Dans le scriptoriumPaul Auster
texte intégral traduit par
Christine le Boeuf
roman illustré par
Astrid Belvezet, 2020
L'autre Regard éditions
le livre est beau, d'une présentation très soignée (avec d'inévitables coquilles, j'en ai repéré deux) Les dessins sont disposés de façon toujours neuve. Ils représentent des objets, des lieux, le personnage principal. Ils sont nets, ou flous, ou décomposent le personnage principal, reproduisant sa marche traînante, ou la difficulté qu'il a à faire des efforts. le personnage en est comme robotisé. Ils représentent aussi son cerveau qu'il concentre puisqu'il veut répondre à des questions qui l'obsèdent. Par exemple : où il est, ce qu'il fait là, qui il est, pourquoi il se sent coupable et en même temps victime d'une injustice. En revanche, il ne vérifiera pas, alors que la chose est facile, si la porte de sa chambre est fermée ou pas. Mais il prend des médicaments qui le fatiguent et le rendent malade.Le personnage est relativement vieux, entre 60 et 100 ans ; cependant son pénis, Fier-à-bras, est toujours gaillard. On reconnaîtrait parfois dans les dessins du personnage les traits de
Paul Auster. Les pages avec leurs petites crénelures peuvent être prises pour des photos ou des radios.
Ce personnage, qui est en pyjama rayé dans une chambre, enfermé ou pas, en tout cas surveillé puisqu'un appareil photo, placé au plafond, en prend une toutes les secondes, portera le nom de Mr Blank, comme une page blanche, ou annonçant le vide qui s'emparera de son cerveau, ou même lui déniant tout patronyme, puisqu'il est devenu un personnage au même titre que ceux qui entrent dans sa chambre, et qu'il a du mal à reconnaître. Ce qui est sûr, c'est que ses personnages ont souffert et qu'il risque donc de souffrir aussi. L'auteur est par conséquent responsable de ses personnages.
L'auteur peut ainsi nous montrer comment on fabrique une histoire. le personnage, dont on ne sait pas qu'il est un écrivain, est devant deux manuscrits ; le premier est inachevé, écrit par un jeune homme, c'est le vieux Mr Blank (dévoilant ainsi son habileté à écrire) qui va le terminer, en présentant plusieurs hypothèses et en ne gardant que celles qui ont de l'intérêt pour un lecteur, malgré qu'en ait l'auteur. Il est dans un espace clos, et le voilà parti en mission, pour les besoins du livre en train de s'écrire, à l'autre bout de son pays, en envisageant avec lucidité tous les enjeux de cette mission, dont le but est de fournir un prétexte aux Etats-Unis, tels que le temps ne les change pas, pour déclarer une guerre. le second relate ce qui est en train d'arriver à Mr Blank . Il raconte sa première journée d'enfermement. On retrouve ainsi les trois unités, temps, lieu, action, même si l'action est limitée, celle d'un homme en proie à la sénescence, celle d'un homme qui rédige ou des rapports parce qu'il faut rendre compte de la réalité telle qu'elle est ou qui écrit un livre invitant dans ses pages un réel à venir ou une fiction qui ramène au réel.
le livre est un plaisant jeu littéraire, qui nous fait passer du scriptorium à la bibliothèque. C'est un huis-clos à l'intérieur de la tête de
Paul Auster, où l'on voyage dans ses livres, un huis-clos parfois oppressant -que veut-on à la fin à ce vieil homme-, mais que des interventions féminines et des sensations d'enfance adoucissent. Les illustrations et la forme du livre, lourd et solide comme comme un livre relié, ou un livre de luxe, ajoutent au plaisir.