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EAN : 9782330023546
286 pages
Actes Sud (21/08/2013)
2.71/5   28 notes
Résumé :
La nuit est longue où s’embrase et se soulève “la banlieue”, qui bientôt marchera sur les villes et renversera le gouvernement dans une Grande Révolte trop vite désenchantée. Monsieur Chalaoui, Clara S., le Président : trois destins, trois corps, trois trajectoires individuelles transportent le lecteur dans la chair collective d’une révolution d’après la mort des idéologies. Un premier roman d’une ampleur et d’une ambition rares.
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Critiques, Analyses et Avis (12) Voir plus Ajouter une critique
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Encore une fois, me voilà à remercier Babelio et sa Masse Critique ainsi que les éditions Babel pour cette découverte.

L'esprit de l'ivresse ou l'âge des désillusions, des rêves qui nous abandonnent, de la réelle brutalité de la vie qui nous frappe de plein fouet, de cet individualisme qui fera de notre futur un autre aujourd'hui. L'esprit de l'ivresse où cette nuit basculera, prise de conscience, solidarité, humanité, l'espace d'un instant, avant que chacun reprenne sa place, rejoigne sa caste et son rôle de fourmi, de brave petite fourmi. L'esprit de l'ivresse, qui n'a rien d'une thèse sociologique, ce premier roman, ce constat criant, non, hurlant de vérité.

Loïc Merle cet auteur digne d'Hugo et de Zola, cet auteur à l'écriture sans équivoque, délicate, raffinée et riche, au phrasé à vous couper le souffle.

Standing Ovation
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Ce roman évoque un sujet rarement abordé: une (future) insurrection des banlieues sensibles, en France. Elle a comme point de départ une bavure presque banale de la police. Ensuite, ce mouvement aura toute l'ampleur de Mai '68: il atteindra Paris et investira même l'Elysée. Toutefois le lecteur n'aura jamais une vue d'ensemble, ni une chronologie claire de ces événements bouleversant la France. Le contexte social, ethnique et religieux de la banlieue est pratiquement passé sous silence; il n'y a pas de mot d'ordre bien défini dans cette insurrection. Tout reste dans le flou: l'auteur ne se réfère jamais à des entités bien connues du lecteur, comme des partis politiques, des syndicats ou des associations clairement identifiées.

