L'officier et le bibliothécaire

Je ne lis pas assez de pièce de théâtre et pourtant j'adore le théâtre !

C'est pourquoi, lors de la dernière masse critique, j'ai été contente de recevoir L'officier et le bibliothécaire, une pièce de théâtre de Gilles Aufray, auteur que je ne connaissais pas. ( Je remercie les Editions espaces 34 et Babelio au passage)
D'autant plus que le sujet traité était très alléchant. Une Grande Bibliothèque qu'on s'apprête à brûler et un bibliothécaire à qui l'officier de l'armée donne une heure et une brouette. Une brouette que le bibliothécaire devra remplir des livres qu'il choisira pour les sauver du massacre. Cruelle largesse de la part de l'officier. N'est-ce pas la pire des choses que d'avoir à sélectionner quelques ouvrages parmi l'immensité et la richesse des livres du monde entier ?

Ce sujet m'a beaucoup rappelé la bande dessinée La bibliomule de Cordoue de l'excellent Lupano, que j'ai lue et adorée il y a peu de temps.
Malheureusement, je suis moins enthousiaste pour cette pièce de théâtre que j'ai trouvé un peu courte et qui m'a laissée sur ma faim. J'aurais aimé y trouver plus de références littéraires plutôt que des généralités. Cependant, pourquoi choisir de citer tel ou tel livre et pas les autres ? L'auteur s'est finalement rangé de l'avis du bibliothécaire en ne voulant pas faire ce choix.

Cependant, j'ai aimé que les livres prennent vie et viennent chacun défendre leur domaine alors que d'autres se faisant écho sont là pour souffler la clé de l'énigme au bibliothécaire, même si, parfois, je l'avoue, certains éléments ont échappé à ma compréhension.

Ceci dit, cette pièce doit être très intéressante à mettre en scène, à jouer et à voir jouer.

Que j'aimerais voir jour cette pièce de théâtre de marionnettes !
Mais sa lecture a été aussi gratifiante pour moi.
L'auteur fait parler les "êtres-livres", livres de toutes sortes, oubliés, brûlés, cachés.
Comment choisir quels livres sauver quand un bibliothécaire apprend qu'il n'a qu'une heure avant qu'une armée d'incendiaires ne les fasse périr dans un immense brasier ! Quel dilemme ! Une impossibilité pour celui qui ne consent pas à laisser brûler même un bouquin en très piteux état. Il lui faudrait un siècle, mais va-t-il l'avoir ?
J'ai retrouvé là le mythe de Sisyphe.
La réflexion sur la lecture est profonde et expose des points de vue divergents, cette impartialité est un grand mérite.
Des pensées sur le temps qui passe émaillent aussi le récit.
Cette pièce (quelque peu inspirée par Fahrenheit 451 ) énumère aussi toutes les bibliothèques déjà consumées pour le grand malheur de l'humanité (j'ajoute les livres de Gaza, à ne jamais oublier).

Ce texte, publié en janvier de cette année, a une très grande force. En une cinquantaine de pages, l'auteur développe une idée majeure. Alors qu'une armée menace de brûler la Grande Bibliothèque Nationale, un soldat donne une heure au vieux bibliothécaire pour sauver une unique brouette de livres. Tous les autres ouvrages partiront dans les flammes. Comment choisir ? Doit-on choisir ?

On parle ici de la place du livre comme témoin de notre histoire mais aussi comme fondation de notre avenir. On compare l'intérêt d'un grand classique face à un livre populaire. On distingue la place du livre dans notre vie et dans nos sociétés. C'est donc un poids énorme qui pèse sur les frêles épaules du vieux bibliothécaire. Arrivera-t-il à trouver une solution ? Quels seront ses choix ?

Ce texte se lit avec gourmandise. Les idées sont fortes et les mots sont beaux. La lecture est très abordable et se fait avec plaisir alors que le spectacle se joue dans notre esprit. Réflexion et beauté sont au rendez-vous pour une oeuvre théâtrale qui aurait toute sa place dans les manuels scolaires et dans toute bonne bibliothèque.

Un bibliothécaire, une brouette, une heure. Un impératif : sauver autant de livres que peut en contenir la brouette. L'officier attend dehors, avec ses armées, pour brûler tous les autres.
Un choix impossible.

Gilles Aufray nous interroge : quels livres sauver si tous les autres disparaîtront dans un gigantesque autodafé ? Comment décider ? Que choisir ? Comment choisir ? Un ouvrage de fiction a-t-il plus de poids pour l'humanité qu'un ouvrage de philosophie, un traité de science ou une tragédie grecque ? Un classique plutôt qu'un roman contemporain ? Quels livres méritent d'être le dernier ? Que deviendrait une littérature appauvrie de la presque totalité de ces volumes ? Que deviendrait une Humanité appauvrie de la presque totalité de sa littérature ?

Dans un parallèle presque trop facile à établir, que devient un peuple qui garde sa littérature, sans jamais faire le choix de lire un livre ? L'important est-il de posséder les livres, ou de les lire ? Et comment faire venir la littérature (c'est-à-dire ce choix conscient de lire, de réfléchir, de ne pas simplement suivre le mouvement en bon petit mouton de Panurge) à un peuple qui ne lit pas (par goût, par manque de volonté ou simplement parce que "ça ne se fait pas" chez eux).

La pièce de théâtre L'officier et le bibliothécaire pause des questions aussi intéressantes qu'urgentes, soulignées par le Temps qui rythment la cadence de la pièce : car le jour où il n'y aura plus de lecteurs, alors il ne sera même pas nécessaire de brûler les livres. Ils auront déjà cessé d'exister

J'ai bien aimé cette originale pièce de théâtre, étant bibliothécaire moi-même ! Quels auraient été mes choix, quelle aurait été ma réaction ? Forcément çà questionne, lorsqu'une armée est prête à brûler une bibliothèque entière, et dont un des officiers vous pose un ultimatum : une brouette et une seule heure pour la remplir des livres méritant être sauvés. Et chacun de ces livres va se défendre : le livre ancien, le roman de gare, le grand classique et même le livre rongé !
Cette pièce est jouée dans le département du Nord, avec des marionnettes, et à partir de 10 ans. Si un jour, elle arrive sur Paris, je n'hésiterai pas une seconde !
Je ne raconte pas la fin parce que ça ne se fait pas...