Régalade de bout en bout. Entre poésie et philosophie, vers libres et aphorismes, tragique et burlesque : en somme, un livre inclassable et génial. Les références littéraires sont nombreuses (A titre d'exemple, le personnage principal s'appelle Bloom comme le héros d'"Ulysse" de Joyce) et certaines sans doute trop pointues pour le commun des lecteurs (dont je suis) mais les aphorismes souvent pleins d'humour et d'ironie rendent la lecture agréable et parfois même jubilatoire. C'est un grand "roman" sur l'oubli également (Bloom part pour fuir des souvenirs douloureux, une fuite en avant condamnée à l'échec évidemment). Un livre à relire et relire encore tant il semble riche ! Ainsi dans la postface, le texte est présenté comme une parabole d'une Europe sans avenir, incapable de donner du sens au monde (d'où le voyage en Inde, lieu mystique par excellence). Et pourquoi pas en effet...
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Je me suis arrêtée après 100 pages (un cinquième du livre), peut-être faut-il le lire parcimonieusement, par petites touches. Je n'ai pas vraiment été sensible à la poésie, aux vers libres, parfois obscurs à ma compréhension.
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Tavares joue à l'ancien et au moderne, s'amuse à sillonner dans les références, embarquant son lecteur dans un jeu de piste dont celui-ci ressort ébloui et déboussolé.
Lire la critique sur le site : Telerama
Un voyage en Inde est un fascinant roman d’aventures, intelligent et burlesque, dont on ne peut s’arracher, à considérer sérieusement en préparant sa liste de cadeaux.
Lire la critique sur le site : Lhumanite
Chant 1
85
Et c'est à cet instant que, surgie de l'invisible,
la menace se fit arme, poings
et autres choses du même genre.
Les quatre hommes voulaient détrousser Bloom
(sa précieuse valise)
ou même, qui sait, le tuer.
86
Impossible, en effet, de distinguer le visage
de qui veut seulement voler un portefeuille
du visage de qui veut tuer, égorger, éventrer,
couper en tranches et, avec les arêtes de l'intérieur du corps,
fabriquer une lyre.
C'est pourquoi Bloom, par précaution, agit immédiatement
comme si le vieillard et ses trois fils eussent déjà montré
les dents et que lui, pauvre garçon,
fût la cause de leur appétit.
87
Bloom était capable de beaux gestes qu'il avait appris
avec sa grand-mère paternelle, mais à cet instant
il résolut de recourir aux gestes rapides et utiles qu'il avait
appris
avec son autre grand-mère. Ainsi, de sa main il exclut
les manières délicates (comme celle qui permet de saisir
l'index) et de l'intérieur de ses doigts il retira,
comme d'une poche, la brutalité d'un coup de poing,
d'une frappe bien ajustée.
88
Voilà que la lutte s'engage. Tout sauf moribonde, la main
du héros
alla soudain s'arrêter sur le côté droit du visage
de l'un des hommes et, si l'ironie n'était pas déconseillée
dans des situations d'urgence,
nous dirions que le coup porté fut si violent
que l'ennemi sembla aussitôt
avoir un visage avec deux côtés gauches,
car sur le droit il ne restait plus rien d'entier.
89
Mais bien d'autres ruines restaient à ériger car, d'après les
mathématiques
qui, malgré tout, restent pertinentes en de telles circonstances,
mettre à terre un homme sur quatre
signifie ne pas en mettre à terre trois.
Les mathématiques restent pertinentes, en effet,
et s'avancent vers eux.
Alors Bloom: boum et boum et une troisième fois
boum! Et les quatre lâches prennent la fuite portant
chacun une nouvelle marque abstraite,
mais douloureuse.
90
Après avoir inversé musculairement
certains calculs numériques précipités,
Bloom, excité, demeure insatisfait
et se lance individuellement à la poursuite d'un groupe
pluriel
qui le fuit.
Parmi les lâches se font entendre murmures et
repentances et le vieillard, moins bien doté en arguments
cordonniers, se voit rattraper, trébuche; il est ensuite roué
de coup
dans le détail par Bloom, tandis que ses lâches de fils,
sans cesser de courir, révèlent au monde
que finalement, en qualité,
ils étaient bien plus lâches que fils.
