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EAN : 9782742782147
287 pages
Actes Sud (09/03/2009)
4.12/5   8 notes
Résumé :

Dans les eaux glacées du Belomorkanal (le canal de la mer Blanche) se reflète une époque glorieuse et douloureuse. Edifié en 1931-1933 par une armée de bagnards, cet ouvrage, qui reçut le nom de " canal Staline ", fut aussitôt élevé au rang de mythe par la littérature, la photographie et le cinéma. Une preuve de " la vérité du communisme ", s'exclamait Gorki, enthousiaste de la réé... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (6) Voir plus Ajouter une critique
Le Belomorkanal est situé dans le grand Nord Russe, il débute à la mer Blanche près de Belomorsk au sud de Kem et termine sa course dans la Baltique, près de Saint Péterbourg, après avoir traversé les lacs Onega et Ladoga. Long 225km le canal fut construit en 1933 par les Zeks des camps de Carélie et des Solovki sous l'initiative de Staline.
Entre 2007 et 2008 Anne Brunswic part en Carélie recueillir l'histoire du canal à travers la mémoire et les témoignages des anciens. Sa première rencontre va la plonger dans un livre rare, un livre propagande illustré, racontant la construction du canal. Des écrivains comme Gorki, Aragon et bien d'autres « applaudissent sans réserve la science prodigieuse de la rééducation de l'homme » ; Ce livre a largement « contribué à tromper l'opinion publique tout en préparant le terrain pour de nouvelles vagues d'arrestations ». Mais la construction du canal a aussi été dénoncée comme une entreprise inhumaine et surtout inutile d'ailleurs la profondeur du canal n'étant pas suffisante ne permettra pas la navigation des bateaux de fort tonnage.
L'histoire-reportage de ce chantier colossal par le biais de ces rencontres donne un récit fort et prenant. le regard d'Anne Brunswic reste discret et pudique, il est dénué de tout jugement, elle campe simplement, les habitats sommaires et les portraits très réalistes. Ces récits sont poignants : familles décimées, hommes et femmes traqués, brisés par le travail et menant une vie dure dans une totale résignation ou impuissance.
Anna Brunswic rencontre des gens de toutes origines : médecins, infirmière, institutrice, bibliothécaire … tous ont perdu un membre de leur famille au canal, certains y ont travaillé, tous se souviennent. C'était la promesse d'une prospérité pour la Carélie !
Enfin le récit se termine par le réquisitoire : « J'accuse … » de Ivan Ivanovitch Tchoukhine « qui n'avait pas peur de penser ni de s'exprimer » il a fait un travail colossal pour identifier les corps. (J'ai mis une partie du « j'accuse » dans les citations)
Ce magnifique témoignage vaut la peine qu'on le lise ne serait-ce que pour rendre hommage aux disparus.
Ce livre a laissé en moi une forte empreinte et suscité de profondes réflexions pourtant ce n'est pas le première fois que je lis sur ce thème ... mais j'ai récemment voyagé aux îles Solovki et en Carélie.
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« Au début, le voyageur étranger s'étonne de rencontrer des Russes qui, directement ou à travers leurs parents, ont subi la répression stalinienne, et pour autant ne sont nullement devenus des adversaires du régime. le cas est banal. Beaucoup même ont pu gravir les échelons au sein du Parti et s'y sentir à l'aise jusqu'à l'effondrement du régime. le visiteur doit se rendre à l'évidence : il n'a pas toutes les clés  Il essaie de comprendre quelles réalités vécues recouvrent pour son interlocuteur « communisme », « stalinisme », « Parti », tâtonne, échafaude des hypothèses, va chercher des réponses chez les historiens, les philosophes... Et plus il apprend, moins il sait. »

Ne cherchez pas ici des renseignements exhaustifs (techniques économiques ou historiques) sur ce canal, qui unit le lac Onega à la mer Blanche, chantier pharaonique conçu par Staline qui y attela 150 000 zeks dans des conditions atroces. Un canal aux archives interdites, et tenu secret pour de vagues raisons stratégiques.

« Pierre le Grand en a rêvé, Staline l'a fait. le sort des moujiks entre temps a peu varié. »

Ou alors lisez un autre livre que celui d'Anne Brunswic. Car elle annonce d'emblée sa façon de procéder.

