Les éditions Gallimard rééditent un livre mythique, publié en 1971 chez Skira : Roue libre de
P. Alechinsky. Si le format est identique à celui de l'original, les illustrations sont aujourd'hui en noir et blanc, ce qui est dommage. Mais l'ouvrage reste passionnant et permettra à de nouveaux lecteurs de découvrir un monde trop peu exploré : celui des ouvrages d'art littéraires ou plutôt des livres « objets ». Imaginés à la suite des expériences surréalistes, ces livres furent très en vogue dans les années 1950 et 1960 et notamment auprès des membres du groupe CoBrA, dont fit partie Alechinsky. Roue libre paye précisément son tribut au surréalisme : dans ce vagabondage circulaire, le narrateur-peintre chemine dans Paris à la recherche de son père spirituel,
André Breton. Des poèmes, des dessins, des masques, des photographies, des sculptures, des montages, des gribouillages, des extraits de lettres de nombreux artistes et écrivains (
Dotremont, Giacometti, Appel, Jorn, Arman, Atlan, Michaux, Walasse Ting,
Man Ray...) composent un ensemble hétéroclite et concentrique. Il s'agit de se rapprocher au plus près du mystère de l'inspiration et de la création. Ce voyage initiatique s'épanouit dans une sorte de monde onirique d'images et de textes fragmentés, qui engendrent eux-mêmes dessins et bribes d'écriture spontanée. L'ensemble est un hommage à
Nadja d'
André Breton, mais un hommage dynamique et réflexif, qui n'est pas sans rappeler les anti-livres de
Michel Butor. Toutes ces oeuvres collaboratives et artistiques sont aussi des remises en cause de la forme classique du livre occidental. À l'heure d'Internet, rien de plus moderne !
Par
Christine Gouzi, critique parue dans L'Objet d'Art 538, octobre 2017