91
L'un des lâches, dans un sursaut d'audace,
car il arrive au plus pusillanime de s'en montrer capable,
parvint à ramasser dans sa fuite une lourde pierre,
mais, ayant mal visé, à cause de nerfs excessifs
au niveau des omoplates et du coude,
finit par atteindre très exactement
le crâne quasi vide de son vieux père.
92
S'ils s'étaient montrés désorganisés même lorsqu'ils étaient
immobiles,
pacifiques et inactifs,
qu'attendre de ces hommes en pleine débandade?
S'ils avaient, pour décamper, choisi de tourner en rond,
il n'en aurait pas été autrement: ils trébuchaient les uns
contre les autres,
s'agrippaient, s'insultaient. On eût dit, au bout du compte,
qu'ils se battaient entre eux
en même temps qu'ils fuyaient;
deux actions, comme le sait n'importe quel écolier du
primaire,
difficilement compatibles.
Chant II, 43
L'avenir s'approche comme le berger qui garde
son lent troupeau, c'est-à-dire : il ne vient pas
il s'attarde, fait naître l'impatience dans les choses qui
existent
Certains événements, il est vrai, peuvent ajouter
deux ou trois étages à la vie. Mais guère plus.
Toute matière a un avenir,
et même la mémoire privée est, à cet égard,
une matière à prendre en compte. La mémoire a de l'avenir,
voilà une idée qui est loin d'être pessimiste.
Chant VI, 32
Si le lien entre les hommes avait été parfait,
il n’aurait pas été nécessaire d’inventer le langage.
Parler est la manière la plus civilisée d’instaurer
une distance de sécurité ; les animaux grognent
entre eux, les hommes devisent sur
le climat et citent des auteurs classiques. Mais toutes ces
actions ont le même effet.
Régalade de bout en bout. Entre poésie et philosophie, vers libres et aphorismes, tragique et burlesque : en somme, un livre inclassable et génial. Les références littéraires sont nombreuses (A titre d'exemple, le personnage principal s'appelle Bloom comme le héros d'"Ulysse" de Joyce) et certaines sans doute trop pointues pour le commun des lecteurs (dont je suis) mais les aphorismes souvent pleins d'humour et d'ironie rendent la lecture agréable et parfois même jubilatoire. C'est un grand "roman" sur l'oubli également (Bloom part pour fuir des souvenirs douloureux, une fuite en avant condamnée à l'échec évidemment). Un livre à relire et relire encore tant il semble riche ! Ainsi dans la postface, le texte est présenté comme une parabole d'une Europe sans avenir, incapable de donner du sens au monde (d'où le voyage en Inde, lieu mystique par excellence). Et pourquoi pas en effet...
Il a forniqué, pensé nagé dans la mer, il est tombé amoureux,
a été aimé, n'a pas aimé, il a éprouvé une certaine adoration
pour une certaine musique magique qui vient des chiffres,
il a chanté des chansons, s'est fait trois ou quatre amis,
a su souffrir sans débrancher l'instinct d'apprentissage,
a connu des habitudes interdites et compris la théorie
de mille langues, il a touché plus de six cents espèces
animales - et maintenant il est content ou désespéré.
(Chant 10-95)
Rencontre animée par Marie-Madeleine Rigopoulos - Interprète : Filipa Freitas
Dans le cadre de la saison France-Portugal et à l'occasion de la parution de Mythologies, la Maison de la Poésie accueille l'un des plus grands auteurs de littérature portugaise contemporaine, dont les nombreux ouvrages fonctionnent comme des explorations narratives et langagières. Ce recueil se compose de plusieurs récits allant de la fable au conte, qu'il soit pervers ou cruel. Mâtiné d'un humour noir caustique, il met à jour la mécanique d'un imaginaire délicieusement tourment, fascine par son incongruité et par ses résonances mythologiques et archaïsantes.
Avec le soutien de la Saison France-Portugal 2022.
À lire – Gonçalo M. Tavares, Mythologies, trad. du portugais par Dominique Nédellec, éd. Viviane Hamy, 2022 – Journal de la Peste, trad. du portugais par Élodie Dupau, Bouquins éd., 2022.
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