Ce roman démarre en août 1918 dans les tranchées de la première guerre mondiale, pour rapidement les quitter à l'instar des deux protagonistes, Vasseur et Jansen, deux lieutenants, revenus de tant d'assauts et de bombardements, hantés par les images de leurs camarades déchiquetés.
Ahuris face à la guerre qui dure et aux ordres d'assaut stupides de l'État-major, ils ne peuvent que constater les dégâts : « Rien ne voulait dire grand-chose dans cette apocalypse. Rien. Aucun mot n'avait gardé de sens. »
Un soir, ils abandonnent leurs tranchées et fuient vers l'arrière. Ils savent que s'ils sont repris par la prévôté militaire, c'est le peloton d'exécution qui les attend. Partis du front de Somme, ils marchent vers la mer. Un officier de gendarmerie, spécialiste de la traque des déserteurs, part sur leurs traces.
Mais alors que Jansen, ancien instituteur, essaye de se faire discret, Vasseur révèle lui un caractère violent, voire sadique. Un pan de son caractère que dans l'atrocité des combats Jansen n'avait pas perçu. Vasseur n'hésite pas à supprimer tous ceux qui pourraient les dénoncer. Comme il le résume : « Couic, couic »...
Ils finissent par endosser les identités de deux médecins se rendant sur la côte pour acheter une clinique à l'abandon. Leurs détours les amènent dans une maison de maître isolée dans une forêt. Les trois habitants forment une micro-société à l'abri de la guerre. Les planqués de l'arrière dirait Vasseur.
Jansen et Vasseur parviennent à se faire accepter par le patriarche, propriétaire d'une usine de verrerie à l'arrêt à cause de la guerre, sa fille atteinte de maladie pulmonaire et adepte de spiritisme, et leur domestique, une femme réfugiée de Paris. Mais peu à peu, des doutes naissent chez leurs hôtes et leur séjour dévient moins confortable. Jansen a du mal vivre dans le mensonge, pendant que Vasseur continue des virées sanglantes dans les environs.
Les retournants (c'est à dire ceux qui désertaient pour revenir à la vie civile) est un roman d'ambiance. Celle de la guerre, d'abord. En quelques pages, Moatti arrive à bien transmettre le désespoir des soldats qui voient chaque jour les leurs partir comme à l'abattoir. Puis, celle pesante et finalement angoissante de cette demeure de maître, qui semble coupée de la réalité de l'époque. Les personnages portent leurs travers, leurs insuffisances. Ce petit monde de l'arrière que Vasseur honnit et qui continue à fonctionner comme au siècle passé.
L'ouvrage est classé thriller par l'éditeur. Appréciation un peu rapide. Certes, il y a quelques morts sanglantes, accompagnés d'actes de cruauté, mais l'essentiel du récit tourne autour de la recherche par Jansen d'une solution à sa situation impossible. Déserteur, poursuivi, vivant dans l'identité d'un autre, dans une profession qui n'est pas la sienne, et craignant à chaque instant de se couper, de révéler la vérité. le poids du mensonge s'ajoute à celui des convenances.
Du coup, l'intrigue avance peu, l'histoire se fait psychologique, attentes des uns contre espoirs des autres. L'aspect historique est très bien rendu, mais le sujet manque de rythme.