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EAN : 9782930607986
280 pages
Les Carnets du Dessert de Lune (05/11/2018)
3.98/5   20 notes
Résumé :

Réédition augmentée de 11 inédits et d'une illustration en couverture de Georges Rubel d'un livre paru en 1990 aux éditions Le Dé bleu, puis en Folio en 2005. La densité d’écriture, la petite musique du styliste qui joue de l’humour noir et de la dérision, voire du fantastique, ajoutées à la force de ses évocations, classent ses textes dans le registre de l’expression poétique que l’auteur, d’ailleurs, affirme première pour lui, et fondatrice. Au demeuran... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (5) Ajouter une critique
Pierre Autin-Grenier - Les Radis bleus. Couverture : Georges Rubel L'apprentissage de la solitude. Réédition augmentée de 11 inédits. Les Carnets du Dessert de Lune. Collection Pleine Lune. Novembre 2018. ISBN 9782930607986. 20 €

Né à Lyon, Pierre Autin-Grenier, est mort au printemps 2014, à l’âge de 67 ans. Partageant sa vie « bien ratée » entre sa ville natale et de longs séjours dans le Vaucluse, il s’est illustré dans l’art du fragment et du poème en prose, égrenant fulgurances et aphorismes ravageurs. Son humour noir et son pessimisme pourraient sans forcer le trait faire voir en lui un épigone de Cioran mâtiné d’un Léautaud amer mais ce serait ignorer son rapport vital à la nature et à la solitude féconde. S’il cultiva « le désastre d’exister », « l’attrait du vide », et vitupéra « le carnaval tragique » de la vie en société, il travaillait inlassablement sa phrase, même en s’escrimant à ne rien dire : « l’inutile tout entier nous requiert ». Le recueil Les radis bleus est un journal d’éphémérides tenu pendant une année, d’un 17 janvier au 16 janvier de l’année suivante. Publié une première fois au Dé bleu en 1990, l’ouvrage a été réédité par Gallimard en 2005. Cette nouvelle édition est augmentée de fragments retrouvés. Ecriture du désenchantement, non de l’indifférence, qui dissimule, derrière des facéties verbales et des provocations intempestives, un mal de vivre qui remonte aux brimades et frustrations de l’enfance…
Le titre renvoie à une espièglerie des parents faisant « miroiter l’extrême douceur » de la confiture de radis bleus. Restait pour l’enfant à en dénicher le pot caché ! Par l’écriture, nous dit l’auteur : «En somme, je continue ma quête. » Quête sans objet palpable : « une urgence de l’inutile », le « RIEN » qui résume tout ! Mais l’exercice n’est pas sans risque et l’auteur en a conscience, tenaillé par « la peur d’éveiller les monstres ». Il sait bien qu’écrire est à la fois une quête et une fuite : « Ecrire n’est pas vivre, c’est un refuge. » Il pousse le pessimisme au paroxysme mais en tire un principe fondateur : « On devient poète à force de se taire […] Consolation de savoir cette attitude autrement décente que d’aller, avec le troupeau, se rouler dans la poussière pour tromper l’inexistence. » Misanthrope, ô combien, l’auteur se tient à l’écart des hommes, « tellement fielleux et perfides, experts en sournoiseries et roublardises de toutes sortes. » Ce solitaire, on ne s’en étonnera pas, tient les fins de semaine en horreur. Il nous le confie avec une expressivité provocatrice : « un dimanche salissant vient à nouveau de s’écraser lourdement contre la vitre. » Mais à ces considérations paroxystiques ou sombrement nihilistes traitées en infinies variations, l’auteur ne se limite pas. Il observe les animaux, les fleurs, les arbres, les moindres signes du remuement et du bruissement en pleine nature. Si ce parti pris des choses ne constitue pas pour autant un éloge du vivant, il traduit une sensibilité, sans doute refoulée ou tenue à distance sur le mode de l’autodérision, mais qui n’en est pas moins vibrante. Autin-Grenier célèbre volontiers la fleur, l’oiseau ou le brin d’herbe, « la perpétuelle apothéose du printemps ». Tel Lacarrière, il s’émerveille : « chaque jour vaut d’être surpris. L’enchantement. ». Sans édulcorer le réel dans toutes ses composantes, il note, malicieusement trivial : « Fabuleux printemps : même la merde est en fleur. » Source originelle de toute voix intérieure, l’enfance… Il remonte son fleuve, le décrypte en termes rudes ou délicatement lyriques, « orpailleur infortuné d’une jeunesse enfuie. » A s’arracher la langue chaque jour, il trouve sans chercher, esthète ou révélateur du « côté rafistolé des choses ». Autrement dit, « le poète bricole dans l’essentiel » !
Autin-Grenier, styliste exigeant, « minimaliste », revendique l’usage intensif du dictionnaire pour saisir le mot juste, aiguiser perpétuellement le sens, remettre en question l’idée première : « douter de tout ; voilà l’urgence extrême. » Sans se sentir au-dessus de la mêlée, ni capable de tout élucider, il raille : « la prétention de la lourde bestiole humaine à vouloir percer les délicats mystères ! Ainsi, lentement, l’éloquence de nos certitudes nous tue. C’est parfaitement désorienté qu’il faudrait pouvoir s’admettre. Nu ». Voix singulière d’un poète prosateur qu’on a plaisir à redécouvrir, perpétuel intermittent en sursis, pirouettant au-dessus du vide, balançant entre Lyon et Vaucluse, « du polyglotte au troglodyte ».
© Michel MÉNACHÉ in Revue Europe N°1080

