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Chloé Billon (Traducteur)
EAN : 9782494289253
352 pages
Les Argonautes (06/10/2023)
4.67/5   12 notes
Résumé :
Inventer des histoires, c’est ce que Matija, écrivain à succès, sait faire le mieux. Mais après un mensonge de trop, sa petite amie le quitte. Que s’est-il donc réellement passé lors de son enfance dans le petit village du Medjimurje pour que Matija ne se rappelle plus de rien ?

Terre, mère noire nous entraîne au cœur des frayeurs et des songes d’une enfance à la veille des guerres de Yougoslavie, dépeignant un monde où la détresse intime répond à la ... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (8) Voir plus Ajouter une critique
Mentir peut-il être justifié ? On sait qu'Emmanuel Kant n'était pas tendre avec ceux qui tentent de moraliser le mensonge. Eût-il vécu un siècle et demi plus tard, il dénonçait Anne Franck au S.S. qui lui aurait demandé si par hasard il n'y avait pas des Juifs cachés dans le coin. Car sans la certitude que nous pouvons nous fier à autrui, il n'est plus de société possible.
Le roman de Kristian Novak ne dit pas autre chose, qui raconte l'explosion de la Yougoslavie après des années de mensonges communistes, qui eux-mêmes prospérèrent sur des romans nationaux écrits par les vainqueurs avec l'assentiment de la religion. Ce simulacre d'état où les Serbes ne faisaient guère confiance aux Croates qui le leur rendaient bien ne pouvait que disparaître (ainsi que plusieurs milliers d'individus).
"Terre, mère noire" raconte aussi la séparation d'un couple qui suit le même modèle: récit mythique ("On s'aime, et on va faire ce qu'il faut pour garantir la pérennité de notre couple"), confiance brisée par le goût prononcé de l'un à enjoliver la réalité (il faut dire que monsieur est romancier), rupture, désolation (une victime collatérale de taille: l'inspiration de l'auteur maintenant célibataire est portée disparue).
Voilà, c'est plié: Manu avait raison (comme souvent): mentir c'est 1) mal 2) contreproductif.
Matija décide donc de comprendre comment il en est venu à prendre autant de liberté avec la vérité. Sauf qu'en fait les choses ne sont pas aussi simples Quand le père de Matija est mort, on ne lui a pas fait le coup du voyage lointain; on l'a emmené à l'enterrement; il a vu le cadavre dans le cercueil. Mais Matija est persuadé qu'il a tué son père parce qu'il l'a détesté un court instant. Et le voici contraint de trouver une solution pour racheter sa faute et ramener son père à la vie tout en s'empêchant de tuer tous ceux qui pourraient le contrarier - ce qui n'est pas une mince affaire dans un village où sévit une épidémie de suicides.
Dire la vérité ne résout donc rien. de même qu'un certain chat dans une boîte peut être à la fois mort et vivant, Matija aime et déteste son père, comme il veut tuer et sauver son meilleur ami. Dire la vérité, oui, mais laquelle?
Manu: 0, Sigmund: 1.
C'est en dressant le portrait acide de l'électricien Imbro que Novak parvient à s'approcher le plus de la distinction entre véracité et mensonge: « En règle générale, il avait une formule pour décrire chaque personne absente. Grâce à elle, il évoluait dans un monde où régnait toujours une asymétrie en sa faveur. Ceux qui étaient un peu plus grands que lui se voyaient qualifiés de Grande perche, les un peu plus minces de Sac d'os, et les un peu plus dodus de Gros tas. Il se présentait comme l'étalon humain idéal, et nul ne semblait le contester. » Finalement, dire vrai a moins à voir avec la réalité qu'avec le malaise: Imbro n'est pas l'étalon de l'humanité et le père de Matija est bien mort. Une vérité qui m'arrange n'en est pas une.
Et puisque Kristian Novak n'est pas mon cousin, débarrassée de tout conflit d'intérêt compromettant, je ne peux que vous conseiller la lecture de ce roman intrigant, hilarant et tragique, à mi-chemin de Stephen King et de Erin Brockovich.
« Il était éteint de l'intérieur, dans un état de déliquescence constant, comme si toute sa vie il avait été mort mais ne s'était pas enterré par politesse. »
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« Terre, mère noire » est un chef-d'oeuvre grandiose, émouvant. L'immensité d'une terre en proie à ses tourments. le mal fait homme. La beauté d'une traduction de Chloé Billon, empreinte de virtuosité et de mimétisme.
Un texte inoubliable, la conscience de lire la proclamation du renom.
Ainsi, la terre, mère noire, pénètre en nous subrepticement. La Yougoslavie (encore pour un temps), glisse immanquablement vers ses déchirures, ses illusions et ses affres.
