Que dire de la séduction immédiate, presque brutale, provoquée chez moi par un texte de Michon ? C'est l'effet, il me semble, d'une énergie de la langue, d'une très singulière vitalité d'énonciation : avec la prise, ou surprise, d'une voix tout à la fois lyrique et railleuse, d'un rythme, présent, perdu, toujours à l'oeuvre dans le courant de la narration, d'une scansion, en somme, capable d'informer la matière des mots et le tissu d'un monde.
L'écrivain du tout petit assume quant à lui l'hiatus premier qui fonde ses héros, et qui lui permet, au deuxième degré, d'en devenir le biographe. Situé entre être et rien (tous deux animateurs de figures multiples), pétri, mot aimé de Michon, d'être et de rien, son roman célèbre l'existence de ceux qui ne sont ni tout à fait personne, ni tout à fait quelqu'un, ou les deux peut-être à la fois. Heureux donc les minuscules, puisque le royaume des Lettres est à eux - et, à travers eux, à nous.
Ces huit mini-biographies (un garçon de ferme parti aux colonies; deux grands-parents; un paysan devenu peut-être bagnard; un camarade de lycée; un voisin d'hôpital; un curé de campagne; une maîtresse secourable; une jeune sœur morte) finissent par n'en constituer qu'une seule, une sorte d'autobiographie oblique et éclatée. Ou plus peut-être qu'à la constituer elles contribuent à en interroger les fondements possibles, elles permettent au narrateur de questionner le rapport difficile qui l'unit à ses propres mots: pourquoi, comment devient-on un écrivain?
Je n'écrirais jamais et serais toujours ce nourrisson attendant des cieux qu'ils le langent, lui fournissent une manne écrite qu'ils s'obstinaient à lui refuser; mon désir glouton ne cessait pas davantage que son inassouvissement devant l'insolente richesse du monde; je crevais de faim aux pieds de la marâtre: que m'importait que les choses exultassent, si je n'avais pas de Grands Mots pour les dire et que nul ne m'entendît les dire?
Défaut, manque, opacité, voilà désormais les maîtres mots (on retrouvera bientôt la danse), opératoires aussi bien en littérature qu'en peinture. Si je dis une fleur, je fais se lever l'absente de tout bouquet; si j'écris, même, que la vraie vie est absente, c'est l'éloigner encore un peu plus de moi. Le tableau s'enferme, quant à lui, sur le souci, ou sur la jouissance de sa propre matérialité.