Le livre se présente sous la forme d'un diptyque. Deux récits, ayant chacun un semblable point d'ancrage : une maison. Qui, chacune, symbolise aussi une jeunesse. Dans le premier récit, la maison, bourgeoise, située tout près de Boulogne-sur-Mer, est celle des grands-parents maternels d'un jeune garçon qui y passe ses vacances avec son frère aîné, aimé et protecteur, et où se rendent aussi ses parents. On reconnaît cette même famille, la sienne, évoquée dans un précédent livre par
François Maspero, «
Les Abeilles et la guêpe », décimée par la guerre : le père mort dans un camp de concentration et le frère fusillé pour faits de résistance.
Cette fracture irrémédiable de la guerre est aussi dans ce présent livre. Avant : les vacances insouciantes, le grand-père médecin, jardinier passionné, mais aussi le mépris social vis-à-vis des « congés payés » et le maintien des enfants à l'écart des réalités. Et puis l'après, une fois que des tonnes de bombes ont détruit le port et toute la ville. Visions de désolation impressionnantes sous la plume de
François Maspero, où tout de même la vie revient, et avec elle les luttes ouvrières. La maison cossue est encore debout mais toute rafistolée, comme les grands-parents qui l'habitent, cassés de l'intérieur.
La deuxième maison est située sur une île bretonne (Belle-Île), héritée par un jeune couple d'intellectuels, parents d'une petite fille. Bien que l'époque soit celle de la guerre en Algérie dans les années 1950 – le père, qui n'est autre que le garçon de la première partie, en est expulsé à cause de ses articles « tendancieux » –, l'Histoire a ici une moindre influence sinon par les nombreux vestiges du passé que l'île recèle. Il y est surtout question de l'exploration de l'île par la petite fille avec son père, ou de ses jeux, ou encore de son monde imaginaire. À quelques expressions posées discrètement, on comprend que l'enfant, qui, devenue adulte, était restée attachée à cette île, n'est plus.
« En lui, les souvenirs vivaient, écrit
François Maspero. Sortis de lui, alignés devant lui, réduits par lui à une série de signes noirs sur le papier blanc, ils ont à peine le temps de se débattre qu'ils ne sont plus que des objets morts. » «
Des saisons au bord de la mer », puisant aux sources de la mémoire, est un livre désigné a priori comme impossible.
Mais au lieu de l'herbier bourré de souvenirs asséchés auquel il est censé ressembler, le texte est parcouru des frémissements de sa langue et des palpitations de ses images. L'écriture qui s'y déploie touche à l'épure, pourtant riche de descriptions et d'un lexique à la précision scrupuleuse.
François Maspero fait vibrer ses mots tendres et inquiets, comme s'ils étaient eux-mêmes des êtres vivants conscients de la fragilité de leur existence. «
Des saisons au bord de la mer » témoigne d'une volonté « héroïque », puisque reconnue explicitement comme illusoire, de lutter contre la mort, contre toutes ces morts. Rien, là, de romantique. Mais la nécessité de ne pas se laisser submerger par l'immensité de l'absence et du vide.