Ce qui est remarquable dans le début du roman, c'est le parti-pris de l'auteur: il choisit de ne pas centrer son récit sur des individus en particulier; personne n'est présenté comme héros. L'action est décrite d'une manière presque abstraite, sans dialogues, sans détail réaliste, sans décrire précisément la progression de la colère populaire. Cette première partie s'achève en queue de poisson, sans que la suite des événements soit précisée. Ma lecture a été laborieuse et je me suis parfois senti irrité en raison du style surprenant de L. Merle, mais aussi de ma difficulté à le suivre dans son récit. Cependant, il y a souvent une justesse de ton: par exemple, quand les "olvidados" de banlieue manifestent spontanément, l'auteur écrit des phrases qui nous font bien comprendre qu'un point de non-retour a été atteint: « Une anxiété passe de proche en proche, mais c'est une anxiété nouvelle, qui ne ressemble pas à celle des jours travaillés, de la rentrée des classes; les gens ne la reconnaissent pas et aucune comparaison ne leur vient, ils sont à court de mots plutôt que volontairement silencieux (…) Ils attendent la suite, de plus en plus nombreux et gauches et timides, et si rien ne se passe encore, ils craignent malgré tout le moment où il leur faudra se disperser (…) »: ici, la dynamique collective me semble exactement suggérée.
La seconde partie du roman met en scène une femme faisant partie d'un groupuscule féminin révolutionnaire, Clara. On y retrouve le même souffle, les mêmes qualités et défauts que précédemment, mais avec peut-être plus de lyrisme. L. Merle donne souvent libre cours à sa verve: c'est une logorrhée assez somptueuse. Mais, là encore, on doit souvent relire le passage lu pour essayer de saisir ce qu'il y est écrit. Dans cette partie, l'auteur met en scène les groupes extrémistes qui poussent les banlieues à la confrontation finale. L'auteur évoque très vaguement les bouleversements apportés à la société française par la jeune révolution triomphante: peut-être une forme d'anarchie, l'ostracisme à l'égard de l'argent, le refus de la consommation...
La troisième partie, qui arrive sans transition, m'a beaucoup déçu: je n'ai pas été sensible au vécu personnel du Président de la République alors qu'il est confronté à une révolution !
La dernière partie est un long épilogue: l'action se situe dix années après la révolte. Tout a fini par se tasser, sans qu'on sache de quelle manière. On retrouve Clara, maintenant réduite au statut d'ouvrière misérable. Un soir, rentrant dans son taudis, « elle se mit à chanter à mi-voix, sans paroles ni air connus, elle semblait chanter douloureusement à la gloire de sa propre déchéance, trois ou quatre notes lamentables, qui la faisaient frissonner et charriaient plaisamment les larmes jusqu'à ses yeux ». Elle revoit sa vie passée: elle a été en prison pour ses activités politiques, elle a eu un enfant de Hakim (avec lequel Clara a rompu depuis longtemps), puis l'enfant a été confié à ses parents à elle. Mais, un jour, Clara apprend la mort de Hakim et réclame à ses parents son fils âgé maintenant de 9 ans. Elle obtient la garde de Youssef; elle l'aime mais elle ne parvient pas à établir une vraie complicité avec lui. Un jour, reprise par ses pulsions de révolte, elle participe à une manifestation et son fils la découvre sous un jour nouveau: il s'adresse à elle en l'appelant « Maman » (et non « Clara ») mais, dans le bruit, elle ne l'entend pas... le livre s'achève brusquement là.