Les entrelacs sont les bordures de ce pays. La voix du narrateur, perfectible, part et revient sur ses pas. Il faut lire doucement, s'imprégner d'un récit qui nous colle à la peau et transcende la lecture. L'heure capable d'accomplir le pouvoir de la littérature.
Kristian Novak rassemble l'épars. L'épicentre du roman se situe dans un village du Medjimurje, où une série de suicides a semé le trouble en 1991. Matija est un auteur à succès qui vit une relation, avec Dina Gajski depuis un an. Cette dernière aimerait comprendre pourquoi Matija est mythomane et fabule beaucoup. Les mensonges comme des chapes de plomb, elle se sent mal. Il édulcore son enfance, s'invente des témoins de son passé. Dina pressent en lui l'ombre et le secret. Elle aimerait une parole honnête et libérée. Reçoit en échange des confidences faussées. Matija est un homme blessé dans sa chair et il va jouer son atout. Ouvrir la porte et souffler sur les braises avec une lucidité indépassable. Un fleuve qui charrie l'irrévocable, les déchirures, et les fantômes qui ne cèdent rien au passé.
« Tu as appris à mentir sur ce dont tu ne voulais pas te souvenir. C'est notre faute à maman et moi… Il faut que tu comprennes que même si tu écris des centaines d'histoires dont tu es heureux et satisfait, ton obsession pour l'écriture ne se réglera pas ».
Son père décédé lors de ses cinq ans. le poids du doute et de la culpabilité sur son coeur, l'enfant se referme dans un monde imaginaire. Cache les morsures du deuil. Un pays qui va se déchirer en mille morceaux. La Milice, ombre noire, un corbeau sur le toit d'un village opprimé, la délation aux abois.
Sa mère se doute. L'enfant fait des cauchemars. Les paravents tombés, le regard perdu, Matija dessine pour son père, des douleurs gorgées de sang, et va les déposer sur sa tombe. Larmes mélancoliques, blessées. L'exutoire dans une névrose qui est siamoise de cette « Terre, mère noire ». le roman est l'humanité qui tremble sous les pas d'un peuple en misère affective. La résistance cachée, d'aucuns comprennent que tout va changer.
Comment ce jeune garçon qui, dans sa paranoïa parle à Épièt et Bolat. Monstres ou doublures de ses angoisses. « Merci, dit Bolat sur un ton plaintif, merci de nous avoir appelés, on n'a pas le droit de sortir du noir si on ne nous appelle pas ».
Que dire de camarade institutrice qui sait nommer ce qui se voit, jusqu'au murmure des lèvres de Majita. Lui, chahuté par les gamins. « « Chaque fois que la camarade institutrice ouvrait le placard contenant les jeux, c'était comme si elle nous plongeait dans la vie d'un enfant très pauvre ».
Sa vulnérabilité est un cadeau pour les gosses du village. Ses détresses comme la terre noire. « Ton papa – il soupira et poursuivit plus lentement et plus bas – était un homme bien, et la milice n'avait aucune raison de l'arrêter. Nous les Medjimuriens, nous sommes des gens honnêtes. Tu comprends ? ».
« La rage dans la boîte passait dans la terre noire ».
Ce livre, l'épopée d'un village où les suicides devenus des peurs infinies, où les profondeurs de la douleur sont assignées à la Mère, terre-noire. La Croatie devenue en pages finales comme un souffle qui annonce le recommencement, mais en mieux, et en réconciliation avérée. La fiction reine, une traductrice qui laisse la terre noire renommer le passage des exactitudes. Kristian Novak délivre la langue humaine, la chair noire d'un peuple chaviré par le désastre. La Croatie récompensée par un livre qui sonne le glas de ce temps sans possible délivrance. Envoûtant, adapté au cinéma par Rok Bicek, unique, engagé, finement politique, il est de droiture et de justesse.
Un livre culte, un premier roman qui dépasse largement ses grands frères. Essentiel et universel, le passeur du verbe. Comment tout dire  avec « Terre, mère noire ». Publié par les majeures Éditions Les Argonautes éditeur.
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Le titre croate de la rentrée, déjà loin derrière nous, c'est celui de l'auteur Kristian Novak, édité par Les Argonautes, seconde publication de la rentrée littéraire, et traduit par Chloé Billon, qui vient de recevoir le Grand Prix de la Traduction de la ville d'Arles pour La Renarde de Dubravka Ugrešić. du titre, je n'ai lu que des avis positifs, des libraires et journalistes, blogueurs et bookstagrammers, tous en choeur. Il s'agit du deuxième titre de Kristian Novak, celui qui lui vaut une reconnaissance nationale et internationale, puisqu'il a été lauréat du Dublin Literary Award 2021, il a depuis été adapté au théâtre dans sa langue originale à Zagreb. L'adaptation a également reçu une multitude de récompenses et a redonné un nouveau souffle à la jeune scène Zagreboise.