« La vérité est que tu aimes bien frapper à la porte d'un ou d'une inconnu(e), sans projet arrêté, sans nécessairement chercher de réponse à une question qui préexisterait. Il serait prétentieux d'ériger ce tâtonnement en méthode mais c'est bien de propos délibéré que tu joues à te perdre. »

Les eaux glacées du Belomorkanal est donc plutôt un livre d'humanité transmise, qu'un document objectif. C'est un livre sans idées préconçues, sans cases toutes prêtes, sans jugement. On y suit le cheminement géographique de l'auteur, ses rencontres dans les villes avoisinantes, dans des musées, des bibliothèques, des établissements scolaires. Mais aussi chez l'habitant commun, à ce qui reste de l'hôpital psychiatrique, au sanatorium. Là, elle va à la rencontre des hommes ou surtout des femmes, instaure une confiance, recueille des témoignages. C'est au fil de ceux-ci que sont tranquillement distillées les informations factuelles sur le canal. Et la vie aujourd'hui, si elle semble sans rapport, ne serait pas ce qu'elle est sans le canal (son empreinte dramatique mais aussi joyeuse dans les mémoires puisque certains s'y sont baignés enfants dans l'insouciance) , et les industries (scieries, usines d'aluminium ou de cellulose fabriquant des sacs de papier Kraft) qui en on découlé. Et surtout sans L Histoire sombre qu'il véhicule, car pour chacun émerge qui un père, qui un frère arrêté, accusé, emprisonné, des vies sous l'emprise de la terreur. Ainsi se tisse peu à peu un regard nouveau sur la répression stalinienne, refoulée ou exprimée, mais toujours inscrite au coeur des Russes.
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    Anne Brunswic nous offre un reportage sur le Canal de la Mer Blanche. Plus exactement, au cours d'un long séjour réalisé en 2006-2007, elle rencontre de nombreux Russes peu ou prou impliqués dans la vie de ce canal de sinistre mémoire puisque construit sous Staline en vingt mois à grand renfort de prisonniers politiques et de droit commun. Cela nous offre l'occasion de mieux nous rendre compte dans quel état (conditions de vie, opinions) se trouvaient il y a moins de quinze ans les habitants d'une partie de la Carélie, région de Russie limitrophe de la Finlande. L'auteure nous dresse une série de portraits d'individus en ne cherchant ni à les expliquer ni à les juger. Elle nous fait partager son empathie pour des personnes souvent modestes qu'elle interroge sur leur vie.

    le plus frappant pour nous autres dans ce récit-reportage est l'omniprésence de la mémoire des années noires. le nombre de familles dont un ou plusieurs membres ont été éliminés en 1937-1938 est très impressionnant ; il est, toutes proportions gardées, similaire à celui des tués de la Grande Guerre chez nous mais s'accompagne là-bas des traces de la grande peur que le Goulag a durablement inoculée dans la population. Certains comportements contemporains sont encore influencés par la terreur de cette époque. Un autre aspect fort troublant est celui de la pauvreté générale des ménages et de leurs conditions de logement. En contrepartie de ce sombre tableau, l'hospitalité offerte en toute simplicité à l'écrivaine d'origine juive démontre la bonne volonté des femmes et hommes rencontrés. On note également la relative ouverture du régime qui ne s'oppose plus (du moins en 2007) à la réhabilitation des fusillés et disparus sous Staline ni à la recherche des charniers qui entourent le tracé du canal d'ineffaçables taches noires.

      En ces temps perturbés par la guerre en Ukraine, il n'est pas inutile d'essayer de mieux connaître la Russie telle qu'elle était vers 2006-2007, c'est à dire plus de quinze ans après l'effondrement de l'URSS, de huit ans après la crise financière de 1998 (PIB divisé par deux) et de cinq ans après l'arrivée au pouvoir de Vladimir Poutine. Il est troublant de mesurer sur cet "échantillon" de la Russie la profondeur de la marque laissée dans les familles et les esprits par l'ère stalinienne.

    Prétendre connaître la Russie à partir de ce seul livre serait bien évidemment faux. Mais, même si l'aire géographique et la période d'observation concernées sont limitées, le simple fait d'entrer chez l'habitant et de partager pendant plusieurs jours sa vie quotidienne aide le lecteur à moins mal mesurer l'écart qui le sépare du peuple russe. Ce livre est tout à la fois une leçon d'histoire contemporaine et un petit bijou anthropologique.
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Enquête historique et récit de voyage, ce livre écrit par une journaliste, qui fut communiste dans ses jeunes années, nous invite à travers documents et témoignages, à découvrir l'histoire du Belomorkanal.
Quelques indices ont été le point de départ de sa recherche. le premier est le paquet de cigarettes qui portent le nom de Belomorkanal qui « est aux russes ce qu'est la Gauloise aux français. »
Son deuxième indice sera un livre que lui montre une amie russe, livre de propagande préfacé par Maxime Gorki qui « sans en avoir le titre, tient le rôle de Ministre de la Culture » et qui chante les louanges d'une réalisation soviétique le Belomorkanal, véritable chef-d'oeuvre initié par Staline. Ironie de l'histoire, une partie des auteurs de ce livre seront eux mêmes victimes des purges staliniennes quelques années plus tard.

