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EAN : 9782380820386
148 pages
Anne Carrière (07/02/2020)
3.95/5   11 notes
Résumé :
« Qui est Garry Davis ? Pourquoi ce nom dans votre bouche, ce soir, comme un leitmotiv d’objections à mes désenchantements ? Pourquoi un livre sur lui ? Vous ne savez pas vous-même, dites-vous, mais vous voudriez pourtant me le présenter. C’est un bon début, je trouve. On ne devrait jamais présenter que ceux que l’on ne connaît pas. Du reste, c’est sans doute ce que nous faisons toujours, à notre insu. Buvez encore une gorgée, je vous en prie, et racontez-moi son hi... >Voir plus
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L'histoire d'un citoyen du monde

Changement complet de registre pour Frédéric Aribit, qui passe du Bal des Ardents à une biographie romancée de Garry Davis, le dernier idéaliste du XXe siècle sur lequel il porte un regard tendre et nostalgique, comme sur la belle Julia.

Avez-vous déjà entendu parler de Garry Davis? J'avouer qu'avant de découvrir le nouveau roman de Frédéric Aribit, le nom de ce citoyen du monde, mort à 91 ans en 2013, m'était totalement inconnu. Et pourtant, comme le rappellait Pierre Haski dans L'Obs au moment de son décès, plus de deux millions et demi de personnes disposaient d'un passeport de «citoyen du monde» émis par cet utopiste, qui avait notamment rallié trois Albert célèbres à sa cause: Einstein, Camus et Schweitzer.
Et s'il faut en croire l'habile scénario du roman, c'est aussi le hasard qui a mis le narrateur sur la piste de cet homme remarquable. Nous sommes sur la Côte basque lorsqu'il marche malencontreusement sur le pied de Julia. Elle accepte de prendre un verre avant de regagner son lieu de villégiature. Son mari et son fils Marius sont restés du côté de Lille.
Lui a beau être désabusé et ne plus attendre grand chose de l'existence, il n'est pas insensible au charme de cette femme. En fait, «nous nous apprêtons à vivre la parenthèse d'une soirée estivale qui s'est ouverte sur un pied malencontreusement écrasé devant le comptoir et qui se refermera bientôt, quand vous rejoindrez vos amis et que votre jupe, votre débardeur blanc avec la bouche rouge des Stones s'évanouiront, tel le mirage soudain dissipé d'une fontaine où boire en plein désert, ..»
Une parenthèse qui s'ouvre sur cette question plutôt incongrue: Avez-vous déjà entendu parler de Garry Davis?
Le personnage que dépeint alors Julia est effectivement «plus insaisissable que ceux qu'on trouve dans les romans». Engagé dans la Bataille de France durant la Seconde Guerre mondiale, il en ressort traumatisé et décide de prendre à la lettre les belles paroles des conférences d'après-guerre, de créer les vraies Nations Unies. Il rend alors son passeport américain et parvient à rejoindre Paris où, avec l'aide de Camus, il fait irruption au Palais de Chaillot où se tient une Assemblée générale des nations Unies, pour y lancer sa profession de foi. Ce ne sera là que l'un de ses titres de gloire, car pendant les décennies qui suivent, il ne va rien lâcher de son combat, de son idée fixe. Et comme dit, il va rallier des millions de personnes – des anonymes et des célébrités – à sa cause, auxquels il enverra un passeport de citoyen du monde. Julia semble connaître dans le moindre détail la biographie de cet homme et parvient à subjuguer son interlocuteur.
On l'aura compris, c'est par le truchement de la belle Julia que Frédéric Aribit parvient au même résultat avec le lecteur qui n'oubliera pas de sitôt le combat aussi passionné que vain de cet homme. Comme dans le bal des ardents, il s'interroge sur la passion qui est un formidable moteur, avec ce brin de nostalgie au moment de constater que pour son narrateur la flamme ne brûle plus avec la même intensité. Quand ne reste que le souvenir de ce qui aurait pu être une belle histoire d'amour. Comme Georges Perec écrivant «Je me souviens du citoyen du monde Garry Davis. Il tapait à la machine sur la place du Trocadéro.», il pourra dire «Je me souviens de Julia. Elle pouvait parler des heures d'un autre homme et vous fasciner tout autant.»