Le cadre qu'a choisi Kristian Novak est celui de Međimurje, là même ses propres origines, la pointe nord de la Croatie, à la frontière de la Slovénie et de la Hongrie, région natale de son personnage Matija, qui vit désormais dans la capitale. Matija est l'auteur d'un premier roman à succès, mais le manuscrit du roman suivant ne plaît à personne. Depuis sa séparation avec sa compagne Dina, il a en effet perdu l'inspiration, et pour tout dire sa joie de vivre, et ce sont les causes mêmes de la séparation qui vont l'entraîner dans les méandres de sa mémoire qui a consciencieusement mis un voile de plomb sur son passé et les souvenirs qu'il en garde. La première partie du roman est dévolue à la vie actuelle de Matija tandis que les trois autres parties s'épanchent sur ce passé trouble en Međimurje. Une enfance marquée par le deuil paternel, impossible à faire pour le jeune garçon qu'il était, un deuil pathologique qui va l'entraîner sur une voie dont il peine ou refuse à se souvenir.

La voie du mensonge, du refuge dans une imagination va le pousser à faire des choses terribles pour faire revenir le père mort, dont le corps a été avalé par cette terre maternelle noire, source de tous les malheurs. Toute une période sombre de faits qu'il a soigneusement refoulés, mis en dessin sur des feuilles qui vont finir dans les limbes d'un classeur, à défaut d'avoir pu faire le deuil de ce père disparu. La première partie instaure parfaitement le suspense à venir, attisant la curiosité du lecteur sur le passé de Matija et le traumatisme qui semble avoir été le sien, préambule des autres parties : nous voilà plongés dans la vie d'un petit village croate, entre Mura et Drave, un petit coin du nord du pays qui possède sa propre mythologie, celle d'une terre nourricière, souillée ensuite par des hordes de sauvages étrangers, et qui donne son nom à un bras de la Mura, Triste mère Mura. Et autour de la Mura, une terre noire, celle qui a englouti le corps du père de Matija, une terre animée, avec ses propres fantômes et esprits qui hantent Matija, comme tous ceux qui se sont donné la mort les uns après les autres. Une terre devenue presque maudite, que la famille a fui, que Matija a fait en sorte de faire disparaître dans un coin de sa tête.

Matija le narrateur, jeune, nous entraîne dans les tréfonds de son esprit de jeune orphelin de cinq ans qui vient de perdre son père, en automne 1988, un tout jeune esprit qui pour compenser l'absence et le manque du père se fabrique sa propre mythologie à partir des légendes et du folklore de cette vallée de la Međimurje, entre deux fleuves, comme elle est entre deux monde, à mi-chemin entre la réalité, et le monde des terribles follets, du moins dans la tête du jeune Matija. Un mélange des folklores adultes, y compris les croyances catholiques, et de l'imagination enfantine qui y prend ses racines, y puise sa source dans l'eau pour développer sa propre fantasmagorie qui va l'amener jusqu'aux confins du bien et du mal. L'envoûtement qu'exerce cette terre nous apparaît de plus en plus maléfique, le mensonge, qui une fois adulte prendra une forme compulsive et maladive, est devenu le seul recours au Matija adulte d'assumer cette incompréhension de ces événements, de cette part d'enfance endeuillée qui a tourné au chemin de croix pour Matija, privé d'inspiration une fois devenu adulte.

