L'AGE DE DÉRAISON
Indocile de
Dana Spiotta (Editions
Actes Sud)
2017 : Samantha quitte son mari Matt et sa fille Ally pour une maison dont elle tombe éperdument amoureuse. Pour elle, et pour la nouvelle vie qu'elle représente, elle renie son statut d'épouse et de mère afin d'emménager dans la vieille bâtisse Art & Craft (mouvement architectural du milieu du XIXieme) située dans un quartier déshérité de Syracuse, dans l'Etat de New York. A rebours de sa génération embourgeoisée elle dit adieu la vie de suburbs et l'aliénation, et bonjour à la réalité urbaine contemporaine, ses plaisirs ambigües, sa violence et ses difficultés.
Pour autant, tout n'est pas facile pour une femme qui approche les 50 ans. Tandis que sa fille Ally découvre les séductions fallacieuses de la disruption en costard Armani (une histoire à part entière dans ce livre, et pas des moindres puisque c'est le contrepoint de celle de sa mère), Samantha doit constamment s'opposer aux injonctions contradictoires du jeunisme, tout en entretenant son capitale corporel (pas pour séduire, pas pour les autres, mais pour elle) et se battre contre d'incessants réveils nocturnes (qu'elle baptise « le Milieu ») pendant lesquels elle pense à sa vie, la mort, la maternité (la sienne et celle de sa propre mère) et l'état de son pays après les élections de Trump).
Le moins que l'on puisse dire c'est que
Dana Spiotta est une fine observatrice, une anthropologue du quotidien connectée aux informations et aux pratiques de notre époque. Dans
Indocile, on parle avec énormément de subtilité, d'humour et de décontraction (Sam est inscrite au groupe « Vieilles peaux » et « Viragos, Mégères et Harpies Hardcore » sur Facebook), de biohacking et de ménopause, d'indépendance féminine et d'acceptation (plus ou moins facile) de son âge, d'émancipation, de nouveau conflits inter-générations et de la difficulté de privilégier un débat complexe contre les fourvoiements et les anathèmes générés par le déluge d'images et de références actuelles, d'anthropocene, des incels, des MLOW (Men Who Lead Their Own Way), de la culture des « nudes », des dérives New Age, de la solitude en temps connectés, etc. Et tout en philosophant sur notre époque,
Indocile raconte vraiment une histoire, celle d'une mère et d'une fille, à la fois intemporelle et de notre temps.
Pour autant, comme dans la bonne littérature américaine (qu'égale très rarement la française)
Indocile n'est pas qu'un roman. C'est une cartographie à la Korbinsky de l'état du monde depuis 7 ans, un rapport vécu au féminin de ce que l'on a gagné et ce que l'on a perdu. Une critique lucide mais également un texte d'encouragement dédié au futur (et aux générations futures), à ce qui arrive et à ce qui compte de positif dans le monde complexe où nous évoluons.
A ce titre il n'est pas étonnant de voir les premiers romans de
Dana Spiotta célébrés par un écrivain penseur comme
Don DeLillo, ni d'apprendre que cette autrice a été récompensé du prix
John Updike décerné par l'Academy Of Arts and Letters.
Indocile est rebelle en effet, mais ne se dresse pas contre sans argumenter, ni sans comparer ce qui, chez certaines personnes et personnalités peut être à la fois admirable et problématique. Il nous enseigne enfin, que le monde et l'histoire de la pensée n'est pas, ne peut pas être, ne sera jamais, tout noir ou tout blanc. Une idée très simple, qui semble pourtant toujours autant ignorée aujourd'hui.
UN LIVRE POUR LA COMPLEXITÉ, CONTRE L'ASSERVISSEMENT À L'IMBÉCILITÉ. A lire !