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Coup de coeur. ❤️

« Qui est Garry Davis ? Pourquoi ce nom dans votre bouche, ce soir, comme un leitmotiv d'objections à mes désenchantements ? Pourquoi un livre sur lui ? Vous ne savez pas vous-mêmes, dites-vous, mais vous voudriez pourtant me le présenter. C'est un bon début, je trouve. On ne devrait jamais présenter que ceux que l'on ne connaît pas. du reste, c'est sans doute ce que nous faisons toujours, à notre insu. Buvez encore une gorgée, je vous en prie, et racontez-moi son histoire tandis que le soleil descend et que je réalise non sans un léger trouble que sous la table, tout en parlant, vous avez ôté vos chaussures. »
L'histoire aurait pu être celle d'une rencontre d'un soir, entre le narrateur désabusé et la belle Julia, dans un bar sur la plage de Guéthary, ou seulement celle de Garry Davis qui, en remettant son passeport américain aux autorités, devint le premier citoyen du monde.
Ce sera l'une et l'autre, dans un emboîtement, et un nourrissement mutuel.
Frédéric Aribit s'accommode fort mal des carcans littéraires : il n'aime pas les frontières, celles qui séparent les Hommes et les formes. Que ce soit dans « Trois langues dans ma bouche » ou « le Mal des ardents », et maintenant dans ce nouveau roman, l'auteur a montré – et il le reconnaît volontiers – qu'on peut écrire un roman, le dérouler dans une langue éminemment poétique, et aller se frotter par moment à des formes plus académiques que sont l'essai ou le documentaire.
C'est un virtuose de la forme, son roman est habilement architecturé, mais son vrai talent, est de donner du sens à la structure originale qu'il a choisie (on pense immédiatement au « Cul de Judas », de Lobo Antunès, qu'il salue d'ailleurs à l'aube de son récit).
Ainsi, cette mise en abîme vertigineuse, avec laquelle il ouvre son roman, cette réflexion sur la destinée. « le rêve d'une vie n'a pas d'origine », phrase sublime qui, à elle seule, place l'histoire qui va nous être racontée dans une autre histoire qui la dépasse : la vôtre, la nôtre, notre histoire à tous, celle du monde. Frédéric Aribit parvient à créer de la porosité entre la destinée de Garry Davis, celle du narrateur et celle de chacun. Il pose aussi la question du choix, de la conviction. A travers les actions jusqu'au-boutistes de cet « énergumène » aux cheveux roux, en nous racontant l'engouement suscité par ses théories et ses ambitions hors-normes auprès d'intellectuels et de simples citoyens qui le soutiendront dans sa révolte pacifiste, l'auteur nous encourage à questionner notre identité et notre engagement. A quoi serions-nous prêts à renoncer pour qu'un monde plus juste puisse advenir ?
Et de nous livrer, dans ces temps si particuliers, où les corps s'évitent dans l'espace public, où des frontières de peurs séparent chaque individu de l'autre, ces mots sublimes :
"La frontière relie autant qu'elle sépare, au contraire des murs. C'est la peau des peuples, Julia, comme la vôtre, comme la mienne, avec la douane de nos orifices où nous échangeons déjà. Ce par quoi chacun existe, par contraste et par frottement. Elle est aphrodisiaque, la frontière, invitation au voyage, au dépaysement, à la reconnaissance que je n'existe que parce que l'autre existe, parce que vous existez."

