ALLONS Z'ENFANTS !
Première année d'école pour
Alain Amariglio. le nouveau maître est dans ses petits souliers. Après une carrière d'ingénieur et de patron de start-up, l'homme a décidé de passer le concours de l'IUFM. Par vocation. Cet homme-là est-il un idéaliste ?
« Savoir, penser, rêver », les mots de
Victor Hugo en tête, il franchit le seuil de son école parisienne située en zone d'éducation prioritaire. Sa première classe sera un
double niveau, des petits CE2 avec des grands du CM2. Pour commencer, il leur propose une énigme: calculer la somme des 100 premiers nombres sans avoir
recours à une interminable addition. En 1786, un petit Allemand, Frédéric (Gauss), a trouvé la solution, leur rapporte-t-il. Une camarade est chargée d'écrire les lignes de nombres au tableau. Bientôt un élève remarque que « toutes les colonnes font 101 ». Et l'affaire est résolue. Emerveillement
dans la classe.
« Omer n'est pas aveugle !»
Des moments comme cela,
Alain Amariglio en conte à la pelle. En cette rentrée, les témoignages de professeurs ne manqueront pas encore une fois de fleurir en librairie, mais celui-ci touche par sa sensibilité, sans affectation aucune, et son ton primesautier. Avant d'évoquer la dure condition de professeur des écoles dans les établissements relevant du Mammouth, ce maître-ci parle d'abord de ses élèves, Amadou le rêveur, toujours en route vers la planète Mars, Stella qui sera paléontologue ou présidente de la République, James l'indécrottable lecteur du fond de classe, Malik la forte tête. Sans eux,
Alain Amariglio n'aurait certainement pas tenu un trimestre. Car en même temps que ses élèves, il découvre l'incroyable immobilisme de l'institution, le manque de confiance accordé par leurs supérieurs aux enseignants et une école sommée de résoudre tous les maux de la société quand celle-ci démissionne. « Heureusement, il y a les enfants » clame notre homme.
Pas béat cependant.
il a des raisons de soupirer mais il préfère en rire, quand il s'étonne par exemple de voir ses petits élèves réagir à l'évocation d'
Homère. « Il était aveugle, le saviez-vous ? »ajoute-t-il heureux de leur en apprendre plus. « Mais Omer n'est pas aveugle. J'ai vu tous les épisodes des Simpson ! » tance un petit devant l'assemblée qui acquiesce. Dans cette classe « vivante », il note l'influence des jeux vidéo, qui font que les enfants prennent la parole sans réfléchir juste pour occuper le terrain et recommencer aussitôt. Il s'inquiète : comment arrivera—t-il à nourrir à la fois le cancre et l'élève modèle quand un fossé les sépare? Alors il avance, avec ses énigmes à résoudre, ses histoires qu'il sait si bien raconter, le trésor de la classe, livre d'or où les enfants inscrivent les mots précieux mais aussi des invités surprises,
Hubert Reeves, qui répond à la lettre que les enfants lui ont envoyée, ou le jardinier du potager d'
Alain Passard. C'est vif, amusant, malin et spontané. Comme le petit peuple qui a su le séduire.
FRANÇOISE DARGENT – Figaro littéraire – 4/9/2014