Il n'y a rien de plus révélateur que la dénégation. Ceci n'est pas une pipe. Ceci n'est pas un porno complaisant. Mais… qu'est-ce que c'est ?
A priori, c'est un texte de 130 pages qui ne comporte qu'une demi-douzaine de retours à la ligne, mais ponctué « normalement ». Procédé courant pour inspirer l'absence de toute logique, et l'enfermement. Les scènes de sexe couvrent plus de la moitié du texte. le reste, ce sont les faits et geste de l'homme, et ses déclarations, centrées sur ses autres relations féminines. Plus quelques bribes de narration (la séparation finale).
Très peu de repères, même subtils, autres qu'en relation directe avec la dimension sexuelle, à l'âge du personnage féminin. Ses lectures, "Chiens perdus sans collier"… Ses amitiés, scolaires. Elle est vierge, l'homme veut la posséder analement pour préserver son hymen. A quelques reprises, il lui demande de dire « C'est bon papa ». On ne sait pas si elle obtempère.
Ce texte est la narration d'un épisode d'emprise totale d'un homme adulte sur une jeune fille ou une adolescente, dans un huis-clos de quelques jours. L'emprise est déjà installée. La fille en est totalement prisonnière, puisqu'à la fin elle ne supporte pas d'être renvoyée à sa famille au lieu de pouvoir accompagner l'homme "à Carcassonne". L'homme est un pervers narcissique type, qui possède une science exercée des alternances lâcher-serrer et aduler-rabaisser. Il est totalement obsédé par la possession sexuelle, qu'il exige plusieurs fois par jour et dans les environnements les plus divers, y compris publics. La fille est « inexpérimentée » face aux fantasmes de l'homme, dont les tentatives de pénétration anale lui procurent douleur et détresse.
Les lecteurs et lectrices réagissent probablement de façons très diverses, de l'indifférence à l'indignation ou à l'excitation.
Car ce « roman » peut très facilement se lire comme un roman pornographique. Toutes les scènes sont décrites en gros plan, longuement jusqu'au plus fin détail et jusqu'à l'orgasme masculin, avec du sperme, très souvent dans la bouche. Je n'ai vu pour ma part aucun obstacle dressé par
Christine Angot à une lecture pornographique, qu'elle soit d'un adolescent « normal » en quête de ses premiers émois solitaires, ou d'un adulte moins « innocent » voire déjà bien imbibé. Au contraire, et c'est là que le bât blesse vraiment.
Les choix de focale sont conformes à ceux de l'industrie pornographique. de même les détails, notamment la pénétration orale active ("mouthfuck", aggravation de "deepthroat") "jusqu'au fond du palais" (sic), plusieurs fois décrite. L'évocation du « 69 » est certes une antiquité, mais elle en fait partie. Mais là où l'auteure se prend à mon avis vraiment à son propre piège, c'est dans un petit détail (le diable est dans les détails !) avec le mot « fister » (p.69, hasard malencontreux). Pour décoder ce mot, il faut connaître la représentation de la pratique correspondante dans la pornographie. Je le vois donc ici comme une véritable complaisance, peut-être accidentelle, mais en tout cas pas du tout maîtrisée.
Oui le livre a connu un grand succès de librairie. Mais de quelle nature ? Combien de femmes et d'hommes ? Et quels effets, recherchés ou non ? Certainement, une jeune femme pourra y avoir vu, pour son édification, les ficelles d'un pervers et d'une emprise infernale. Mais moins clairement que, par exemple, dans "
L'Inceste" de la même auteure. Un jeune garçon ? J'en doute fort. Je me permets de rappeler que "Moi, Christine F., 13 ans" a été lu, de notoriété publique, par beaucoup d'hommes comme un livre pornographique. Il fallait pourtant surmonter beaucoup d'aspérités ! Et le "Rapport Hite" donc. Cette dimension, la réception et le devenir d'un texte, les jalons à y poser, relève de la responsabilité de l'auteur-e et ici, il me semble que
Christine Angot s'est fourvoyée dans le but certes louable d'édifier son lectorat sans discours moralisateur explicite, peut-être prise par l'ambition d'unir un thème et un genre incompatibles…