Au-delà donc du récit de la vie incroyable et admirable de cet apatride volontaire, par-delà les valeurs mondialistes et pacifistes qui résonnent si fort dans nos questionnements et nos inquiétudes contemporaines sociétales, il y a, en filigrane, les interrogations plus intimes que nous posons sur notre destinée, si humble soit-elle. La grande histoire qui nous est contée n'est jamais désincarnée, elle vient constamment réinterroger le présent.
A ce jeu-là, Frédéric Aribit est très habile : il parvient sans peine à nous interpeller, à nous intéresser aux actions de Garry Davis, en les plaçant, chacune, dans une constellation d'événements et de figures mondiales essentielles, il nous entraîne avec lui dans l'histoire folle d'un homme qui rêvait, comme certains d'entre nous encore, d'un monde meilleur et plus juste. Et quand notre empathie pour ce fou lucide est à son comble, c'est à ce moment-là que l'auteur, nous rattrape au vol pour nous ramener sur cette plage du pays basque, face à cette jeune femme qui n'en finit pas de le séduire.
Il nous offre alors, dans une langue éblouissante, des moments gorgés de sensualité : le récit se fait chair, l'histoire se fond dans l'intensité du moment, et le romancier sait alors convoquer les lumières, les odeurs, faire focus sur la bouche de sa compagne d'un soir. le goût des couteaux à la plancha et du Chardonnay palpitent dans nos bouches, tandis que la bande son et la guitare de Gilmour permettent aux deux protagonistes de suspendre leurs mots, de boire une gorgée de vin, et d'ôter lentement, comme une danseuse en plein effeuillage, le voile de leur intimité.
Le procédé est éminemment cinématographique : raconter une histoire du passé, en ricochant sur un moment du présent qui suit sa propre ellipse temporelle, beaucoup plus courte celle-là, qui prendra fin en même temps que la grande épopée qui nous est narrée. Ainsi l'auteur joue-t-il avec les fils de sa narration, tenant son lecteur en éveil, le rendant attentif aux événements.
Zoom arrière, zoom avant, procédé captivant qui, encore une fois, ouvre l'histoire. Les histoires.
Mais si l'auteur nous ramène régulièrement dans le présent, comme on taperait ses pieds sur le sol pour être certain d'être bien ancré, c'est pour y faire passer, à travers un miroir révélateur, la fiction qu'il déroule, lui donnant ainsi des échos imminemment actuels. L'histoire de Garry Davis prend sens à travers la sienne qui se déroule en creux, en éclats de souvenirs.
Parallèlement, les certitudes du narrateur s'ébranlent : dans les mots de Julia, que nous n'entendrons pas, on perçoit la beauté de la vie, la croyance en de possibles horizons, la force qui émane de son « petit corps d'oiseau ». le destin de Garry Davis qu'elle expose avec pugnacité, vient contrer obstinément la mélancolie résignée de cet inconnu à qui elle va offrir, du bout de ses lèvres rouges, quelques bribes de sa vie.
« Garry Davis est un fiction ». Et pourtant, malgré cette affirmation qui reviendra, telle un leitmotiv, l'histoire du pacifiste mondialiste s'incarne, prend chair à travers la présence de Julia, qui la met au monde, en accouche littéralement, le temps d'une soirée, sur cette terrasse « au bord du monde ». L'histoire s'engouffre et jaillit à la fois de la bouche de Julia, passeuse hypnotique de la vie de Garry Davis.
Il y a aussi, dans ce roman, la beauté de la rencontre, son hasard merveilleux, les fragilités qu'elle révèle, ces morceaux de soi qu'on a envie d'offrir mais qu'on retient en espérant qu'ils se déverseront à la faveur d'un moment d'ivresse.
Séduire, aimer, se séparer, espérer, abandonner : l'histoire d'un amour déchiré et celle d'une rupture annoncée serpentent et s'enroulent autour de Julia et du narrateur.
