Qu'une grande partie du Strip de Las Vegas, la ville du péché, regroupant nombre de grands casinos, se trouve sur le territoire de la ville
Paradise, Nevada, ne manque pas de sel. C'est bien américain d'imaginer une ville de lumière sortir du désert à cet endroit.
Dario Diofebi possède une main de vainqueur dans ce poker menteur qui sert de trame à son imposant premier roman.
Las Vegas est une expérience unique, explosion de lumières et de bruits, les cinq sens surstimulés à chaque seconde. Mais c'est d'une autre explosion dont parle ce livre, bien réelle, à peine évoquée d'un mot dans le court prologue.
Le reste n'est qu'histoire(s), celles de plusieurs personnages immergés dans les travées de Sin City la ville qui est bien le personnage principal, et qui seront acteurs d'une manière ou d'une autre de cette détonation et du souffle qu'elle produira. Rendez-vous 640 pages plus tard pour comprendre l'allumage de la mèche.
Plusieurs destins vont s'entrecroiser. Ray, ancienne star du poker en ligne (jeu interdit aux USA, qui l'a forcé à émigrer au Canada), venu se refaire en face à face. Mary Ann, mal dans sa peau, tente de trouver un sens à sa vie, et se retrouve serveuse dans le Strip, pas le meilleur endroit pour se reconstruire. Tommaso, l'italien renfermé, devenu clandestin après l'expiration de son visa touristique. Et enfin Lindsay, journaliste débutante, apprentie écrivaine, et mormone, qui cherche à lancer sa carrière.
Le roman du primo-romancier italo-américain vivant entre
Rome et Brooklyn, est dans la veine des grands romans d'outre-Atlantique, à la
Tom Wolfe. A cheval entre l'hyperréalisme et la fiction, ciblant les travers d'une société angoissée et malade. Sa sensibilité européenne, se sert de Vegas comme l'incubateur de son analyse sociétale, usant des personnages comme moteurs à l'explosion.
Un récit particulièrement touffu, très documenté. Une sorte de
Zola du XXIème siècle, et un plongeon dans le sable, la sueur et le stupre d'une ville complètement folle.
Dario Diofebi n'a pas choisi ce thème et ces protagonistes par hasard. Il y a mis beaucoup de lui, assurément. Ancien joueur de poker professionnel (comprendre : passer ses journées à miser des sommes importantes, dormir un peu et rejouer encore et encore), cette expérience lui a servi à construire le personnage de Ray. Et revendiquant ses origines italiennes et ses valeurs européennes, à travers Tommaso.
Paradise, Nevada est l'endroit où le rêve américain prend toute sa dimension, où on peut se construire une renommée aussi vite qu'on peut chuter en enfer.
Entre envoûtement et horreur, l'auteur décrit Las Vegas comme un microcosme de notre société actuelle, celle du paraître et de la satisfaction immédiate des désirs primaires. Un univers gangrené par la corruption et les ambitions personnelles, où les nouveaux dieux sont des joueurs invétérés.
Le roman est à l'image de ce milieu, fascinant et aussi parfois un peu irritant. Heureusement, bien davantage positivement, avec ce qui se révèle une lecture particulièrement prenante.
Certains passages, peu nombreux, donnent l'impression que l'auteur a voulu étaler sa science (du poker), au risque de se montrer un peu condescendant envers ceux qui n'y connaissent rien ou ne s'intéressant pas à ce jeu. Mais c'est bien le seul défaut que j'ai pu trouver à ce roman foisonnant, addictif, limite hypnotisant.
C'est vraiment une lecture du monde, à travers les strass et les paillettes, les lumières éblouissantes. Mais aussi ce qu'il se passe derrière le rideau, celui accessible qu'à quelques personnes, ambiance plus feutrée, mais où les parieurs jouent leurs vies à chaque seconde.
A l'image du personnage socle qu'est Ray, le genre matheux, surdoué mais un brin inadapté émotionnel et social, qui ne voit (au début) le salut que par la rigueur décisionnelle qui ne doit jamais être altérée par les émotions. Il voit à travers les équations.
Un autre match se joue ici, celui de la nouvelle aire du Big Data contre l'instinctif. de quoi renverser la table des principes ancestraux qui régissent la ville.
C'est bien un livre-monde que Diofebi a réussi à créer, et des destins qu'il prend le temps de dessiner. Pour qu'on entre en empathie, y compris quand ces caractères vont à l'encontre de nos valeurs. Avec un art consommé du suspense. Des personnages manipulés à travers cette machination qui va engendrer le chaos. Mais le chaos n'est qu'un principe méconnu de l'ordre, c'est bien connu.
C'est là tout le talent d'un bon écrivain. Parce que derrière tous les excès pointe une vraie humanité. Quand à savoir ce qu'il en restera à la fin, à vous de vous laisser prendre par ce pavé. Et penchez-vous au passage sur le concept du « dilemme du prisonnier ».
A Las Vegas, chaque cm² bruisse de monde, et derrière se cachent les vrais piliers de ce Grand Jeu. Mais aussi les invisibles, les inaudibles, qui ont leur mot à dire.
Dario Diofebi dresse un tableau réaliste, acerbe, affiné et affûté du capitalisme à travers cette étonnante vision de Vegas. Entre théorie des jeux et dynamique de groupe, il décrit avec force un univers où se meuvent des personnages attachants par leurs failles, dérangeants aussi.
Paradise, Nevada, destination finale, même dans la ville du péché la lutte des classes peut secouer les fondations. Voilà un premier roman vraiment explosif !
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