Ce 11 Juin.
Ta mère est plus mal. Sa tante ne cesse encore de vanter son excellent tempérament, et prétend qu’il doit nous ôter toute crainte ; mais le médecin est alarmé. On ne te néglige pas, et tu te portes assez bien. J’ai parlé de te donner une chèvre pour nourrice, et, malgré les clameurs des femmes qui prennent soin de toi, je le ferai très assurément. – On l’a fait ailleurs avec succès d’après les conseils de Cagliostro. – Mais je n’y pourrais avoir l’œil. Je suis trop agité, trop occupé de ta mère.
Ce 13 Juin.
William, vous n’avez plus de mère. Je reste chargé seul de la tâche de veiller sur vous.
Mon fils, je vous enverrai à l’heure même tout ce gros cahier. Lisez, méditez ; c’est à vous d’achever de corriger, de perfectionner votre éducation. Me demandez-vous comment vous devez vous y prendre, je vous dirai : passez cet été et s’il se peut un temps plus long à Ivy Hall, seul ou avec Tom. Là, reposez votre âme, et repassez lentement vos souvenirs. Revivez à Lone Banck, à Saint-Cloud, à Paris, à Londres, à Eaton, à Cambridge, à Édimbourg : puis étudiant votre jeune expérience, voyez ce que vous êtes et ce que vous voudriez et pourriez être, de quelle manière les hommes et les choses influent sur vous, comment vous pouvez tirer le meilleur parti de vos facultés, ce que vous pouvez faire de mieux pour votre bonheur et pour votre réputation, qui, à ce que je crois, ne vous sera pas indifférente. Nul homme ne peut réunir tous les talents, tous les succès, toutes les jouissances. D’après votre capacité la plus marquée et vos goûts les plus chers, il faut choisir ce qui vous convient le mieux, puis renoncer au reste. Des plans incertains, un caractère vague, une vie morcelée, ne satisfont ni soi ni le monde.
Mon fils ! serez-vous un composé de l’entêtement un peu vindicatif de votre mère et de la loyauté timide et souvent mal raisonnée de votre père ? J’espère mieux de vous. Vous êtes si joli ! Ô vivez, mon fils ! ô Dieu, conservez mon fils ! – J’écris ceci pour que mon fils, s’il peut vivre, sache un jour dans quelle anxiété je suis aujourd’hui pour lui.