Entre sa première publication (confidentielle) en 2003 et sa republication à l'été 2023, il s'est passé 20 ans où ce texte a circulé, principalement en ligne, via des pages internet et du bouche à oreille. Personnellement, je l'ai découvert en 2010 sur les conseils d'un ami anarchiste.
L'Insurrection qui vient publié en 2007 avait donné encore un peu plus de visibilité à ce texte clandestin, puisque L'insurrection reprend grosso modo les thèses de l'Appel et de la revue
Tiqqun en les simplifiant, en les présentant dans une prose moins grandiloquente que celle de l'Appel. Je n'ai donc pas lu les « autres textes » présentés en 4e de couverture, ici je ne commente que l'Appel.
1ere remarque : L'Appel porte bien son nom. Ni essai ni pamphlet, ce texte est un appel à celles et ceux qui veulent bien entendre, à ceux qui souhaitent s'organiser contre le cours du monde. Les auteurs préviennent dès les premières lignes : « Nous ne prendrons pas la peine de démontrer, d'argumenter, de convaincre. Nous irons à l'évidence. L'évidence n'est pas d'abord affaire de logique, de raisonnement. Elle est du côté du sensible ». Aussi, la description de cette société, contre laquelle il s'agirait à la fois de lutter et de se mettre en marge, n'est pas particulièrement détaillée. Pourtant, on pourrait dire qu'elle est « bien sentie ». Je me rappelle avoir été emporté, en 2010, par cette plume à la fois poétique et féroce qui dissèque notre monde sous l'angle du « désert ».
Désert ? Oui, un désert de liens aux gens, aux lieux, aux choses, aux moments. le principal message du texte est peut-être là. Avant de faire la révolution, il faut (ré)apprendre à faire lien au monde, développer une nouvelle conscience de soi et de son environnement. En 2023, cette façon d'envisager la politique sous l'angle des « liens » est assez développée (je pense aux textes de
Damasio, Morizot…) et se développe de plus en plus à mesure que le constat des multiples crises en cours (climat, biodiversité, eau…) trouvent leur source dans un rapport au monde occidental, capitaliste et individualiste qui condamne la planète à moyen terme. Mais en 2003, je pense que l'Appel était très précurseur.
Comme dans l'Insurrection, une des forces du texte réside dans son refus de voir des ennemis individuels. Ou alors, l'ennemi, c'est davantage une certaine façon d'être au monde, une forme particulière de subjectivité. Personne à pointer du doigt, mais une nouvelle façon d'apprendre à vivre.
Ensuite, il y a la forme, le ton de l'écriture. C'est grandiloquent, poétique, too much, mystique, aphoristique… Bref, les qualificatifs ne manquent pas. On aime ou on aime pas, je suppose – pour ma part, ce ton a plutôt bien fonctionné, même si je concède qu'il est sans doute peu accessible et surtout voué à faire plaisir à la frange la plus littéraire de la mouvance anar / extrême gauche.
Un texte intéressant, précurseur, bien qu'on trouve sans doute mieux depuis. Les textes du
Comité Invisible publiés à La Fabrique, par exemple, continuent à travailler les mêmes thèmes dans une prose plus simple.