Cet ouvrage entrelace des destins individuels (celui de Clara, surtout) et un destin collectif (celui de la France en crise). Comme dans un rêve bizarre, l'histoire contée nous parait à la fois prégnante et irréaliste, son développement échappe à l'esprit rationnel. Il délivre un message que nous peinons à saisir. Peut-être s'agit-il de cet avertissement: braves gens, faites bien attention aujourd'hui à la réalité des habitants des banlieues sensibles, marginalisés dans notre pays; car, dans un avenir plus ou moins proche, ces hommes et ces femmes vous surprendront par leur irruption violente au coeur même de la société française. le lecteur peut souscrire à cette intuition ou non, mais ce n'est pas le problème de l'écrivain.
A mon avis, pour que le lecteur apprécie ce livre, il serait préférable qu'il en connaisse mieux l'histoire. Si, dans sa lecture, il reste en attente des péripéties et du dénouement du récit, il pourra difficilement fixer son attention sur l'écriture du roman. Il risque d'être déçu, car l'auteur a fait le nécessaire pour que le récit échappe au "suspense" et à une logique romanesque. Même si on évite cet écueil, il faut être très concentré pour suivre l'auteur dans son étrange voyage au sein de ce monde virtuel et pour "se brancher" sur son style bien particulier: l'écriture de L. Merle a une densité presque étouffante, qui donne souvent au lecteur moyen (que je suis) la velléité de décrocher - alors même qu'il voudrait en apprécier la richesse.
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Je commencerai par remercier Babelio pour m'avoir confié et fait découvrir ce roman dans le cadre de masse critique.
Nous sommes dans un premier temps focalisé sur un personnage, Monsieur Chalaoui. Nous suivons son périple dans la cité les Iris. Ensuite, délit de sale gueule, l'histoire bascule sur ce qui semble une banale bavure policière. Le livre s'enflamme, trouble, centré sur quelques personnages, nous permettant de vivre la révolte au cœur de la cité mais aussi avec des groupes révolutionnaires, notamment féministes et au niveau du pouvoir suprême, la présidence de la République.
Dès le début de la lecture, l'auteur nous sert un style riche et complexe. De longues phrases qui semblent parfois interminables, des chapitres à ne plus savoir quand mettre un signet pour se reposer d'une lecture ardue. L'auteur semble semer le trouble dans l'organisation du récit, comme pour le tinter du chaos de la révolution de la citée. Au début, j'ai cru que j'en abandonnerais la lecture. Je me sentais embourbé dans la complexité du style et de l'histoire. ici, pas de réel suspens. On se fait balloté entre les habitants de la cité et les CRS, les politiciens locaux. Ensuite, nous sommes recentré sur un autre personnage, Clara, jeune femme leader d'un groupe de femmes révolutionnaires. Là encore, nous sommes promenés entre le personnage devenu principal pour une bonne partie du roman et la révolution qui semble plus lointaine. C'est toujours dans un effort intellectuel qu'il faut s'accrocher à la lecture. Cet effort gomme quelque peu le plaisir de lecture et empêche d'apprécier le style riche et complexe de l'auteur. A ce stade, le roman me paraissait interminable, une lecture "marathonienne". Ensuite, nous accompagnons le président dans sa fuite, chargée de ses regrets, de ses états d'âme. Là encore, la longueur de ce passage m'a semblé infinie. Quant à la fin, nous retrouvons Clara, déchue de sa gloire de leader, redevenue ouvrière anonyme, qui récupère son fils élevé par ses beaux-parents. L'enfant ne voit pas en elle sa maman, jusqu'a ...
En bref, j'ai fait des efforts terribles pour comprendre ce roman. J'en suis toujours à me dire que je n'ai pas compris grand-chose, peut-être que je n'étais pas à la hauteur pour encaisser la richesse et la complexité de ce livre. Mais je dois ajouter que pour le style, ce roman est remarquable.
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« J'ai imaginé les conséquences que pourraient avoir en France des émeutes de grande ampleur si elles débouchaient sur une révolte généralisée, pendant laquelle quelques personnages apprennent de leur ivresse ou de celle des autres, tentent de se délivrer de leurs addictions pour en acquérir d'autres, meilleures, en tout cas plus conformes aux temps nouveaux qu'ils entrevoient, cernés par de grandes limites : l'attachement à leurs origines, le rôle qu'ils ont tenu pendant toute leur vie ; la mort ; la fidélité à leurs convictions, à la révolte, à la contre-révolte ; la mort. Je crois que mon roman essaie d'être honnêtement ivre…»

Voici les mots de l'auteur pour parler de ce livre, son premier roman, qui sort chez Actes Sud le 21 août, et sera, à n'en pas douter, de ceux que l'on remarquera. Et pour cause ! Il s'agit de l'un de ses premiers romans qui font littéralement exploser le talent d'un auteur, vous mettant au faîte dès le départ, d'une vérité simple : Loïc Merle est un auteur avec lequel il va falloir compter désormais, et en tout cas on l'espère vraiment.

Sur la quatrième de couv' on peut lire qu'il s'agit d'un roman « à l'ampleur et aux ambitions rares » et j'avoue que je ne trouverais pas de meilleure formule pour en résumer la teneur.

L'action se situe d'abord aux Iris , cité parisienne qui cristallise en elle tout ce que l'époque actuelle porte de frustrations,d'injustices, de préjugés – individuels et collectifs- ,et qui va être le point de départ de ce qui deviendra :

« La Grande Révolte ».

Dans cette cité vit Youssef Chalaoui : une vie passée d'espoirs déchus, d'illusions, de rêves, de petits bonheurs, d'incompréhensions. Un contrôle d'identité, délit de faciès d'un homme qui perd la tête et dont la mort fera de lui un véritable martyr. Cette vie s'achèvera de façon tragique et va devenir un symbole. L'auteur use d'un lyrisme et d'une puissance littéraire qui nous acquis alors complètement aux faits et causes de ce vieil homme au fond tellement ancré de le monde d'aujourd'hui.