Inauguré en 1933, ce canal qui comporte 19 écluses répondait à des besoins stratégiques et militaires, il relie le lac Onega à la mer Blanche et permet à la navigation d'éviter le contournement de la Scandinavie.
Maxime Gorki croyait, ou faisait semblant de croire, à la rééducation nécessaire des prisonniers, la rédemption par le travail. Cet avis est partagé par Louis Aragon qui « applaudit sans réserve la science prodigieuse de la rééducation de l'homme »
La réalité sera très noire, ce canal déjà rêvé par Pierre le Grand, a été réalisé en 18 mois, ce sont 150.000 prisonniers qui vont travailler sur ce chantier pharaonique.
La création du chantier se confond avec l'organisation du Goulag, le nombre de prisonniers variera en fonction des besoins le NKVD n'hésitant pas à arrêter des personnes sans motif aucun, mais possédant les compétences techniques nécessaires : menuisier, électricien. le Goulag devient « le premier entrepreneur du pays ».

Les prisonniers koulaks ou prisonniers politiques vont mourir d'accidents, de famine, d'épuisement, de froid. Au moins 20.000 d'entre eux trouveront la mort sur Belomorkanal en particulier au début des travaux où rien n'était prêt pour les accueillir et à la fin où le travail s'accélérait pour tenir les délais imposés par Staline «Cet été là, des cadavres remontaient à la surface, ceux des cimetières engloutis sous les lacs du barrage, ceux qu'on avait pas eu le temps d'enterrer pendant le chantier. »

Anne Brunswic a sillonné la Carélie durant l'hiver 2007 car dit-elle dans une interview « pour comprendre la vérité de la Russie il faut la visiter l'hiver, la civilisation russe s'est construite pour résister à l'hiver »

Ce qui rend son livre passionnant c'est qu'au delà de son enquête sur le canal, elle a choisi de séjourner chez l'habitant, elle a sillonné les villages qui bordent le canal, elle a recueilli un grand nombre de témoignages sur la période du chantier mais aussi sur les années terribles de 1937/1938.
Ce sont souvent des femmes, bibliothécaires, médecins, institutrices, qui témoignent de l'histoire de cette région pendant la guerre, sous le stalinisme, mais aussi aujourd'hui. de nombreuses familles ont eu un membre déporté, fusillé, ou tout simplement disparu.

Elle rend hommage à deux hommes Yvan Tchoukhine et Youri Dimitriev créateurs de l'association Mémorial en Carélie, Tchoukhine auteur d'un « j'accuse » mettant ouvertement en cause Staline, car aucunes considérations ne « peuvent justifier le principe du travail forcé, qui contredit radicalement les idéaux socialistes » affirme t-il dans son brûlot et le même Tchoukhine exigeant que « l'affaire soit portée devant le tribunal de l'histoire ». Cet appel lancé dans les années 90 est resté lettre morte et aujourd'hui Dimitriev poursuit seul un travail d'investigation sur les charniers de Carélie sans recevoir aucune aide.

Lien : http://asautsetagambades.hau..
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L'histoire contrastée et la trace actuelle du canal Baltique – Mer Blanche, exhumée depuis le terrain, en Carélie.

Sur mon blog : http://charybde2.wordpress.com/2016/04/29/note-de-lecture-les-eaux-glacees-du-belomorkanal-anne-brunswic/