L'amour, et le moment de l'amour qui aspire le monde et les corps, remplit intensément le présent. le désir, liqueur délicieuse, qui vient surprendre et capturer les sens du narrateur. L'espoir désespéré de garder en lui l'évanescence de l'intensité du moment : « Mais cela au moins, nous l'aurons vécu, n'est-ce pas ? Cela au moins aura été, entre nous tous, entre nous deux, avant que tout se dissipe encore dans le chaos d'absence ordinaire qui nous tient lieu de présent. »
Amour sublime, enfin, noyade éperdue dans cet emmêlement infiniment tendre, sur cette plage de Guéthary, où l'auteur nous livre le fantasme d'une nuit d'amour, la plus douce qui soit, la pénétration d'un sexe dans l'autre d'une tendresse infinie, qui mène de la vulve au coeur. Au-delà de la jouissance, de la frénésie du frottement, l'épanouissement de la chair intime, le creux et le plein noués comme une évidence.
« Garry Davis est une fiction », mais le réel ne l'est-il pas aussi ?
Dans les mots flamboyants de Frédéric Aribit, dans les ondes sensuelles de ses phrasés poétiques, il y a aussi ce goût intense pour la beauté. C'est aussi ça que j'emporte avec moi.
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« Le rêve d'une vie n'a pas d'origine. »
« Nous ne sommes jamais qu'à la croisée exacte de tous les chemins possibles. Vous, moi, nous ne sommes jamais que carrefours. »

Je viens de terminer ce livre.

C'est tellement beau. C'est d'une telle douceur tout en étant si émouvant... poignant par moment.

En lisant, j'y étais. C'est tellement bien raconté que je me suis retrouvée complètement transportée. Cette brise légère, ces embruns qui montent de la surface de l'eau... cette chaude nuit d'été... cette odeur de calamars frits... les petits piments vinaigrés qui explosent en bouche... puis tout ce noir au fond... l'obscurité cosmique piquée d'étoiles. Et ces peaux qui se frôlent. Le sel des lèvres.
J'ai tout vu. J'ai tout senti.

J'ai aimé la mélancolie.
J'ai aimé la sensibilité et la justesse des mots.
J'ai senti ces blessures de la vie... ces déceptions. Ces contes de fée auxquels on nous fait croire dès notre plus jeune âge alors qu'on ne sait rien de la vie.
J'ai aimé me trouver dans certains passages.
J'ai aimé que ça parle de carrefours... de chemins qui nous échappent.
J'ai aimé que ça parle de rêves et de désillusions... mais tout en restant toujours beau.
J'ai aimé que ça parle de ces instants de bonheur - ces miettes de bonheur - que nous offre la vie... et qui sont d'autant plus beaux que l'on sait qu'ils auront une fin. Ces instants avec Julia, il voudrait les garder comme une raison de vie.
J'ai aimé sentir ce désir qui submerge, cette tension charnelle tellement palpable dans l'atmosphère.
J'ai aimé ces allers retours sur la vie de Garry Davis et puis sur cet homme, sur elle, Julia. Ils rythment tellement bien l'écriture.

« Tu écriras un roman sur moi. Tout s'affaiblit, tout disparaît. de nous, il faut que quelque chose reste.» Nadja, à André Breton... ou cet homme, pour Julia.
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J'aime parcourir les listes de livres proposés lors des opérations Masse Critique de Babelio, car je découvre des romans à côté desquels j'étais passée et qui me paraissent pourtant intéressants. Ça a été le cas pour celui-ci, car j'ai été très intriguée par le personnage de Garry Davis, dont je n'avais jamais entendu parler. Il est à l'origine du mouvement des Citoyens du Monde, et s'est battu toute sa vie pour abolir les frontières, persuadé que c'était la voix vers la paix. Comment ne pas être intéressé ?
Quand j'ai commencé ma lecture, j'ai été un peu perdue par le style de Frédéric Aribit, et surtout la narration choisie. En effet, toute l'histoire est rapportée par une seule voix, celle de l'homme, qui reprend les paroles de Julia, la jeune femme qu'il vient de rencontrer, et qui lui raconte Garry Davis, sur lequel elle écrit un roman. Par moments, emporté par ce récit, on en oublierait presque ce qui se joue entre l'homme et la femme, tellement l'histoire se centre sur Garry Davis.