Comme cette révolte qui traverse les lieux et se déplace, l'auteur nous emmène ensuite dans les sphères parisiennes, avec Clara, égérie plus ou moins légitime d'un mouvement féministe, lui-même conséquence de la révolte qui se propage.

Clara qui se débat avec sa condition de femme, avec celle de fille des banlieues, qu'elle semble être pour ces jolies parisiennes révoltées mais hors des réalités, et celle de fille pas tout à fait de la banlieue qu'on lui prête aux Iris. Un entre deux à l'image de la complexité humaine de cette femme entre intelligence aigüe et colère inaltérable.

Le prisme de cette révolte sans précédent s'achève sur un dernier personnage : Henri Dumont. Président de la République. La tête du pays qui après la prise de l'Elysée, fuit, lamentablement, dans sa berline noire. Il fuit son pays, son échec, sa vie, ses obligations, et ce sentiment diffus d'avoir donné son énergie et sa vie à tenter de sauver quelque chose, qui n'était de toute façon pas sauvable. Un troisième acte dont la force est de nous faire entrer complètement dans le personnage au point de se dire que cela finira un jour par arriver.

La force indéniable de ce premier roman, réside en un fait assez simple : au-delà du roman social (et donc forcément teinté de politique), Loïc Merle explore les sentiments de chacun, les relations humaines en tout ce qu'elles ont de plus complexe, de plus beau, de plus laid.

S'inspirant on l'imagine des émeutes, bien réelles cette fois-ci, de la banlieue parisienne en 2005, cet ancien prof, enseignant à Argenteuil, a le mérite (assez rare pour être souligné) de ne pas faire de cet état de fait, ni un gage de bravoure, ni une raison légitime de s'attaquer à un tel sujet, il en tire seulement une espèce de crédibilité et surtout une compréhension véritable de ce qu'engendre et induit une émeute. Dans le premier acte du roman ( qui en comporte quatre ), il décrit avec lenteur, précision, et un maniement des mots quasi parfait, ce qui peut faire d'une réaction populaire à un fait divers, une émeute, avec tout ce qu'elle amène de CRS plus ou moins conformes à l'idée qu'on s'en fait, de gaz lacrymogène et de dommages collatéraux.

L'ivresse dont il s'agit n'a rien à voir avec une quelconque addiction, il s'agit de l'ivresse d'un peuple entier, de l'ivresse d'être humain que la colère populaire (ou simplement la tournure du monde) amène à se poser de véritables questions existentielles, au sens le plus noble que puisse avoir ce terme. Loin d'écrire un roman socialo-politico-engagé de plus, Loïc Merle a l'immense intelligence de ne pas se lancer dans une farce élitiste adressée à des sphères politiques plus ou moins concernées.

Et de faire de cette espèce d'uchronie d'un réalisme puissant, un grand roman.
Lien : http://vagabondssolitaires.w..
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Point de vue physique : le livre est un grand format, les pages sont de bonnes qualité. La couverture est sombre, à l'image de son contenu avec une vague lueur d'espoir au bout. L'image de ce corps meurtri montre bien la souffrance inscrite dans ces pages. La taille des caractères est correcte pour permettre une lecture chez les mal voyants.

Point de vue écriture : c'est indéniable, le livre plonge dans des faits bien d'actualité, les cités, le mal être de ces gens parqués dans des building, empilés les uns sur les autres, rangés et que le reste du monde voudrait bien oublier. Colère de ces personnes, rage que le politique veut recouvrir en envoyant les CRS, cela peut marcher un temps mais il y a toujours la fois de trop, le trop plein qui fait que la poussière ne peut plus être contenue sous le tapis et ça explose. L'auteur relate donc ce trop plein au travers de 3 destins, les deux premiers au coeur même de cette rage et de cette révolte, le dernier destin vu par le politique en la personne du président Dumont, personnage fuyant, peu sur de lui et de sa méthode de politique.

