Un livre magnifique et dérangeant. Sur fond de djihad, d'intégrisme ambigu, de séductions et de déceptions, de violence et de mort, douze nouvelles racontent l'insoutenable.
Je pensais, sur la foi de la quatrième de couverture, que ce recueil ne traitait que de fugues en Orient, mais en fait il s'organise en deux versants.
Dans le premier, introduit par une prédication enflammée contre les odalisques de Delacroix (les Femmes d'Alger), appel exalté au meurtre et à la destruction de l'oeuvre, dénonciation hystérique de l'art, du bonheur et de la femme, six nouvelles se placent effectivement du côté de ceux (et plus souvent celles) qui sont séduits par l'appel, et donc plutôt dans le monde occidental. Sur un thème sulfureux, l'engagement de toute une jeunesse pour le djihad, ce sont des récits tout en tendresse. Une tendresse à la Sebbar, bien sûr, bourrue, incisive, comme le style de ces textes, avec des phrases elliptique et des conclusions évasives, mais une immense tendresse pour ces filles brillantes, rêveuses, malheureuse, engagées, folles, bernées ou pour ces humbles mères aimantes et dépassées (j'aime particulièrement celle de « Les jumelles, bergères savantes et folles »).
Puis, après l'histoire d'une jeune femme muette, séquestrée en elle-même, qui se libère pendant le « printemps » de Tunis, le regard se déplace vers l'Orient et les quatre dernières nouvelles ne parlent plus du sacrifice romanesque de cette jeunesse enflammée, mais, avec une écriture plus souple, plus foisonnante, de la réalité de ces terres tragiques, de la fuite des chrétiens, guidés par des prêtres aussi intransigeants (ou presque) que ceux d'en face, des enfants sans mère, bâtards de chefs de guerre qui se baptisent émirs, des guerrières kurdes, des poètes assassinés, des jeunes prisonnière sous leurs voiles noirs, « esclaves sans nom, sans famille, sans maison, pas d'ancêtres, pas de descendants, des bêtes qui avaient la forme de femmes avec ce qu'il fallait pour le plaisir des guerriers, chaque soir, chaque nuit et plusieurs fois jusqu'à l'aube » et de Palmyre, champ de ruine. A mes yeux, le récit le plus emblématique, dans cette seconde partie, est celui du simple désespoir de « L'homme qui pleure » d'avoir dû s'enfuir en abandonnant sa vieille mère, trop âgée pour supporter le voyage : « Ma mère, je l'ai tuée ».
Sous la tendresse, une dénonciation de silex. Ne rêvez pas, jeunes filles, l'Orient est vraiment rouge, rouge sang.
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'orient est rouge est un recueil de nouvelles écrites par un auteur Tunisien.
C'est un livre choc, violent en émotions et en ressentis, car il explique les facteurs ayant amené des personnes à devenir terroristes et à renier l'être humain.
Quand on devient terroriste, plus rien n'a de valeur, plus rien n'existe, pas d'humanité, de sentiments, de respect de soi et des autres.
A travers ces courtes nouvelles, ces jeunes /moins jeunes hommes et femmes, différents, nous montrent comment on devient une machine de guerre, dévoué(e) à la violence, la tuerie, à engrosser les femmes, tuer la liberté.
C'est très bien écrit, les mécanismes psychologiques décortiqués, et on suit la malheureuse descente aux enfers de ces personnes.
Un livre d'actualité à lire, pour comprendre et se prémunir.
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Ces écoles étaient devenues des maisons d’esclaves sans nom, sans famille, sans maison, pas d’ancêtres, pas de descendants, des bêtes qui avaient la forme de femmes avec ce qu’il fallait pour le plaisir des guerriers, chaque soir, chaque nuit et plusieurs fois jusqu’à l’aube, elles pensaient mourir, elles se tueraient, étranglées, pendues avec le voile noir qui les couvrait…
« Je ne voulais pas qu’elle souffre, elle est si vieille, elle refusait de quitter sa maison, elle a dit qu’on la laisse. Mourir en terre étrangère, non. Mourir dans la langue de l’ennemi, non.
Ma mère n’a pas voulu que je la porte sur mon dos. « Je ne suis plus une enfant. Va mon fils, va. Quitte l’enfer pour un autre enfer »
Je l’ai tuée.
J’ai tué ma mère. Elle était si faible. Je l’ai abandonnée, seule dans sa maison aux volets bleus. Ce bleu si beau de nos pays, vous savez. J’avais repeint les volets pour elle, pour sa vieille vie.
Ma mère, je l’ai tuée. »
Lors de son voyage en Orient, Gérard de Nerval avait acheté une esclave. Il lui fallait absolument une femme pour la maison. Elle était jeune et vive. Gérard de Nerval quitte le pays pour la France. Elle le supplie de la garder, il dit "Non" et il s'en va.
La Bibliothèque francophone de Paris 8 vous propose une rencontre avec Leïla Sebbar, rencontre littéraire organisée par Ferroudja Allouache et Kamila Bouchemal ainsi que les étudiant.e.s de Master Création critique/Écritures du monde.
Retrouvez cette ressource et sa documentation sur Octaviana (la bibliothèque numérique de l'université Paris 8) : https://octaviana.fr/document/VUN0036_19