Faites comme moi une petite place dans vos bibliothèques surchargées, aux étagères menaçant ruine, pour cet album qui ne dépareillera pas entre Defoe ou
Stevenson.
Si la mode est à l'adaptation des grands classiques en bande dessinée avec plus ou moins de réussite, le projet ici me parait plus ambitieux puisqu'il invente une seconde partie à un grand roman picaresque, « La vie de l'aventurier don Pablos de Ségovie », écrit par
Francisco de Quevedo, auteur majeur de la littérature espagnole durant le Siècle d'or.
Contemporain de
Cervantes,
De Quevedo invente un héros, truculent vaurien, mendiant les mauvais jours, riche certains lendemains, escroc pour toujours. A la fin de ce roman, don Pablos embarque pour l'Amérique, les Indes de l'époque.
Notre héros ne partage que la particule avec Don Quichotte. Chez Don Pablos, les rêves se transforment en ambition, son coeur bat plus pour l'or que pour une dulcinée et la noblesse ne l'intéresse que parce qu'elle rime avec richesse. Il laisse l'esprit chevaleresque aux doux rêveurs suicidaires.
Guarnido, le dessinateur de « Blacksad » et Ayroles, le scénariste de « de Cape et de Crocs » réalisent un album qui fera date car il allie un dessin parfaitement adapté au récit d'aventures (traits expressifs, couleurs vives et paysages luxuriants), un scénario imprévisible qui recèle plus de rebondissements qu'un match de basket, et surtout une qualité d'écriture inédite pour le genre.
Je pense que même les plus réfractaires aux BD peuvent trouver leur dose de prose dans ces bulles. de la littérature crayonnée et colorisée à l'ancienne.
L'Histoire, me direz-vous. Don Pablos ne débarque pas en Amérique. Il y échoue après être passé par-dessus de bord du galion qui le transportait, incapable de toucher un jeu de cartes sans tricher.
Une fois à terre, il part à la recherche d'un lieu mythique qui enchante les rêves de tous les aventuriers du nouveau Monde : l'Eldorado !
Dopé par un fort instinct de survie, le vaurien est un farouche activiste du moindre effort. Il suit en cela un des commandements de son père : « Tu ne travailleras point ». Il consacre toute son énergie à ses manipulations qui le conduisent à s'aventurer à la frise des Cordillères, dans la jungle amazonienne, à fréquenter des tribus sauvages, des esclaves, des inquisiteurs et de riches négociants.
Il n'y a de la chance que pour la canaille. Don Pablos n'en manque pas. Ce n'est pas une étoile qui veille sur lui, c'est toute une constellation qui éclaire son chemin jusqu'au sommet du royaume.
Don Pablos n'a donc rien du gendre idéal mais son culot et sa bonhomie le rendent sympathique et drôle. Comme dans toute oeuvre picaresque, c'est le filou qui raconte son histoire et tel le Scapin de
Molière, on lui pardonne tout, le lecteur devenant un complice amusé de ses fourberies.
Sur une île déserte, comme je m'ennuie dès que je reste allongé plus de vingt minutes sur une plage, je n'emporterai que des pavés de plus de 600 pages.
Du moins, c'était ce que je croyais jusqu'à la découverte de cet extraordinaire album de 160 pages que j'enregistrerai en supplément de bagages.