On sent un désespoir énorme dans ce roman, une solitude qui engouffre tout sur son passage. Je regrette franchement les longs monologues internes des personnages et les égarements dans les méandres de leurs esprits. On finit même par se demander ce que la révolte fait là tant les personnages en semblent éloignés.

Je dois franchement dire que je m'attendais à autre chose en lisant la quatrième de couverture et la lettre d'accompagnement du roman; un peu moins de prose philosophique et un peu plus d'implication de l'environnement, plus de description des lieux, plus de dialogues soutenus auraient pu permettre une lecture plus facile et une meilleure envie d'arriver à la fin de l'histoire.
Les phrases sont longues et de construction tarabiscotée, difficile de mettre ce roman de toutes les mains, il faut déjà avoir un certain niveau de lecture et aimer la philosophie pour le lire et peut être y accrocher.
C'est vraiment, pour l'instant, à la veille d'entamer ma dernière lecture, le roman qui m'a le plus déçu et que j'ai eu le plus de mal à terminer. Ce n'est donc pas une découverte positive pour moi, malheureusement. A voir si les autres contributions de cet auteur seront d'un autre acabit.
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critiques presse (3)
Lhumanite
25 novembre 2013
Il y a de la force dans ce récit où l’usage presque abusif des participes présents donne à la phrase une claudication d’homme ivre, asphyxié sous les gaz lacrymos. Un livre qui semble être littéralement labouré par le vécu.
Lire la critique sur le site : Lhumanite
Lexpress
29 août 2013
Loïc Merle livre un premier roman impressionnant, où la force de l'écriture emporte tout.
Lire la critique sur le site : Lexpress
Telerama
22 août 2013
Ce très beau roman est un hommage aux voix qui s'élèvent et hurlent quand elles ne veulent plus implorer.
Lire la critique sur le site : Telerama
Citations et extraits (20) Voir plus Ajouter une citation
Néanmoins le fleuve se méritait, n'attendait pas particulièrement ma venue, n'accueillait pas dans sa grâce la première venue. En tout cas, ayant traversé des âges et des âges, il n'aurait pas dû s'arrêter pour moi, et stagner ainsi comme une eau lourde et morte que les dernières lueurs du jour finissant baignaient, mais ne pénétraient pas ; je ne me le rappelais pas aussi sournois, quand bien même il mentait et trompait souvent, nageurs naïfs, nageurs rêvant d'ailleurs, et les jeunes femmes désabusées également. Et me voici pourtant, longeant son cours comme on caresse un bras, avec la pulpe de mes doigts, c'est-à-dire avec l’extrémité la moins pesante et la plus délicate de mon être, bientôt retenue dans ma dérive par un pont, la sentinelle du fleuve, même si celui-ci n'avait rien d'imposant : il disparaissait presque dans le soleil couchant, dans le soleil enflé, il avait l'air fragile, avec sa fine armature d'acier peint en verre et tacheté de rouille, son plancher d'hôtel de bain de mer, souffreteux comme un rejeton maladif de la noblesse, et cambré comme un chat qui s'étire, ou qui fait le gros dos devant une étendue d'eau. Mais ses piles massives démentaient cette impression hâtive, en bravant résolument le courant pour trouver un ancrage dans les siècles, et se nourrit d'un sel qui le garderait d'un lit toujours mouillé, une amertume décisive qui fondait son intransigeance. Aussi, le traversant, et sentant sous nos pieds cette consistance et nous figurant son endurance, on pensait à lui sans manquer une fois, on le remerciait rapidement, d'une petite génuflexion mentale, de nous faire passer de l'autre côté, quand bien même le fleuve était calme, et le temps paisible, on le bénissait presque d'accomplir ce petit miracle entre deux berges, d'être ce symbole compréhensible d'une idée dont on ne pouvait trouver aucune autre réalisation aussi concrète et aussi évidente ; et, négligeant cette dévotion par hasard, par étourderie ou par défi, on avait immédiatement l'impression d'être malpoli et bête, et nous admirions de plus belle cet effort qui nous soutenait dans nos tentatives de rejoindre un autre bord, inconnu et hostile, comme le signe d'une amitié véritable – cette suprême indifférence à nos querelles et à nos défauts.