PIERRE AUTIN-GRENIER, disparu trop tôt, nous revient grâce à la réédition augmentée des Radis bleus (Les Carnets du Dessert de Lune). Ouvrage remarquablement ciselé, selon un calendrier qui scande les notations poétiques d'un amoureux des mots, dont le ton décape, dont les images recèlent une puissance d'imagination et de pensée féconde, souvent acide, pessimiste, aux accents désespérés d'un quotidien frôlé, mâtiné de Schopenhauer ou de Cioran. Le poète empoigne le réel comme il le fait au propre, usage d'une brouette à ras bord d'énormes blocs de pierre. Celui qui consigne écrire n'est pas vivre a ce côté pessoéen de désespérance intime, lui qui s'escrime à dissimuler honteusement sous le masque le fond vrai d'une âme en déroute.

Mercredi 6 avril
Saint Marcellin
Au départ il était polyglotte. Accablé puis débordé par l'intarissable bavardage humain, bien vite il devint troglodyte.

Jeudi 28 juillet
Saint Samson
Tout ce que je sais du chien, je l'ai appris du chien ; tout ce que je sais des homme, je l'ai appris aussi du chien.
© Philippe Leuckx in Le Journal des Poètes, N°1/129 extrait de "Poésie Panorama"

J'avais lu en 2009 la version folio des Radis bleus de Pierre Autin-Grenier. Est sorti en Novembre 2018 cette version augmentée de 11 inédits de chezLes Carnets du dessert de Lune (éditeur Belge), avec une illustration en couverture de Georges Rubel, une occasion de redécouvrir cette plume et ce recueil bien intéressant. J'avais un peu oublié de vous en parler ici. Je rattrape aujourd'hui cet oubli et recycle mon article de 2009 pour réveiller les souvenirs de ma première lecture.
"Le temps qu'il faut pour faire une phrase ! S'imaginer capable d'en faire une chaque jour ... Délire d'orgueil ! Folie de poète, peut-être..."
Et c'est cette entreprise folle que Les radis bleus retrace, un an de pensées, d'éclats et d'anecdotes... Se loge dans le journal poétique de Pierre Autin-Grenier (1947-2014), publié pour la première fois en 1990, beaucoup de mélancolie, car il y est question assez souvent de fin de vie et de douleur. On devine, au détour d'une page, la perte d'un enfant sans doute ; le désir en tous les cas d'une vie retirée, paisible.
Malgré quelques répétitions de thèmes, dues très certainement au genre utilisé, j'y ai trouvé de bien jolis morceaux d'écriture, des réflexions sur l'utilité des poètes et de la poésie aujourd'hui, de l'ironie. A découvrir sans tarder pour les amateurs de poésie ! Thomas Vinau parle de cette nouvelle édition ici.

