Quand un auteur considéré comme l’une des meilleurs de sa génération, auréolé d’une réputation où le sulfureux le dispute au talent, se voit refuser un manuscrit par son éditeur, la curiosité est à son comble ! Et Masse critique m’a permis d’aller y voir de plus près …
Donc, nous sommes dans le camp de concentration Kat Zet 1, en Pologne, en compagnie de trois personnages principaux : le commandant Doll, bouffon, pochetron, préoccupé avant tout de bien faire son travail puis de rentrer auprès de sa femme et de ses filles jouer les maris modèles ; l’officier Angelus Thomsen, qui se sent « en rut, en rut, en rut » et tombe amoureux de Hannah Doll, plantureuse épouse du commandant ; Szmul, le Sonderkommando, triste à mourir.
Calmann-Levy, qui a « récupéré » le roman évoque le marivaudage et les Monty Pythons … j’ai bien cherché mais je n’ai trouvé que ridicule même pas drôle et phrases boursouflées, plombées de mots allemands, d’abréviations et d’allusions historiques pas toujours faciles à décoder … Pour moi, le roman « inventif, provocateur et, tout comme le Guernica de Picasso, d’une beauté incongrue », selon le Herald tribune, est tout au plus un pétard mouillé.
Dans le registre « humour décalé » sur le même thème, Roberto Benigni et sa « Vita e bella » avaient fait mouche avec bien plus de légèreté. Pour évoquer le sens du devoir aveugle de tous ces fonctionnaires zélés, on relira avec bonheur « La question humaine » de François Emmanuel ou « La mort est mon métier » de Robert Merle. Enfin, pour évoquer la Shoah, les Sonderkommando et toute la mécanique de ce système implacable, « Shoah et « Sobibor » de Lanzmann ou le tout récent « Le fils de Saul » ont bien plus de force et d’humanité, sans oublier l’essentiel « Si c’est un homme » de Primo Levi.
Ce roman me semble donc surévalué par son éditeur et les critiques, peut-être porté par la réputation de son auteur, mais j’ai pu constater que les lecteurs lambda étaient loin de partager cet avis. Pour ma part, je trouve que ce livre n’est pas simple dans sa compréhension directe (trop nombreuses abréviations et allusions parsemées de vocabulaire allemand), ni dans l’appréhension de sa portée véritable : il est vraiment nécessaire, après lecture, de poser le livre, d’y réfléchir et de se confronter aux avis d’autres lecteurs. Pour ma part, cette réflexion m’amène plutôt à me tourner vers d’autres œuvres plus fortes et – à mon humble avis – de plus grande qualité littéraire ou esthétique.
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Avouons-le, les desseins étaient ambitieux. Mille ans. Un régime de mille ans, ça ou des prunes, les grands huiles du NSDAP avaient ainsi dressé leur plan usurpatoire. Au surplus ça sera dix ans, et en tractant la bête dans la douleur. Car à force de faire la guerre à tous, de vouloir décimer quiconque n'est pas blondinet aux yeux bleus et à la germanité tout à fait antédiluvienne, fatalement qu'un jour ou l'autre ça allait mal finir. Dieu merci.
Mais quelle charnier ! Il fallait qu'ils en tiennent une sacré couche, le Führer et sa clique, pour faire avaler d'un trait leur vilaine idéologie. Parce que les tops gun du Reich, niveau apparence, pour l'aryanité, c'est du couci-couça chez les gros bonnets : entre Goebbels qui louche de la jambe, Göring le putschiste morphinomane qui change de tenue comme lui prend l'envie de pisser, ou encore Himmler ce binoclard malingre à la mine anémiée, on repassera pour filer le bon exemple question supériorité raciale.
Si j'ai lu quelques livres sur les nazis et la solution finale, celui-ci vous hèle comme un vieux pote dans la rue que vous aviez zappé depuis deux décennies. Vous l'auriez bien esquivé mais une fois dedans, la force de son récit vous prend. Oui, la comparaison est douteuse mais vous captez l'idée générale.
J'ai allègrement allongé mes temps de lecture. Il fallait l'oser, raconter le barbarisme primaire d'Auschwitz sous le prisme d'une ironie poivrée, c'est ce qu'on appelle couillu. La focale est cynique, d'un mordant féroce envers ces nazis qu'on aimerait tous véritables salauds.
À quoi l'auteur apporte de la nuance, il dénude l'idée d'un bloc monolithique de fumiers. Certains suivent le mouvement, perpétrateurs serviles partiellement insensibilisés par les renforts d'un nationalisme omniprésent. Ils se dépêtrent tels de raides contorsionnistes, menant parfois à une forme de dépersonnalisation, parfois à une forme de folie.
D'autres jouent franc-jeu, parfont leur cruauté et s'attaquent sans niaiser à élargir leur pouvoir. Leurs états d'âme sont mis à l'index et balancés à la marge d'un circuit cérébral au fonctionnement abscons.
Le personnage de Doll, directeur d'Auschwitz, résume à lui seul la faillite d'un système léthifère. Les cadences sont infernales, les juifs arrivent trop vite et en trop grand nombre. Que faire de tous ces corps ? Comment augmenter la productivité en maintenant des rations faméliques ?
Ce Doll, sorte de loque avachie, fascine par ses ambivalences lardées de soubresauts virilistes. C'est qu'en plus de la rampe d'arrivée, il doit gérer le naufrage de son couple. Car c'est là toute la tragédie mise en exergue dans le livre ; au milieu de ses fours crématoires, la vie continue presque ordinairement pour ces meurtriers bureaucrates. Alors cet alcoolique désabusé, pas plus fou qu'un autre, même sans doute tout à fait fréquentable dans d'autres circonstances, devient cette ordure débectante au sadisme facile.
Je savais les hauts dignitaires méticuleux dans leurs sottises mais j'ignorais tout de leurs fricassées d'anthropologie raciale, de recherche archéologique et notamment cette délirante théorie de la glace cosmique. Leur cerveau de traviole n'avait de limite que leur machiavélisme sans esprit de retour.
Bref, j'ai beaucoup aimé ce livre où le cynisme est roi. Sous une forme extrêmement satirique et acerbe, l'auteur dresse la déliquescence d'un appareil. Assurément, c'est un bouquin clivant.
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