Il y a là un Juif captif, mais un Juif tout de même, qui a, dans Le Côté de Guermantes, cette phrase extraordinaire qui paraît droit sortie du talmudiste et kabbaliste Haïm de Volozine sur le fait que le monde « n’a pas été créé une fois, mais aussi souvent qu’un artiste original est survenu ».
Il y a là un Juif secret mais lucide qui, au moment où Valéry, alors si parfaitement français, écrit que « les Juifs n’ont pas d’art », réinvente, dans la langue de la clarté et de la simplicité classiques où la France avait connu sa gloire, puis son assèchement, une autre voie, une sinuosité nouvelle, une liberté associative et analytique brusquement décuplée, un art du coupage-de-cheveux-en-quatre, qui relancent et ravivent l’intelligence du monde dont cette langue est si hautement capable mais qu’elle était en train d’oublier.
L’Amérique moderne a Faulkner.
L’anglais ou, plutôt, l’unglish a James Joyce.
La langue allemande a Musil et, bientôt, Kafka.
L’Italie a eu Dante et l’Espagne Cervantès.
Eh bien, la France a Marcel Proust.
Elle a, pour échapper à son destin gidien, ce lecteur du Zohar, descendant d’un rabbin alsacien.
Et il aura fallu, pour qu’elle renaisse de la cendre fine qui finit par se déposer sur toute langue, ce type bizarre dont l’autre grand réinventeur de la langue française au xxe siècle, Louis-Ferdinand Céline encore, trouvait qu’il écrivait un « franco-yiddish tarabiscoté », mais sans pouvoir s’empêcher de noter, dans la même lettre, qu’il fallait, pour retrouver pareil français, « remonter aux Mérovingiens » – l’hommage est involontaire, mais il est d’autant plus éclatant !
L’antisémitisme des années trente était porté par de vraies voix.
Il pouvait compter sur des hérauts qui étaient des premiers rôles de la littérature et de la pensée.
Il était, non à la marge, mais au pinacle de l’esprit français sans que nul – c’est presque incroyable, mais c’est ainsi – parût s’en émouvoir.
Paul Morand.
L’immense Louis-Ferdinand Céline.
Le Blaise Cendrars du Bonheur de vivre, ce texte inachevé qui unissait dans la même réprobation « les ouvriers du Front populaire » et « les Juifs ».
Le Giraudoux qui, à l’enquête des surréalistes sur « Pourquoi écrivez-vous ? », répondit tranquillement : parce que je ne suis « ni suisse ni juif ».
Dans la jeune garde, le premier Blanchot.
Ou encore Pierre Drieu la Rochelle, ce romancier respecté, ami de Malraux et d’Aragon, qui a été le compagnon de route jamais vraiment désavoué des premiers surréalistes et dont l’antisémitisme désormais déclaré ne dissuade pas Paul Nizan de le recommander à ses contacts de la gauche allemande lorsqu’il part, en 1938, pour son grand voyage à Berlin et Nuremberg…
Or qui est le Drieu la Rochelle d’aujourd’hui ?
Le Céline ?
Peut-on sérieusement comparer les petits marquis de l’« incorrection politique » actuelle avec l’auteur de ces pamphlets abjects mais encore talentueux qu’étaient Bagatelles pour un massacre et L’Ecole des cadavres et que seront bientôt Les Beaux Draps ?
Et quant aux diatribes poussives et sans talent de tel crâne rasé de la pensée ou de tel ancien comique reconverti dans l’agit-prop antisioniste, ne sont-elles pas vouées à s’effacer comme une écume à la limite d’un mauvais remous ?
Même pour le pire, il faut croire à la force de l’esprit.
Et, plus encore, quand ce sont des écrivains qui l’incarnent.
Rien de tel aujourd’hui.
Rien que des bulles de pus mental.
Et pas un ténor sérieux, pas un écrivain, pour donner à cette pestilence son poids de feu – et, accessoirement, l’air de respectabilité sans quoi elle ne peut rien.
C’est un signe et c’est une chance.
p 407: Et je veux dire par là que la force du judaïsme, sa vraie force est, que l'on prie ou que l'on ne prie pas, que l'on fête ou que l'on ne fête pas, que l'on respecte ou non les interdits du Lévitique et du Deutéronome, dans la capacité à produire un peu de cette intelligence qui, elle-même, offrira aux hommes, à tous les hommes, un peu de l'enseignement nécessaire pour être différents des autres hommes, et de la masse, et de la foule à laquelle ils ne sont pas obligés d'appartenir, et d'eux-mêmes en tant qu'ils cèdent à la foule ou à la masse.
Début mars 2024, l'espoir d'un accord de cessez-le-feu pour Gaza était palpable au sein de la communauté internationale, mais ce 17 mars 2024, Benyamin Netanyahou a annoncé une nouvelle offensive à Rafah. Les invités des Matins parlent d'une guerre plus facile à faire que la paix.
Pour en parler, Guillaume Erner reçoit :
Bernard-Henri Lévy, écrivain et philosophe.
Ghassan Salamé, envoyé spécial de l'ONU en Lybie.
Visuel de la vignette : Joel Saget / AFP
#israelhamas #guerreenukraine #geopolitique
_________
Découvrez tous les invités des Matins dans "France Culture va plus loin" https://www.youtube.com/playlist?list=PLKpTasoeXDroMCMte_GTmH-UaRvUg6aXj ou sur le site https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/l-invite-e-des-matins
Suivez France Culture sur :
Facebook : https://fr-fr.facebook.com/franceculture
Twitter : https://twitter.com/franceculture
Instagram : https://www.instagram.com/franceculture
TikTok : https://www.tiktok.com/@franceculture
Twitch : https://www.twitch.tv/franceculture
+ Lire la suite