que l'on traine négligemment jusque dans les recoins des ténèbres et du mutisme. Lui, plein de rancœur; elle, blessée. Et tous deux jetés dans le tourbillon de la vie comme des pestiférés du temps et totalement dépourvus l'un vis-à-vis de l'autre de toute charité.
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Est-il possible que ce que l'on porte en soi, l'addition tumultueuse d'impulsions divergentes, ne connaisse qu'une seule issue, un seul dénouement et non les directions multiples de son propre désir? Est-il possible que toutes les voies de l'âme convergent vers un seul et unique naufrage? Si nous sommes pluriels, pourquoi existe-t-il si peu de solutions?
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Ce qu'il y a de plus fragile dans certains êtres rudimentaires, c'est précisément de se croire d'autant plus forts qu'ils sont d'avantages maitres d'eux-mêmes, qu'ils se font plus durs. Et c'est ainsi que, plus ils aiment, plus ils détruisent, tout en pensant sauver ; eux-mêmes, ils se traitent par le fer et ils tuent et périssent par le fer.
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Video de Eduardo Mallea (1) Voir plusAjouter une vidéo

Eduardo Mallea : Les Rembrandt
Olivier BARROT, à Cabourg, présente le dernier roman de l'auteur argentin Eduardo MALLEA, "Les Rembrandt", publié aux éditions Autrement. BT page de couverture du livre et BT peintures de Rembrant.
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