Quelques extraits...
"Mardi 29 mars - Sainte Gwladys - Il y a comme quelque chose d'inépuisable et d'inachevé dans tout poème. Quelque part un mot console et épouvante, surprend parfois ; mais toujours fait signe et nous appelle. Invite à poursuivre l'immobile voyage.
Surgit soudain l'idée du sang, sans qu'on puisse l'attribuer en bonne raison au poème seul. Ou bien s'exhale une odeur ancienne de buanderie, qu'accompagne aussitôt le souvenir fragile de vieilles lessiveuses en ferblanterie. D'autres fois, c'est un ciel du même bleu que la nostalgie qui doucement se découvre, et vous porte à rêver...
Ainsi le lecteur affranchi peut-il prendre sa propre part à l'existence même du poème. Parce que loin de contraindre et d'enfermer dans le mot, la poésie - toujours - tient les portes de la vie larges ouvertes."
"Dimanche 3 avril - Pâques - Jamais nous ne mettons de nappes sur la table. Toujours nous la tenons bien cirée, brillante et lisse. C'est dommage, parfois, cette absence de nappe. En en soulevant un coin on pourrait en effet facilement voir, par en dessous, les jours passer."
"Vendredi 25 Novembre - Sainte Catherine - Rien n'est plus simple que le linge qui sèche sur le fil tendu entre le cerisier et l'acacia. La mésange qui se pose, légère, à côté des serviettes à carreaux rouges et bleus a tout compris. Et la voilà qui s'envole avec le vent faisant un instant vraiment bouger la vie.
Le front contre la vitre, l'œil loin au-delà, on prend ainsi l'exacte mesure du temps. Toute gesticulation devient vite dérisoire quand on sait le discret travail de l'arbre, l'infinie persévérance des hautes herbes, l'ombre qu'il faut encore au jour pour lentement devenir la nuit.
Ils ne savent pas, ceux qu'une telle sagesse porte à sourire, quelle rare patience réclame chaque aube nouvelle et que vouloir forcer l'allure ne mène jamais nulle part."
"Samedi 31 décembre - Saint Sylvestre - Minuit, je jette un truc complètement cassé dans un lit en cage de fer et finalement le truc y trouve un sommeil qu'il voudrait sans réveil. C'est moi."-
Recueil à commander sur le site de l'éditeur ici
© Les lectures d'Antigone,
https://leslecturesdantigone.wordpress.com/2019/02/20/les-radis-bleus-de-pierre-autin-grenier-nouvelle-edition-augmentee/

Cette nouvelle édition des Radis bleus, la 3° augmentée et définitive, remet sur le devant de la scène l’incontournable Pierre Autin-Grenier, styliste de haute volée et, selon Patrick Kechichian, « impeccable manieur de langue ». Disparu en 2014, cet auteur ne cesse d’exercer une influence auprès de quelques francs-tireurs des nouvelles générations comme Thomas Vinau ou Frédérick Houdaer par exemple.
Dans ce livre, chaque jour d’un hypothétique calendrier intemporel est scellé par une prose poétique ou par un aphorisme dans la remarquable diversité d’un réalisme époustouflant. Toute la force et tout le talent de PAG résidait dans cette faculté rare d’entraîner le lecteur dans un univers d’une noirceur extrême mais qui, malgré tout, réservait un strapontin à l’émotion. C’était là toute l’habileté de l’auteur de laisser un mince espace qui aimantait le lecteur comme par envoûtement. On a suffisamment évoqué à ce sujet l’art subtil de l’autodérision et la mise à distance d’une époque, époque qu’il exécrait, pour ne pas en rajouter une couche. Lui qui savait, preuves à l’appui, que « toutes les questions sont inutiles et les réponses fausses », savait évoquer « ces monstres intérieurs qui remuent en nous d’anciennes misères » surtout celles qui remontent vers l’enfance. Il n’oubliait pas de rappeler que « l’on devient poète à force de se taire » tout en sachant que les poètes encombrent bien plus quand ils ont disparu que lorsqu’ils sont vivants. PAG en est la preuve vivante. Raison de plus pour le lire et le relire.
© Georges Cathalo in Texture

Après une première édition au Dé Bleu en 1990 et une réédition augmentée en Folio en 2005, voici probablement la version définitive de ces excellents radis bleus dont je ne me lasse pas : recueil de textes courts finement ciselés écrits au jour le jour qui forment une formidable rivière de diamants. Si vous ne connaissez pas l’œuvre de Pierre Autin-Grenier (1947-2014), voici l’occasion de la découvrir.
© Eric Dejaeger in http://courttoujours.hautetfort.com/

