Bien décidées à poursuivre la publication en langue française du jeune prodige
Charles Yu, les éditions Aux Forge de Vulcain nous offrent aujourd'hui son second recueil de nouvelles curieusement intitulé
Pardon, S'il te plaît, Merci.
Rassemblant treize histoires inattendues comme seul l'auteur américain semble capable d'en produire, l'ouvrage nous replonge dans l'inventivité débridée qui faisait le sel de
Super-Héros de Troisième Division.
Les expérimentations littéraires de
Charles Yu sont-elles toujours aussi délicieuses ?
Labyrinthes formels pour histoires surréelles
S'il y a bien une chose qu'affectionne tout particulièrement
Charles Yu, c'est jouer avec la forme de son texte…et
Pardon, S'il te plaît, Merci renoue volontiers avec cette obsession.
Dans Résolution des Problèmes, une liste numérotée explique le fonctionnement d'une machine d'analyse de nos désirs (en profitant au passage pour s'interroger sur la nature profondes de nos souhaits et notre éternelle insatisfaction).
Dans Guide sur les humains à l'usage des débutants et le Livre des catégories,
Charles Yu s'amuse à créer des guides fictifs où l'humour est roi.
Et dans Émotion griffée 67, le lecteur assiste au long discours promotionnel d'un représentant pharmaceutique à la veille de la mise sur le marché d'un nouveau médicaments révolutionnaire (avec 137 effets secondaires, mais mesdames, messieurs, tout cela n'a aucune importance).
L'américain expérimente, crée, invente, détourne. Si la forme semble toujours autant l'intéresser, le fond n'est pas en reste puisque ses textes flirtent volontiers avec le surréel et le grotesque.
Jeu de Tir à la Première Personne imagine par exemple l'arrivée d'une femme-zombie dans un supermarché l'espace d'un hommage évident au Dawn of the Dead de Romero. En fin connaisseur de la pop-culture, Yu y critique notre société de consommation à travers ses représentations grossières comme celle du jeu House of The Dead. N'est-il pas tout à fait réducteur de représenter le zombie comme de la chair à canon pour FPS ? Voyons…
Autre farce drôle et addictive au possible, Yeoman est un pastiche à la Star Trek avec une équipe d'exploration spatiale qui s'ennuie ferme à force de perpétrer la même routine. le yeoman (qui semble n'avoir aucune utilité de toute façon) doit mourir…mais c'est un peu ennuyeux pour lui quand il laisse femme et enfants derrière lui. Une façon maligne de s'interroger sur les bullshit jobs et sur notre capacité à reprendre en main notre destin.
Crise d'identité(s)
Un destin d'autant plus capricieux chez
Charles Yu que le langage et notre identité constitue autant d'écueils sur le chemin de la normalité.
La nouvelle d'ouverture, Pack de Solitude Standard, suit le parcours d'un homme travaillant dans un centre sous-traitant la souffrance, ou plus précisément, monnayant la souffrance de ses opérateurs pour que les occidentaux qui recourent aux services de l'entreprise n'ait plus à supporter le chagrin d'une rupture ou d'un enterrement…ou même le banal ennui du quotidien. Pire, dans ce monde d'exploitation émotionnelle, il est possible d'hypothéquer son existence pour devenir un simili-disque dur pour autrui.
Cette superbe histoire s'intéresse autant aux conséquences humaines — peut-on avoir de véritables sentiments alors que l'on passe sa journée à éprouver ceux des autres ? — qu'aux implications sociales — Pourquoi notre époque a-t-elle une peur panique de la moindre souffrance ?
Au bout de Pack de Solitude Standard, c'est la question de l'identité qui fait surface : comment peut-on se définir dans un monde où l'argent achète tout, même les sentiments, mêmes les êtres humains ?
Une réflexion poursuivie de façon plus humoristique mais non moins passionnante dans le Héros subit des dégâts considérables où le lecteur se plonge dans un univers-RPG grandeur nature dans lequel une troupe de héros tente de se frayer un chemin vers le boss final et la gloire éternelle. Sauf que la chose s'avère redoutablement plus difficile qu'escomptée. Un chef de troupe qui manque de confiance en lui, un guerrier qui craque avant la fin, un dieu qui se révèle être un enfant de neuf ans rabroué par sa mère…la monde n'est pas aussi simple que cela à appréhender, surtout lorsque l'on est pas conscient de ce que l'on est vraiment.
Un héros de jeux-vidéo ou une véritable personne ?
Dans cet ersatz de Livre dont vous êtes le héros,
Charles Yu tente de redonner au héros une confiance qu'il n'a, semble-t-il, jamais eu.
Et comment peut-on décemment vivre notre histoire comme il faut si nous n'avons même pas conscience d'être le héros de nos propres existences ?
Les autres nouvelles — Inventaire où un
Charles Yu schizophrène apprend à apprécier chaque moment de son existence, Note à moi-même où un narrateur au pluriel s'interroge sur sa nature de lecteur ou de créateur, Ouvre où un couple à la dérive découvre une porte dans son salon et de multiples versions heureuses d'eux-mêmes — tournent autour de la question de l'identité profonde de chacun, de notre capacité à pouvoir apprécier l'instant présent et à nous battre pour transformer notre monde.
Dans Adulte Contemporain, une dernière nouvelle en forme de charge anti-capitaliste, Murray achève un Brad™, une vie artificielle qui lui procure du psychodrame à foison et l'extirpe de son quotidien morose. Et si nos existences étaient aussi intimement lié à l'influence de la publicité, de la surconsommation et, plus simplement, d'un mode de vie où tout est trop lisse ? Une dernière interrogation brûlante pour un recueil qui ne manque définitivement pas de piquant.
Grâce à la qualité de sa plume et sa capacité impressionnante à repenser encore et encore la forme comme le fond de ses histoires,
Charles Yu régale une nouvelle fois le lecteur en quête de mondes atypiques et de textes surréalistes.
Dès lors, on comprend mieux le titre de l'ouvrage :
Pardon, mais vous ne connaissez pas encore
Charles Yu ?
S'il te plaît, il va vraiment falloir combler cette lacune !
Merci de filer chez votre libraire le plus proche…
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