« Prends ma main, car je suis étranger ici,
Perdu dans le pays bleu,
Etranger au paradis… »
Vous connaissez peut-être cette mélodie populaire des années 50, calquée sur un thème des « Danses polovtsiennes » du « Prince Igor » de Borodine.
Le paradis, en l'occurrence, c'est San Felipe, une petite île des Caraïbes, où cohabitent les planteurs de canne à sucre et une population indigène sur le point de se révolter. Car ce paradis, c'est en fait une chaudière sous pression qui ne demande qu'à exploser. L'étranger, c'est Robert Murray, un jeune médecin écossais, bardé de principes et de préjugés. Son patient, Alexandre Defreece, vient d'être opéré, et doit retourner sur son île de San Felipe où il est un planteur influent. Il exige d'être suivi par son médecin, ainsi que par une infirmière. C'est ainsi que Robert Murray et Mary
Benchley se mettent en route pour les Caraïbes. Si le décor est paradisiaque, ce n'est pas le cas pour l'atmosphère générale : un climat de révolte sous-jacente couve. La superbe épouse du planteur, et son médecin particulier le docteur Da Souza, sont très bizarres et attirent la méfiance de Mary. Celle-ci et Robert sont comme chien et chat. Mais très vite, ils comprennent qu'un complot menace le planteur. Et quand Mary est enlevée, Robert vole à son secours…
Tout ça bien sûr est très prévisible. Mais
Cronin, on le sait, s'attache plus à montrer les à-côtés, à définir une ambiance, à souligner les petits détails qui en disent plus long qu'un large plan d'ensemble. S'il s'attarde à nous décrire le paradis de San Felipe, ses nuits chaudes, son carnaval, son folklore local fait de superstitions vaudous et de traficotages locaux, et même cette révolution qui menace, c'est pour mieux mettre en contraste les personnages du récit et leur drame intime.
Ce roman est paru en 1959.
Cronin, on s'en rend compte a déjà écrit le meilleur de son oeuvre. Si son style, toujours aussi agréable, n'a pas changé, les intrigues de ses romans ont du mal à trouver une certaine cohérence. Ici, le côté fleur bleue semble l'emporter sur toute autre interprétation. L'auteur aurait pu appuyer sur le côté « aventure coloniale » surtout dans le cadre d'une révolution. Il aurait pu fouiller un peu plus la psychologie des personnages… Mais au bout du compte, le roman reste parfaitement lisible et ne tombe à aucun moment dans la mièvrerie ni dans la facilité.
Cronin reste un grand écrivain, essentiellement parce que, grâce un style fluide et familier, il sait capter l'attention de ses lecteurs, et les embarquer avec lui dans une belle histoire. Bien sûr il ne vous fait pas grimper aux rideaux, et d'un autre côté, il n'est ni monotone, ni plan-plan, ni plat-plat.
Cronin, quand il n'est pas un artiste, reste un bon artisan, un excellent artisan.
«
Etrangers au Paradis » n'est certes pas un des meilleurs
Cronin, mais c'est quand même une bonne cuvée (de toute façon,
Cronin ne vous servira jamais de la piquette).