Il suffit que je lise / quelques vers de Pierre Autin-Grenier / et je ne reconnais plus / l’intérieur de ma maison / l’espace de dix minutes / le temps d’être passé / chez le boulanger / d’acheter mon pain / de rentrer chez moi / et de constater à la place / de la télé un palmier / et là où est normalement mon ordinateur /un pont en ferraille / datant de plus d’un siècle.
Les lecteurs les plus attentifs de ce site auront reconnu dans cet hommage le tour de main de Thierry Radière tel qu’on l’a découvert il y a peu (Repérage du 3 janvier 2019 dans son Abécédaire poétique. Pierre Autin-Grenier (1947–2014) est décidément de ceux qu’on n’oublie pas, et malgré les dénégations qu’il a élevées par avance, il n’est pas loin d’être notre héros.
Sa trajectoire aura été de celle dont rêve tout petit poète : partir de rien (de presque rien), de l’édition minuscule et artisanale, et du monde des revues (ces chroniques dans Décharge, des années 1987 – 89, furent les galops d’essai – peu retouchés en définitive - de ce qui deviendra Radis bleus, en 1991 au Dé bleu) au piédestal Gallimard et la reconnaissance de la critique littéraire, après le sérieux coup de pouce que lui accorda Martine Laval dans Télérama.
Avec la réédition (augmentée une douzaine d’inédits, rassemblés grâce à Georges Cathalo des Radis bleus aux Carnets du Dessert de Lune, éditions qui lui sont d’une exemplaire fidélité, Pierre Autin-Grenier fait à nouveau l’actualité et Jacques Morin se fait l’écho sur le site Texture de cette formidable botte de mini-pamphlets à déguster chaque jour de l’année. Je renvoie à ses appréciations. Et je me contenterai d’arracher une page de l’éphéméride ...
© Claude Vercey, Blog de Décharge, janvier 2019
Mardi 31 mai Visitation
Dès l’ouverture du bar voisin, coude au comptoir, boulanger et pharmacien jouent la journée aux dés. Par la porte entrouverte des toilettes on aperçoit un hypocrite à perruque blonde qui, avec une nonchalance très affectée, rajuste son faux nez. Faits et gestes froissés à même la table, un journal d’avant-guerre tente encore d’attirer l’attention sur la mort étonnante d’Aragon. Des balayeurs s’installent dans l’odeur encourageante du saucisson et réclament des chopes de bière qu’on leur sert aussitôt avec une immense tendresse. Il y a déjà quelques passionnés de rami ; aussi deux vieux messieurs en cravate à rayures. On voit passer dehors, pressée, une voiture pleine de pompiers ...
C’est alors qu’entre un homme en complet-veston qui exige en hurlant qu’on lui donne un revolver. Cependant qu’abandonnée par ses parents une petite fille à tête de thon regarde tout cela avec étrangeté.

Pierre Autin-Grenier (1947-2014) est l’auteur d’une vingtaine d’ouvrages (proses poétiques, nouvelles, récits) dans lesquels on trouve beaucoup d’humour, de révolte et de rage de vivre. Des allusions à l’anarchisme apparaissent ça et là. Les Radis bleus est écrit sous la forme d’un journal. L’auteur, désabusé mais pas désengagé, y règle ses comptes avec l’enfance et le monde qui va mal.
© LA FEUILLE D’INFOS DU CIRA 12 JANVIER 2019