Car il n'y a pas que lui au coeur de ce roman. Il y a aussi ces deux êtres un peu perdus, à des moments charnières de leur vie, et qui entrent dans un jeu complexe de séduction. Petit à petit, on s'éloigne de l'envie brute éprouvée par l'homme vis à vis de Julia, et on va vers une volonté mutuelle de découverte. C'est cette volonté qui va nous permettre de rencontrer Garry Davis, entre deux anecdotes de leur vie quotidienne, ou deux souvenirs.
Garry Davis est vraiment un homme hors du commun. Marqué par la guerre où il a perdu son frère, qui était aussi sa référence masculine, il consacrera sa vie à essayer de créer une paix durable pour notre planète et ses habitants, les Citoyens du Monde. Il a été au bout de ses idées, se retrouvant parfois dans des situations ubuesques voire mettant en péril sa santé. Cet homme a eu une vie incroyable, et il s'est battu pour ses idées sans jamais renoncer, et a tout fait pour convaincre le plus grand nombre. Il a au bout du compte établi plusieurs millions de passeports de Citoyen du Monde.
Par le biais d'une rencontre impromptue entre un homme et une femme, Frédéric Aribit nous fait découvrir un personnage hors normes. Tout au long du roman, on suit la pensée de l'homme, comme si on était dans son cerveau, avec ses digressions, et on découvre cette soirée qu'il veut graver dans sa mémoire, cette pure envie sexuelle qui se transforme en intérêt global, voire en amour ? Toute la tension, l'électricité qui passe entre ces deux êtres rythme la découverte de Garry Davis, dont la femme est passionnée au point de lui consacrer un roman. L'histoire de cet homme est prétexte à échanger des anecdotes personnelles, à faire plus ample connaissance.
Si j'ai dans un premier temps été déstabilisée par la narration originale de Et vous m'avez parlé de Garry Davis, je me suis rapidement passionnée pour la vie de Garry Davis, mais aussi pour la rencontre a laquelle on assiste en filigrane, rencontre passionnée dont on a envie de voir comment elle peut évoluer. La tension entre ces deux êtres est palpable à travers les lignes. Que se passera-t-il au bout de cette nuit passée à parler de Garry Davis ???
J'ai reçu la version papier de ce livre de la part des éditions Anne Carrière via une Masse Critique Babelio. Merci à eux pour l'opportunité.
Lien : https://leslecturesdesophieb..
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Bouclé le roman de Frédéric Aribit intitulé "Et vous m'avez parlé de Garry Davis".
Davantage roman au sens traditionnel d'ailleurs que "Trois langues dans ma bouche" dans son classicisme soigné, son écriture léchée, ses épanchements poétiques. Avec une double structure présent/passé, une double narration en décalé qui donne au texte une originalité indéniable.
Et puis dans son contenu le jeu du chat et de la souris du mondialisme et du localisme, qui semble la marque de fabrique de l'écriture d'Aribit, pour ce que j'ai à en connaître en l'état. La citoyenneté du monde, la mondialisation selon Saint laïc Davis, l'aviateur artiste, le doux utopiste un peu allumé, le pacifiste rongé par le remords des pertes civiles qu'il a provoquées dans un conflit qui a dépassé et compromis l'Humain, cette mondialisation-là, bienveillante et empathique, a piteusement échoué.
Celle du capitalisme néolibéral triomphant avec le soutien objectif du communisme chinois, par contre, a bel et bien terrassé toute éventuelle alternative.
Cela laisse augurer que, peut-être, la sécurité de la consommation de masse pourra se passer de la démocratie. Faire de cette dernière une vieille lune romantique sur fond de menaces climatiques, peut-être nous approchons-nous dangereusement de l'abîme orwellien ?