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Mais qui était-il alors ? Ceux qui le connaissaient apparemment ne disent rien, les yeux baissés, et nul passant n'ose les interroger. Et puis le corps a été emporté bien vite malheureusement, et il ne reste plus grand-chose à voir, hormis cette petite mare de liquide visqueux d'où partent de larges traînées, plus claires, et des empreintes de grosses chaussures. De temps à autre, quelqu'un remarque à voix haute que personne n'a pris le soin de verser du sable sur la flaque pour absorber et faire disparaître complètement le sang, ou osé nettoyer à grands seaux d'eau, mais ne s'en étonne pas ; on se dit que le bitume poreux et la chaleur, le temps qui passe, et toutes ces choses qui semblaient inutiles jusqu'à présent, s'en chargeront bien.
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Ce soir, cependant, et alors que tout en lui paraissait s'être définitivement effondré, il lui semblait pouvoir visiter ses propres catacombes, sans que cette expérience eût rien d'insoutenable : il contemplait sereinement ses plus solides fondations, l'ensemble de ses petites morts et l'empilement des crânes, il faisait le tour des piliers qui avaient soutenu ses années - aujourd'hui une certaine angoisse avait pris fin, et il ne demeurait plus dans le monde haut et figé des valeurs qui ne font que se perpétuer à l'identique et où l'on mourait comme l'on avait vécu, dans la vénération de la pondération, du mérite, de la famille, du sang et de l'ordre des nations...
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Rien de plus facile que d’invoquer la violence, que d’écarter d’un revers de main des générations d’efforts, d’entente et de compréhension, rien de plus facile que de céder à la facilité des coups. Cependant, une fois déclenchée, la violence consiste en spirales qu’on arrête difficilement, qui opposent sans but l’homme à l’homme et paralysent la démocratie, la ramènent vers les ténèbres des origines où elle finit par mourir sans un bruit.
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Ce soir, cependant, et alors que tout en lui paraissait s'être définitivement effondré, il lui semblait pouvoir visiter ses propres catacombes, sans que cette expérience eut rien d'insoutenable : il contemplait sereinement ses plus solides fondations, l'ensemble de ses petites morts et l'empilement des crânes, il faisait le tour des piliers qui avaient soutenu ses années – aujourd'hui une certaine angoisse avait pris fin, et il ne demeurait plus dans le monde haut et figé des valeurs qui ne font que se perpétuer à l'identique et où l'on mourait comme l'on avait vécu, dans la vénération de la pondération, du mérite, de la famille, du sang, et de l'ordre des nations … Ce soir, avec ce qui ressemblait à un retard de la perception, dû à la grande distance à parcourir, d'une lumière déjà morte, M. Chalaoui concevait une façon différente, non pas de sentir et d'observer, mais de se considérer lui-même, une façon de se traiter avec sympathie et bienveillance, pour ce qu'il était. L'entourant, proches, les beautés du crépuscule venaient à lui sans voile, offrandes miraculeuses : seul juge il en délaissait beaucoup, mais aucune de ces mises à l'écart ne l'indisposait puisque ses choix tenaient de l'enchantement. Et il voyait.
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0:00:15 Introduction 0:01:02 Clément Camar-Mercier 0:11:47 Yasmine Chami 0:22:56 Sylvain Coher 0:33:49 Lyonel Trouillot 0:44:09 Clara Arnaud 0:55:03 Loïc Merle 1:06:13 Mathias Enard
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Plus d'informations sur notre rentrée française : https://rentree.actes-sud.fr/ #rentréelittéraire #litteratureetrangere
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