AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
EAN : 9782213009377
295 pages
Fayard (31/03/1981)
3.6/5   5 notes
Résumé :
L'Amérique est en crise. La première puissance du monde ne sait plus où elle va, et le monde entier commence à s'interroger. Cette inquiétude est-elle justifiée?Oui, répond Michel Crozier. Sociologue libéral, confiant dans les possibilités infinies de la démocratie, il a cru à la vertu stimulante du modèle américain. Car nous vivions sur l'image d'une Amérique heureuse, pays de la générosité et du progrès illimité, de la science et de la raison.Mais le temps de cett... >Voir plus
Que lire après Le Mal AméricainVoir plus
Citations et extraits (3) Ajouter une citation
[L’effondrement de la recherche aux USA]

Bien sûr, on peut trouver des raisons économiques et sociologiques à cet effondrement d'un système universitaire, à défaut d'avoir su en analyser les mécanismes de fonctionnement quand il était encore temps. Ce système vivait sur le mode de l'expansion, la concurrence y était bénéfique parce qu'il y avait de la place pour tout le monde. Pour réussir, un professeur devait publier ses travaux le plus vite possible, de manière à se faire un nom et à attirer les meilleurs étudiants. Ceux-ci contribueraient à son succès, car c'est avec de bons étudiants qu'on fait de la bonne recherche. Et la valeur d'un chercheur sera d'autant plus reconnue que des disciples auront fait fructifier ses idées et seront devenus importants à leur tour. D'où l'intérêt, au lieu de préparer dans l'ombre l'annonce éclatante de résultats secrètement accumulés pendant des années, de mener au contraire une politique ouverte, généreuse et, pour tout dire, expansionniste. Un scientifique en plein essor prendra auprès de lui quatre ou cinq brillants doctorants, qui l'aideront à mener à bien son ambitieux programme de recherche. C'est là que gît le lièvre. Car le programme ne durera que trois ans ou quatre, cinq au plus, et pour ces doctorants qui auront produit une thèse de haute qualité il faudra trouver une place, puis financer un autre programme de recherche, dans lequel ils s'entoureront à leur tour de quatre ou cinq jeunes loups, encore plus brillants et aux dents encore plus longues. Même en tenant compte des échecs inévitables, on obtient ainsi un accroissement géométrique, beaucoup trop rapide et qui ne peut que se briser net un jour ou l'autre : à ce rythme-là, en cinquante ans la moitié de tous les Américains seraient dans la recherche ! Si l'expansion a pu cependant se poursuivre assez longtemps, c'est parce qu'on avait effectivement les moyens de faire vivre beaucoup de scientifiques et que le baby boom ainsi que les progrès de la scolarisation créaient des places nouvelles. C'est ainsi que l'on vit naître de nouvelles universités, les universités d'État croître de façon impressionnante, tel petit college rural devenir en quelques années une université florissante, avec des centaines de postes à pourvoir. La liberté d'embauche, dans ce système concurrentiel bien rodé, accélérait le processus : les jeunes universités, notamment californiennes, s'arrachaient les vedettes à prix d'or et, en faisant monter le niveau des rémunérations, rendaient encore plus attrayantes, pour les meilleurs étudiants, des carrières prestigieuses qui de surcroît devenaient lucratives. Et les fonds pour la recherche semblaient inépuisables, comme les besoins de l'État et de l'industrie.

Dès la fin des années soixante, l'extrapolation de cette expansion menait à des résultats absurdes. Et cela commença à craquer, en 1970-1971, du côté de la physique, la science de pointe, qui avait attiré le plus d'étudiants. Les physiciens, soudain en surnombre, se rabattirent sur les sciences voisines, propageant ainsi la crise de proche en proche dans les autres sciences exactes, puis dans l'édifice scientifique tout entier, sciences sociales comprises. La crise des disciplines littéraires se déclara presque en même temps : l'inflation y avait été moins forte et elles dépendaient beaucoup moins des crédits de recherche, mais l'arrêt brutal de l'expansion universitaire eut des effets dramatiques sur le marché de l'emploi. La bonne spirale heureuse de naguère fit place, au moins dans les disciplines les plus vulnérables, à un très grave cercle vicieux. Les étudiants les plus doués se portèrent vers les écoles professionnelles - Business schools, Law schools, Medical schools – qui seules assuraient des débouchés. (On en vient même à organiser des programmes de reconversion, rapide au management, pour les docteurs frais émoulus en littérature ou en sciences sociales). La recherche n'attirant plus les jeunes gens les plus doués, les chercheurs en place ne se sentirent plus stimulés. Les mandarins se retirèrent dans leur tour d'ivoire, les postes d'assistants furent pourvus à un niveau de plus en plus médiocre. La recherche devint donc de moins en moins créatrice et attira de moins en moins les bailleurs de fonds. Cela contribua encore à écarter les éléments les plus prometteurs, et ainsi de suite, par une spirale implacable.
Commenter  J’apprécie          00
[la discussion entre Américains]