Lien : http://charybde2.wordpress.c..
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Citations et extraits (9) Voir plus Ajouter une citation
J'accuse Joseph Staline et les dirigeants du Parti et de l'administration responsables de la construction du canal mer Blanche-Baltique d'avoir été incapables de trouver des solutions convenables aux problèmes économiques et sociaux qu'affrontait le jeune état socialiste dans cette époque charnière des années 1920et 1930 marquée par une conjoncture difficile au plan intérieur et international. dans toute l'immense expérience de l'humanité, ils ont choisi le moyen le plus primitif et le plus cruel - le travail forcé, tel qu'il se pratiquait à l'époque de l'esclavage... on dissimula soigneusement au peuple toutes les conséquences néfastes de cette politique... On fabriqua un climat de peur, d'intolérance, de méfiance, de délation, de doute et de passivité générale qui causa un profond abaissement des valeurs morales...
J'accuse enfin l'arriération culturelle, l'abaissement spirituel, la lâcheté, la paresse, la vulgarité et la résignation qui permirent de soumettre tout un peuple à des expériences aussi infâmes et tragiques... Activement ou passivement, les gens ont laissé leurs concitoyens être bafoués et exterminés. On a oublié (ou ignoré) que l'homme n'est pas un rouage de la machine de l'Etat mais une créature et lui-même "la mesure de toute chose"
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Une passerelle couverte de neige traverse le torrent pour conduire à deux isbas dans une clairière. Ce calme paysage hivernal composé par Rodtchenko ouvre le chapitre 7 intitulé « Les soldats du canal » mais la légende recadre le propos : « Ici, depuis que le canal passe, c’est une nouvelle nature qu’on a créée. » Une photo colorisée représente de trois quarts une détenue attaquant un rocher à l’aide d’un marteau-piqueur. En légende, une citation de Marx : « En transformant la nature, l’homme se transforme lui-même. » Sur une page représentant deux prisonniers occupés à scier un tronc dans une clairière enneigée, le message se répète : « Le travail les rééduquera. » Une autre photo page 262 montre un énorme nuage noir s’élevant au-dessus d’un lac, splendide composition en gris et noir qu’on pourrait croire d’inspiration symboliste. « Ils n’ont pas seulement fait sauter un rocher – ils ont fait sauter leur vieux monde », dit la légende. Le chapitre intitulé « Les tchékistes » s’ouvre avec l’image d’une grande croix orthodoxe recyclée en poteau électrique : « Sur les croix de la vieille Carélie, les fils électriques, drapeau du progrès socialiste… » Sans relâche, l’Album Gorki tire toute légende vers le légendaire et toute photographie vers l’allégorie.
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Les îles Solovki – mer Blanche, 66° parallèle – sont devenues ces dernières années une destination en vogue pour les pèlerins et les touristes ; elles ne l’étaient pas en 1923 lorsque le SLON, premier camp à régime spécial y a été établi. En juin 1929, l’archipel reçu la visite de Maxime Gorki qui en revint convaincu que ce nouveau camp soviétique était bien préférable au bagne tsariste et aux geôles capitalistes : lieu de rééducation par le travail, le camp préparait le délinquant à devenir un citoyen utile dans la société socialiste. Pendant sa visite les détenus lui avaient glissé dans la poche quelques lettres qui devaient tout de même tempérer son enthousiasme.
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En mai 2007, est paru en français La Maison au bord de l’Oniégo de Mariusz Wilk. Dès que j’ai pu, je me suis jetée sur les carnets de cet écrivain polonais qui vit depuis longtemps dans le Nord russe et vient de passer trois ans tout près de Velikaia Gouba. Avec lui, j’apprends beaucoup sur les traditions poétiques, mystiques et culinaires du Nord. Mais nous n’avons pas vu le même pays. M.W. passe le plus clair de son temps à aménager sa vaste maison, à résister au froid, à admirer le lac dans tous ses états, à se nourrir de lectures et de sagesse orientale, à fuir les importuns. Sur les moujiks de la Grande Baie, abrutis par l’alcool et la fainéantise, il ne trouve pas grand-chose de bon à dire. Même pas capables de réparer un poêle. Et pas davantage sur les mères Courage qui portent le village à bout de bras. M. W. est entré à la bibliothèque mais n’a pas poussé les portes de l’internat psychiatrique ni de la maison de la culture. Ses regards sont obstinément tournés vers le sanctuaire de Kiji et la spiritualité orthodoxe. Les miens, obstinément, ailleurs.
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Je reviens d’un long séjour en Carélie. J’ai engrangé des notes, des carnets, des photos, des enregistrements sonores et même quelques films sous forme de galettes argentées. S’il faut risquer l’image d’une grange, la mienne se remplit l’hiver, dans la neige. De nouvelles amitiés se sont nouées. De tout cela sortira peut-être un livre. Mais pas à proprement parler un livre de voyage car l’histoire l’emportera sur la géographie. Il sera question de l’histoire des gens que j’ai rencontrés aux prises avec une Histoire qui reste largement à écrire. « Sera question » car les questions l’importent plus que les réponses. De mon histoire aussi, forcément.
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