Restent évidemment cette histoire d'amour naissante, délicatement écrite, entre Julia et le narrateur, et puis ces deux pages consacrées à l'épisode jubilatoire d'Eglantine mais je ne vous en dis pas plus, en tout cas pan sur le bec, rageusement la Porsche s'éloignera !
Une Porsche, ça reste quand même beau à regarder et à écouter, non ?
Qu'en dis-tu ô cher lecteur ?
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Citations et extraits (6) Voir plus Ajouter une citation
INCIPIT
Le rêve d’une vie n’a pas d’origine. Il ne s’invente qu’à partir de soi-même. Sentez cette légère brise, respirez ces embruns qui montent de la surface des eaux et imprègnent non seulement l’air dont nous emplissons nos poumons, mais également nos cheveux, nos vêtements, si fins soient-ils, notre peau, le sel de nos lèvres auquel nous goûterons peut-être. Il est encore tôt et nous avons la soirée devant nous, la nuit qui sait, cette chaude nuit d’été qui s’annonce déjà dans l’agitation des planches de surf de l’afterwork, la sudation des premiers glaçons, et l’auréole bleutée des chiens qui s’ébrouent une dernière fois sur le sable avant de grimper, entre un matelas pneumatique et un crocodile en plastique, dans les berlines familiales. Ici, voyez-vous, dans cet endroit que vous découvrez pour la première fois, le long de cette jetée inouïe où nos chemins se croisent par hasard, se situe un peu de ma géographie intime, c’est-à-dire de mon histoire, tant il est vrai que l’espace-temps ne saurait dissocier ses coordonnées et que convoquer l’une, c’est assurément obliger l’autre.
Tel l’amour, le souvenir est stendhalien, n’est-ce pas ? Il cristallise et se dépose en nous à la façon de sédiments de cubes gemmes aux arêtes étonnamment uniques comme celles des flocons dans les microscopes ou les dessins d’enfants. L’un de ces cubes a pour moi la forme des rochers qui sont là, immémorialement travaillés par la truelle liquide de l’océan qui talochera bientôt le soleil, tout au fond, juste devant le rideau du ciel aussi bleu qu’un Magritte. Ce flacon de cristal, je le casserai plus tard devant vous, si vous m’en laissez le temps, je vous raconterai le fragment de vie que contient chacun des éclats à nos pieds si vous le souhaitez, et si vous n’allez pas rejoindre trop vite le groupe de vos amis qui nous surveillent depuis le bar tandis que les miens, à l’angle opposé, tentent parfois vers moi des œillades obliques et masculines qui rappellent ces anciennes complicités de caserne que, pour mon plus grand déplaisir, j’ai eu le temps de connaître.
Vous êtes plus jeune, vous ne savez pas ce que c’était, pour les garçons à peine entrés dans l’âge d’homme, cette humiliante épreuve de testostérone brute et d’obéissance bête. La plupart des copains, après avoir picolé ou avalé des tubes d’anxiolytiques des jours et des nuits, s’étaient fait réformer P4. Certains avaient joué les objecteurs de conscience quand d’autres, les plus durs, refusant de reconnaître une quelconque autorité de l’État sur leur personne, s’étaient déclarés insoumis et avaient tranquillement attendu chez eux que les gendarmes viennent les cueillir un matin pour les conduire en prison. Ici, vous savez, dans ce coin de Pays basque, on est assez rétif au drapeau tricolore, et Marianne ne fait pas rêver, même sous les traits avantageux d’une Laetitia Casta. Langue, culture, traditions, on entend fièrement tenir l’Hexagone en respect, et j’ai grandi entouré d’amis qui, dès le plus jeune âge, se sont forgé du concept de nation une idée qui vous étonnerait sans doute, et dont la formule mathématique s’est longtemps affichée sur les murs : 4 + 3= 1. Quatre provinces basques du Sud, soit du côté espagnol, plus trois provinces basques du Nord, soit du côté français, qui ne font qu’un seul et même pays.
