Le titre fait référence au personnage central du récit : une domestique qui, un jour, débarque à la ferme des Sever, « où aucune femme n'a vécu depuis plus de vingt ans ». Impénétrable, impassible, jamais nommée et toujours désignée par « elle » ou « la servante », elle n'en bousculera pas moins le quotidien et le destin des deux autres protagonistes. Celui d'Emile Sever, veuf taciturne et sexiste aux idées bien arrêtées, dur à la tâche et se méfiant de tout, à commencer par ses propres émotions. Et celui de son fils, Florian, boiteux de naissance, taiseux, qui a sacrifié ses rêves pour soutenir son père.
Dès le début,
Brigitte Pilote établit le lien entre les trois personnages : le père a fait venir la servante à la ferme dans l'espoir secret de la marier à son fils infirme, qui ne semble pas avoir d'inclinaison pour les femmes. Il voit en elle la possibilité de "sauver" Florian et de prolonger la lignée. Pourtant, malgré la promiscuité, chacun regarde l'autre sans pouvoir s'exprimer, bloqué dans ses amertumes. Une solitude bien rendue par l'alternance des points de vue, qui jamais ne se croisent. Et cette impossible communication est plus « criante » quand au fil des pages se font entendre les bruits du quotidien : le bourdonnement d'une mouche, la pluie qui heurte la fenêtre, le meuglement des vaches...
L'atmosphère est lourde, nul ne pourra échapper à son destin. Or, même s'il est difficile d'avoir de la sympathie pour les personnages, le roman marque par la qualité de l'écriture. Entre les évocations de la dure et frugale vie paysanne et les magnifiques descriptions de la nature, tout est transcendé. Court roman de 159 pages mais extrêmement dense. Je vous le recommande.