Je lis « Les radis bleus » de Pierre Autin- Grenier. Je découvre quelques-uns d’entre eux. Dont certains que j’ai oubliés, plus une douzaine d’inédits, rassemblés grâce à Georges Cathalo. Mais en fait je relis la plupart d’entre eux que je reconnais avec un mélange de plaisir et de nostalgie, les ayant choisis et tapés à la machine, entre autres dans les années 87-89, (lorsque PAG était chroniqueur à la revue Décharge), avant qu’ils ne soient recueillis d’abord au dé bleu en 1991, puis chez Folio en 2005.
Un « radis bleu », c’est une éphéméride littéraire qui formellement peut aller de l’aphorisme ciselé à la page composée idéalement de trois paragraphes, balancée comme un syllogisme. Le fait est que relire et lire l’auteur à présent qu’il est mort depuis quatre ans n’a plus le même goût, dans le sens où la noirceur qu’il évoque et qui irradiait un côté vachard, insolent et narquois de son vivant a perdu de son ironie. Lui qui a tellement bravé la camarde se trouve à terre pour le compte. Et l’écriture qu’il maniait avec tant d’élégance ne lui sert plus de piège subtil contre le malheur. Cela fait d’autant plus mal de le relire aujourd’hui. Il s’est trompé cependant sur la certitude que son œuvre verserait aussitôt dans l’oubli au lendemain de sa disparition. ... « de notre petite vérité, il ne restera rien ; nulle part. » Puisque fort heureusement ce volume où sont consignés 365 radis bleus constitue bien la preuve du contraire et offre une formidable botte de mini-pamphlets à déguster chaque jour de l’année. Ces écrits « datés » du saint du jour sont en réalité pour la plupart intemporels. Rares sont ceux qui s’appuient sur un phénomène saisonnier ou une actualité du moment. Ce qui ne fait qu’accroître l’impression immédiate de « petit bijou » à la lecture de chaque texte.
L’écriture de PAG en effet devenait classique au fur et à mesure de son jaillissement. Il y demeure un côté désuet et charmant, comme s’il en était resté au XIXème siècle, ainsi ne sont évoqués que « carriole » et « charrette » pour tout moyen de transport. Et sa poésie revêtait instantanément cette même patine due au temps, ce qui lui conférait justesse et rigueur d’équilibre, alors que le propos grinçant, précipité lourd d’humour noir, demeure éminemment moderne dans ses effets caustiques.
Toute son œuvre est inscrite en pointillés dans ce premier opus. On peut y relever les titres qui couronneront plus tard ses livres de poche. Comme des départs de pistes, ou germes de volumes plus importants. « L’éternité n’est qu’un leurre » est-il écrit d’abord, et plus loin, le titre lui-même... :« L’éternité est inutile » ; Ou bien « …tout est toujours raté » pour « Toute une vie bien ratée »… par exemple.
Des phrases d’orfèvre comme « Toute la nuit cent mille réveille-matin ont marmité à gros bouillons dans ma tête pour mieux m’empêcher de dormir »… ou encore : « …on a chiné des bribes de souvenirs aux brocantes de l’aube… » montrent bien la qualité de prosateur alliée à l’inventivité du poète, pour lequel il écrivait ce paradoxe génial et pertinent qui lui convient parfaitement : « Le poète bricole dans l’essentiel. »
© Jacmo in http://revue-texture.fr/les-lectures-de-jacmo-2018.html#pag

« Être heureux, quelle corvée ! »
SUR LES RUINES DE SON ENFANCE, PIERRE-AUTIN GRENIER, DÉCÉDÉ EN 2014, POSE LES RACINES DE SON ÉCRITURE. LES RADIS BLEUS EST ENFIN RÉÉDITÉ.
Prince sans rire de la forme brève, selon les jours, quelques phrases par-ci, par-là un grand maximum de deux pages (faut tout de même pas exagérer), Pierre Autin-Grenier, dit PAG, nous revient d’outre-tombe avec ses Radis bleus, une sorte de journal, publié par bouts dans des revues, puis au Dé bleu en 1991, édition aujourd’hui augmentée de onze inédits aux Carnets du Dessert de Lune – toute une aventure.
Lire et relire cette prose douce-amère, mix de pensées noires ou délicates voire farfelues, enrobées tantôt d’humour tantôt de détresse, c’est faire provision d’intelligence, si, si ; c’est honorer un rendez-vous avec ce phrasé qui fait tilt, sonne clair et à fond ; c’est comme retrouver un vieil ami, un peu perdu, un peu lointain, et avec qui la conversation comme par magie reprend de plus belle, à l’instant, sans anicroches, sans faux-semblants. L’éplucheur de mots pose ses valises de regrets, se met en vitrine et ne fait que nous renvoyer à nous-mêmes, à notre triste condition humaine, nos traumas de jeunesse et nos échecs à trouver une place dans le grand cataclysme d’aujourd’hui.
Indécrottable décrocheur de lune qu’il fut, ou plutôt qu’il est tant il est toujours présent, PAG va comme un cabri, saute le calendrier d’un jour à l’autre, d’un saint Robert à une sainte Marguerite en passant par une FêtNat, s’entiche d’un rien, se raille de tout, la vie, la mort, l’abandon. Il apostrophe l’écriture, cette vacharde (« Le temps qu’il faut pour faire une phrase ! »), s’attendrit sur des cailles rôties, les jambes des femmes, un pot de
rouge, la promesse d’un printemps. Le grand paresseux devant l’éternité (qu’il juge inutile) se plaît à ne rien faire, lui seul sait contempler les heures passer « à reculons ». Le passionne « simplement, comme ça » le temps qui passe : PAG ambitionne le néant puisqu’il ne fut désiré de personne. Toujours, il se la joue goguenard, use et abuse de l’élégance de la dérision. S’il cède à quelques aveux, ce n’est pas pour rigoler : « J’écris comme je peux ; je vis comme si je pouvais. » Le Lyonnais chaloupe et nous fait chavirer d’un bord à l’autre de sa
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Sur une année, de janvier à janvier, l'auteur s'emploie à écrire des textes poétiques plus ou moins longs, plus ou moins concentrés et ayant pour titre le saint du jour. Ainsi a-t-on l'impression de voir défiler le temps, obsession de l'auteur, et à chaque jour son déferlement de poésie. Parfois la méditation tient en une phrase, parfois en une page ou deux, guère plus. Au premier abord, on a l'impression de lire un journal intime, fait de « fusées » mais la lecture se fait pénétrante, profonde ; l'anodin devient merveilleux, la transformation du quotidien est distillée par les mots, simples, mais subtilement associés pour créer un univers particulier rempli de sonorités, allitérations et assonances nombreuses. Il en ressort, de ces tasses ébréchées, de ces paysages d'hiver, de ces recherches du temps qui se perd, une oeuvre ténue qui marque pour longtemps. S'y ajoute aussi une touche d'humour, ironie que l'auteur tisse avec l'existence :
Les soirs, seul, on deviendrait vite romantique, pour un verre de vin rouge. (Jeudi 28 avril Sainte Valérie , p.107)