Je vous vois sourire.
Vous dites qu’on ne peut lire un pays qu’aux livres qu’il inspire et aux graffitis sur ses murs.
Pour ma part, je vous l’avoue, tout en les admirant en secret, je n’avais pas eu leur courage mais je m’en moquais, j’étais ailleurs, j’étais jeune et amoureux, je durcissais ma cuirasse à coups de livres que je dévorais. J’étais, dans cette triste parodie militaire, comme ce fou monté sur les tranchées pendant la guerre de 14 et qui dirigeait les obus tel un orchestre au-dessus de sa tête – inatteignable. Après avoir appris le garde-à-vous, le rangement réglementaire du régiment en couverture tuilée, le montage-démontage du Famas, j’avais joué quelques jours à la guerre dans la forêt de Rambouillet, le visage noirci au bouchon brûlé, ne riez pas, il fallait marcher des kilomètres à l’aube avec un paquetage de sherpa sur le dos, la nuit le thermomètre descendait en dessous de zéro, nous grelottions, le paletot idéal, dans nos couvertures trouées, sans pouvoir trouver le sommeil, et soudain une grenade à blanc explosait dans un trou de terre pas loin, ça se mettait à gueuler partout en même temps que c’était la guerre, réveillez-vous, gorets de base – c’était le nom que l’instructeur, le lieutenant Rampillon, nous avait trouvé, gorets de base –, mais la guerre c’était pour de faux, alors nous faisions semblant aussi pour que ça passe plus vite, qu’on nous fiche la paix, et que je puisse sous la tente reprendre mes Lettres d’amour d’un soldat de vingt ans, de Jacques Higelin, à la lumière vacillante d’une lampe torche.
Après les classes, j’avais été versé dans la musique, comme la plupart des élèves de fin d’études des conservatoires parisiens. La vareuse impeccable, le plastron droit, le fourreau ajusté, nous rallumions chaque jour la flamme du soldat inconnu à 18 heures sous l’Arc de triomphe, jouions des hymnes pour les réceptions officielles de chefs d’État ou pour les matchs de foot, levions pour toute la caserne le drapeau à l’aube, puis répétition ininterrompue de Sambre-et-Meuse qu’on massacrait en feignant d’oublier les dièses et les bémols. Le capitaine Revol prenait ça très au sérieux, finissait par nous simplifier la tâche en nous demandant de ne pas jouer les altérations dans un premier temps, on les ajouterait progressivement, l’une après l’autre disait-il, s’imaginant pédagogue, en finissant par les accidentelles, alors cela tournait bientôt en un grotesque carnaval sonore, une inaudible bouillie de clique dégorgeant de la mascarade de nos treillis que nous quittions enfin, vers midi, pour retourner chacun vers les pupitres de nos orchestres respectifs où Ravel et Tchaïkovski nous attendaient, dans les frémissements d’archet des jolies violonistes que nos cuivrailles tondues effrayaient.
Il y a, dans les orchestres symphoniques, toute une société en puissance et des révolutions d’alcôve, du premier violon jusqu’au triangle, toute une hiérarchie muette de castes et de sang, noblesse capitale des cordes, provincialisme bourgeois des vents où couvent des crimes chabroliens, prolétariat rural des cuivres, mais aussi, du violon à l’alto, de la flûte à la clarinette, de la trompette au tuba, toute une structuration tacitement decrescendo de raffinement et de bon goût que la fanfare militaire du matin abolissait dans la joyeuse cacophonie de nos uniformes kaki.