Faire déjeuner ensemble trois personnes qui se croient importantes, cela demande, à Paris, une secrétaire habile et plusieurs semaines. Ensuite, le déjeuner prendra au bas mot deux heures et demie, dont la moitié ou les deux tiers seront perdus en préliminaires, manœuvres d'approche, jeux d'esprit et balivernes. A Harvard, un déjeuner se décidait sur-le-champ, d'homme à homme, et ne durait jamais plus d'une heure et quart. Dix minutes pour passer la commande et expédier les quelques plaisanteries d'usage, histoire de montrer qu'on est en forme, puis tout de suite l'ordre du jour. De quoi parle-t-on ? Moi, je voudrais mettre à l'ordre du jour les points 1, 2, 3. Lui ne souhaite pas aborder 2 tout de suite mais voudrait ajouter 4 et 5. Je suis d'accord pour 5, mais je préférerais réserver 4 pour la fin, parce que j'ai besoin d'être d'abord au clair sur tout le reste. Cinq minutes à peine pour établir ce programme, et on passe au point n° 1. Les questions sont acérées, les réponses précises. C'est que les mots pèsent, portent en eux des actes, induisent de nouvelles réflexions, sans divorce entre l'action et la pensée. Si jamais survient une intuition intempestive, on peut même interrompre l'échange pour en faire état : « Ça me fait penser à... » On ouvre la parenthèse deux minutes, on la referme, on y reviendra plus tard. Ensemble ou chacun pour soi : peut-être cela donnera-t-il, dans quelque paper, une note en bas de page : « Je dois cette idée à mon ami Untel. » Bonheur d'écouter, bonheur d'être écouté. On relance la balle, sans idée de compétition – splendide jeu de tennis où l'on ne compterait pas les points. Joie de l'esprit libéré de la matière : au café, on ne sait pas très bien ce qu'on a mangé ; mais est-ce vraiment si nécessaire ?
Commenter  J’apprécie          10
S'il est un principe fondamental d'organisation qui gouverne toute la vie américaine, ce n'est pas, comme on pourrait le croire, l'organisation scientifique du travail ou le plus moderne management. C'est un principe juridique : l'absolu respect des règles de procédure. Impersonnelles et contraignantes, celles-ci passent avant tous les problèmes de fond, car elles seules sont garantes de la liberté des hommes et de la possibilité pour eux de rechercher le bonheur. Jamais un Français, ni aucun Européen, ne pourra faire vraiment sienne l'extraordinaire idéologie juridique dont toute la société américaine est imprégnée, et qui tient tout entière en ces deux mots : due process.
Commenter  J’apprécie          40

Lire un extrait
Video de Michel Crozier (2) Voir plusAjouter une vidéo

Notre ordinateur quotidien
La moitié des actifs soit 10 millions de français travaillent aujourd'hui dans les bureaux. Louis DOUCET interview M. Michel CROZIER, C.R.N.S. "la bureaucratie actuelle est-elle un héritage d'autrefois.... l'arrivée de l'ordinateur correspond-elle à l'arrivée de la machine à trier ..." extrait de "MESSIEURS LES RONDS DE CUIR" (le dossier "quibotte").Image du Sicob qui vient d'ouvrir ses...
autres livres classés : anthropologieVoir plus
Les plus populaires : Littérature française Voir plus


Lecteurs (10) Voir plus



Quiz Voir plus

Pas de sciences sans savoir (quiz complètement loufoque)

Présent - 1ère personne du pluriel :

Nous savons.
Nous savonnons (surtout à Marseille).

10 questions
414 lecteurs ont répondu
Thèmes : science , savoir , conjugaison , humourCréer un quiz sur ce livre

{* *}