Où, souvent, l'humour noirci :
A quoi bon se pendre, alors qu'il suffit de patienter un petit moment pour mourir dans des draps propres ? (Mercredi 23 novembre, Saint Clément, p.282)

Ou au 1er Novembre :
Avons fait le tour des tombes. Tous nos morts se portent bien. (261)

Tout, dans cet ouvrage, semble personnifié, les saisons, les objets, le temps, la mort et c'est comme un jeu d'en parler, d'évoquer l'implacable, la légèreté des oiseaux (ils reviennent souvent), symboles de la vie présente seule digne d'intérêt car le passé est mélancolique – les brimades d'enfant mènent à l'anarchisme, prégnant dans ce livre - et l'avenir plus qu'incertain, ou plutôt, rapproche encore de la mort.
le « pittoresque de l'existence » est ainsi rendu et il part de rien, d'un trou dans les chaussettes jusqu'au questions existentielles où il vaut mieux tenter de répondre à ses propres questions qu'aux questions des autres (301).

Bref voilà un détour poétique qui le mérite, que l'on effeuille lentement pour mieux laisser résonner (raisonner?) ces constructions de phrases simples et profondes.
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Originaire de Lyon, Pierre Autin-Grenier publie son journal "Les radis bleus" en 1991. Entre aphorismes, textes intimistes et poèmes en prose, l'écrivain français raconte avec pudeur, patience et humour, l'amitié, l'amour, la solitude, la mort. Mais aussi les saisons, les arbres, les oiseaux en mélomane de la nature. Une nature qui s'effrite, qui s'use sous les assauts des hommes.
Dans ce journal, l'auteur joue avec les mots ; il écrit comme il plante un arbre, avec patience. Il construit un pont entre la ville et la campagne, entre l'homme et la nature. Il prévient que le progrès mal conçu est destructeur. Il est le témoin d'une société qui se détachent de ses valeurs. Malgré tout, il y a de très beaux passages sur le bonheur, le merveilleux.
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Entre solitude et contemplations , le temps prend forme et demeure le thème absolu de ce journal au cours duquel le poète nous donne à voir sa vision du monde. de son intériorité à l'agitation absurde du dehors, en passant par la fenêtre, d'acrobaties en ralentis, il purge un passé pour ne garder que l'instant où seul le rien devient essentiel. le quotidien, les saisons, les objets et les oiseaux défilent jusqu'à ce que " L'oubli et l'inutile nous emportent".
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Je ne suis pas allée jusqu'au bout... ce livre m'a complètement sortie de ma zone de lecture.
J'ai eu quelques passages que j'ai trouvé beau, d'autres m'ont mis un noeud au cerveau. Je ne doute pas de la qualité de l'ouvrage pour toutes personnes aillant poir habitudes de lire ce type de recueil de poésie.
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Citations et extraits (11) Voir plus Ajouter une citation
Dimanche 21 août.
Saint Christophe
Nous avancions à ventre ouvert, comme dans un rêve, et puis une vie soudain s’est brisée dans la rue et nous voici découvrant d’un coup l’atroce précarité des choses. Nous nous doutions bien que ces fruits oubliés lentement nous mèneraient vers l’automne, que nous les retrouverions en décembre, secs ; quand même nous restions tout imprégnés du sentiment de longévité des jours, nous n’accordions nul crédit aux cris des chouettes la nuit, chaque heure nous voyait changer de montre et jamais dimanche ne nous fit plier le genou. Aux terrasses complices des cafés nous buvions du vin de paille dans de longs verres à pied, le soir venu nous vendions du vent à la sauvette pour presque rien et, en dessous du pont resserré, pour nous toutes les rivières étaient en feu. Mais déjà certains de nos gestes prenaient des rides, des nuages dans le ciel passaient trop vite ; enfin un beau matin il nous fallut faire ressemeler nos ambitions.