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Vous avez raison, l’histoire d’une vie ne commence pas à la naissance. Jamais. De sorte que vous raconter à mon tour le long cheminement qui nous ramène à ces premiers cris oubliés dans une maternité de Bayonne ne nous avancerait pas, à quoi bon. Il n’y a pas d’origine, non, rien n’a d’origine que celle qu’on se choisit. Pas même notre rencontre, ici, dans ce bar de Guéthary où nous nous apprêtons à vivre la parenthèse d’une soirée estivale qui s’est ouverte sur un pied malencontreusement écrasé devant le comptoir et qui se refermera bientôt, quand vous rejoindrez vos amis et que votre jupe, votre débardeur blanc avec la bouche rouge des Stones s’évanouiront, tel le mirage soudain dissipé d’une fontaine où boire en plein désert,
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Je vous raconterai cette Saint-Patrick à Dublin, un mois auparavant, Revol avait annulé toutes les permissions, avait lui-même dessiné, pathétique Béjart d’ordonnance, les évolutions sur Le Vol du bourdon, qu’il nous avait personnellement fait répéter, juché sur une haute chaise d’arbitre de tennis au milieu du terre-plein, pendant des semaines, un pas à gauche, un pas à droite, en avant ceux-ci, en arrière ceux-là, les pavillons des trompettes bien hauts vers le ciel, pendant que les coulisses des trombones binaient le sol comme Aititxi, mon grand-père, avait longtemps fait accroupi sur les salades du jardin à Itxassou, à la huitième mesure vous inversez, les gars, en avant ceux-là, en arrière ceux-ci, respectez les écarts, plus souple le soubassophone, et l’on se bousculait dans la cour de la caserne, sous le regard narquois des autres contingents pas mécontents qu’ils en chient aussi un peu, ces planqués de la musique, on se heurtait, quilles malhabiles, sur le bourdonnement poussif des doubles croches de Rimsky-Korsakov dont notre chorégraphie balourde écrasait l’envol, et puis le jour J était arrivé, la fanfare entière avait pris le train pour Calais, le ferry pour l’Irlande, on s’était retrouvés en pleine fête nationale, au milieu des drapeaux et des rousseurs de stout, ridicules compétiteurs dans leurs habits militaires défilant dans les rues dublinoises, nos fanions tricolores dressés, pour l’honneur national, au milieu des majorettes en petits justaucorps roses qui paradaient de plaisir devant leurs familles endimanchées.
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Mais voici que je déroule ma vie, pardon, ces souvenirs sont dérisoires et vous me laissez gentiment parler. Voyez-vous, j’ai longtemps traversé, immunisé, les époques les plus vides de mon existence avec un sentiment d’imminence, la certitude que quelque chose viendrait, que quelque chose m’attendait qui serait enfin à la mesure du désir que je sentais en moi, de cet irrépressible nœud qui s’était formé très jeune dans mon ventre et que j’avais longtemps senti grossir, et puis rien n’est venu, tout est passé, et le nœud sans doute s’est défait, il a fallu composer, se résoudre souvent, abandonner parfois.
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Je vous raconterai peut-être cet aller-retour en bus militaire jusqu’à Rome, une bonne vingtaine d’heures dans cet effrayant tape-cul bleu gendarme, nuques roides qu’aucun appuie-tête ne soulageait, jambes atrophiées repliées sur elles-mêmes, longue mise à l’épreuve de nos patiences serviles et des piles de nos walkmans où Supertramp crachait sa Logical Song et ses veg’tébolz, et nous étions enfin descendus devant l’immense monument Victor-Emmanuel II, avions tout juste eu le temps de faire trois pas pour nous dégourdir un peu, il fallait vite enfiler nos costumes de parade, récupérer nos instruments dans la soute, le chef levait déjà les bras pour l’anacrouse, deux, trois, Allonzenfants, fa fa fa si bémol, c’était la gloire des nations, le clairon des fières dates, les embrassades officielles pour je ne sais quelle commémoration de je ne sais quel traité de paix qui avait suivi je ne sais quel indispensable massacre de je ne sais quels hommes et femmes et vieillards et enfants, et La Marseillaise s’achevait bientôt en une ultime bravade sonore, les dernières notes claquaient encore contre l’imposant marbre blanc de la réunification italienne, messieurs dans le bus, nous rentrons à Paris.
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