C'est un roman à première vue un peu sibyllin que nous offre l'auteur croate, qui demande une lecture attentive pour tenter de comprendre la réalité de cette Terre, mère noire. Mais un récit très fin et qui célèbre ses terres croates, aux confins de pays étrangers, d'influences étrangères, à travers l'imagination vierge d'un enfant qui ne sait ni lire et écrire, et épris du folklore des adultes qu'il interprète à sa sauce. Qui a creusé un gouffre dans l'histoire du jeune Matija, une ombre, un creux, du vide, tapis profondément en lui, les dernières traces indélébiles de son traumatisme de la perte paternelle et que l'auteur a choisi de traduire très poétiquement et très âprement par la danse un poil macabre de ces follets issus de cette forêt, cette rivière, cette terre, noires. C'est un roman qui s'apprivoise lentement, au coeur de Međimurje, et poétiquement servi par la traduction impeccable de Chloé Billon.
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Publié en 2013 en Croatie, Terre, mère noire est le deuxième roman de Kristian Novak, a été traduit en français de très brillante façon par Chloé Billon, aux éditions Les Argonautes. Après un court prologue, qui évoque des faits tragiques remontant à 1991 : 8 suicides successifs, en 2 mois, dans un petit village de la région du Medjimurje, au nord de la Croatie, le livre commence véritablement, 20 ans plus tard avec un romancier prénommé Matija, dont les deux premiers ouvrages ont connu le succès et qui vit une belle relation avec sa fiancée. Sauf que son troisième roman, pas encore paru, est jugé irrémédiablement désastreux par les amis qui en ont eu la primeur et que son couple se brise, à la suite de ses mensonges de plus en plus fréquents. S'opère alors un flashback vers l'enfance de Matija, depuis longtemps refoulée, précisément dans le village ont eu lieu les suicides, alors que la Yougoslavie se délitait. Terre, mère noire est un roman très étonnant où les dialogues enlevés et prosaïques de la première partie cèdent la place à un environnement très sombre, dans la majeure partie du livre. Si l'humour et le pittoresque persistent encore un peu, ils s'effacent devant une terrible noirceur maléfique, à laquelle deux follets surgis de l'imagination de Matija enfant ne contribuent pas qu'un peu. Certains passages sont assez atroces par ce qu'ils décrivent de ce village en proie à la peur et à la haine mais aussi par ce qu'ils disent des pensées d'un petit garçon perturbé (euphémisme). le roman est aussi haletant qu'un thriller mais ses côtés obscurs et morbides ont vraiment de quoi faire frissonner d'horreur.
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Medjimurge, petite ville de 2500 habitants au nord de la Croatie. Quelles raisons ont-elles poussées 8 personnes à se suicider dans un laps de temps de moins de deux mois ? Des pistes aussi diverses que fantasques sont avancées, pourtant le mystère demeure. L'incipit est posé. 

Matija a rencontré depuis peu l'amour grâce à Dina. Entre eux c'est un amour passionné, foldingue, scellé par une promesse d'éternité. 
Toutefois, il ne se dévoile jamais, il ne parle jamais de son enfance, de son passé. Pire, Matija et son imagination débordante de jeune écrivain, se rend compte qu'il ment lorsque Dina lui demande des explications sur certaines photos.
Car ce passé, il l'a totalement oblitéré de sa vie. Pourquoi ? 

Dans les deux parties suivantes, nous retrouvons le jeune Matija dans son petit village natal du Medjimurje afin de tenter de reconstituer le passé. 

Nous y découvrons un enfant déboussolé par la mort de son père, qui refuse d'y croire et qui le cherche désespérément partout avec son ami Dejan. Avant de commencer à avoir peur de choses que les autres gens ne voient pas. 

L'auteur nous plonge avec une virtuosité remarquable dans les tréfonds de l'âme humaine, les tourments de cette terre de croyances et de légendes anciennes, où le mal prend ici corps et semble inarrêtable. 

L'histoire de la Yougoslavie est également présente, un pays dont les implosions futures se glissent subrepticement parmi les fissures de ses tourments, donnant une dimension plus profonde encore au récit.

Le roman initiatique qui devient ainsi thriller psychologique, tout en étant une fresque sociale où l'humour sait aussi pointer son nez. 
Un récit donc aux mille facettes, sombre et surpuissant, qui laisse des marques de par sa narration envoûtante autant que par sa dimension tragique. Inoubliable. 
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Citations et extraits (2) Ajouter une citation
Je compris pourquoi près de mon village la terre était toujours si terriblement sombre, presque noire. Terre, mère noire. Chaque fois que tombait la nuit, d’épaisses ténèbres entraient dans la terre. Mais la terre ne pouvait pas tout absorber, si bien que, inévitablement, ce noir finirait par rester au-dessus, et viendrait le moment où le jour ne se lèverait plus.
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C’était l’automne 1988. C’est à cette époque que j’ai appris à lire et à écrire. J’ai également appris qu’on ne pouvait pas écrire, dessiner ou exprimer tout ce qu’on avait dans la tête, et aussi ce qu’était l’amitié, et encore quelques autres choses intéressantes : que les pensées peuvent être dangereuses et, enfin, ce qu’est réellement la mort.
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