Le Grand roman de ma petite vie, tome 2 : Bouge tes fesses !

Bon, j'ai récupéré quelques cartons dans la rue commerçante et dans des supermarchés ; c'est un début. Il ne reste plus qu'à trier, éliminer, dire adieu aux souvenirs, aux loques, au superflu pour démarrer une vie toute neuve.
J'entre dans la chambre que je partage avec Omama ; elle a commencé à remplir ses cartons. Il faut se lever tôt pour avoir de l'avance sur cette septuagénaire : elle a de l'énergie à revendre. Dès qu'elle me voit, elle cache rapidement les albums photos qu'elle avait dans les mains.
On était trois dans cette petite chambre parisienne : Omama, qui est ma grand-mère, ses secrets et moi. Si on ne peut pas raconter ses secrets aux personnes qu'on aime, à qui les raconter ? On risque de les emporter dans sa tombe.
Mais ce n'est pas le moment de creuser, et j'ai déjà assez gratté : je sais enfin qui était mon grand-père, le reste attendra. Omama me jette un regard coupable et continue à mettre des objets dans le carton. Moi aussi, je me sens coupable de ne rien avoir désiré de plus que d'avoir une chambre à moi pour ne plus entendre les ronflements d'Omama. Et mon rêve va bientôt se réaliser puisque nous déménageons au dernier étage de l'immeuble ; nous paierons plus cher pour avoir une chambre supplémentaire. Ma grand-mère, elle, ne comprend pas l'utilité de changer d'appartement. Elle se trouvait très bien, ici, avec une auditrice pour ses symphonies nocturnes. Elle aimait sa petite cuisine, aussi ; celle du nouvel appartement, une merveille high-tech avec lave-vaisselle, ne lui fait pas envie. Cette «innovation» est presque criminelle pour Omama qui considère que l'on y gaspille l'eau et l'électricité. Elle aurait adoré vivre au Moyen Âge. À part la télé, toute technologie lui semble inutile.
- Il va falloir acheter deux grands lits, je lui dis.
- Quels grands lits ? Je suis très bien avec le mien et je garde les deux. J'étais heureuse avec toi à côté de moi. Maintenant, tu vas être loin.
- Juste de l'autre côté du mur, Omama, ce n'est pas si loin. Et puis j'aimerais te voir dans une belle chambre.
- J'avais déjà une belle chambre. Et une belle petite-fille ! On ne jette pas des lits comme ça, ils sont très bien.
- Tu dormiras mieux dans un grand lit.
- Je serai perdue, dans un grand lit.
Je n'arriverai pas à dormir et il n'y a pas pire punition qu'une nuit sans sommeil. Et puis on sera heureuses d'avoir un lit supplémentaire pour nos invités.
- Quels invités ?