Aujourd’hui pour éviter que tout chavire, jusqu’à l’aube nous serrons très fort la nuit dans nos bras — ô ! les beaux yeux !—, il n’empêche que chaque jour nouveau nous livre à d’incroyables intempéries, nous bouscule et tente de nous jeter par-dessus bord. De la cale à charbon où ils s’étaient jusqu’à présent cantonnés, les rats gris voraces et prolifiques se sont enhardis à pointer le museau et se conduisent maintenant partout comme en pays conquis. Nous soupçonnons d’autres bestioles, bien plus infectes et hypocrites encore, d’attendre dans la pénombre, lovées sous les cordages où à l’affût dans les soutes, prêtes à surgir et s’en donner à cœur joie au moindre faux pas. Il serait vain de vouloir recenser les tentatives d’intimidation de cette gent sournoise et cupide ou ses pressantes invites à céder la place.

Oui, voilà précisément l’état des lieux et l’âpre combat de mercenaires que nous menons, au milieu des désordres et des embûches de toutes sortes, depuis qu’une vie soudain s’est brisée dans la rue.
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Vendredi 22 avril.
Saint Alexandre
Infinie patience des fenêtres, jamais fatiguées d’ouvrir à nos regards absents des matins sans cesse renouvelés, des soirs chargés de parfums, des journées entières avec vue sur la mer et souvenirs d’enfance. Heureux celui qui sait, par une fenêtre large ouverte sur rien du tout, découvrir la vie, sentir soudain frissonner la peau du monde ; il peut sans frayeur aucune s’élancer dans l’air :déjà il vole, oiseau léger ! Car les fenêtres conduisent très loin au-delà des désert quotidiens, pour peu que l’on veuille emprunter leurs chemins tranquilles, embrasser l’immense horizon de leur œil inattendu. Fenêtres : perpétuelle apothéose du printemps.
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Samedi 18 juin.
Sainte Léonce
Ainsi, parfois, est-il nécessaire d’empoigner résolument la brouette verte, la charger à ras bord d’énorme blocs de pierre, puis pousser, comme ça, sans but des heures durant autour de la maison, jusqu’à se persuader enfin que, lourdement, le monde quand même existe.
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Samedi 30 juillet (Sainte Juliette)

Quand on n'entendra plus un seul chant d'oiseau, peut-être sera-t-il bien tard pour s'apercevoir qu'il n'y a plus d'arbres.
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Mercredi 19 janvier (Saint Marius)
L'unique honneur de vivre ne devrait-il pas résider justement dans cette intime conscience que, de notre petite vérité, il ne subsistera rien ; nulle part.

Mercredi 26 janvier (Sainte Paule)
Demain, comme l'éternité, n'est qu'un leurre. Seul existe l'instant. Dans tout son minuscule et son détail. N'en rien perdre.

Lundi 14 février (Saint Valentin)
Persuadé dans l'âme que rien n'existe vraiment ni n'a d'importance réelle, alors peut-être pourrait-on vivre enfin chaque instant dans sa plénitude, comme consolé et apaisé.
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Video de Pierre Autin-Grenier (2) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Pierre Autin-Grenier
Interview à l'Escale du Livre 2010 de Bordeaux de l'auteur Pierre AUTIN-GRENIER pour son livre "C'est tous les jours comme ça", en librairie à partir du 16 avril 2010 (Editions Finitude)
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