Ecrit en 1942, ce roman de
Barjavel nous propulse dans la France des années 2050, une France caractérisée par son urbanisation massive qui s'inspire de la France de 1942 mais que le progrès a transformée. On a construit des villes sur les villes pour optimiser l'espace, et tout n'est que lumière en permanence grâce à la fée électricité. L'espace aérien est sans cesse occupé par les avions nouvelle génération ou autres véhicules inventés entre temps. Et l'Europe vient de recevoir la menace d'être rayée de la carte par des bombardements ennemis d'une puissance encore jamais égalée : le progrès est donc sur le point de détruire une bonne partie de l'humanité !
« - Tout cela, dit-il, est notre faute. Les hommes ont libéré les forces terribles que la nature tenait enfermées avec précaution. Ils ont cru s'en rendre maîtres. Ils ont nommé cela le Progrès. C'est un progrès accéléré vers la mort. Ils emploient pendant quelque temps ces forces pour construire, puis un beau jour, parce que les hommes sont des hommes, c'est –à dire des êtres chez qui le mal domine le bien, parce que le progrès moral de ces hommes est loin d'avoir été aussi rapide que le progrès de leur science, ils tournent vers la destruction. »
On rencontre Blanche, une jeune campagnarde récemment arrivée en ville dont le coeur balance entre deux hommes, deux symboles : un riche propriétaire de radio à la pointe du progrès, Jérôme Seita, qui lui propose une vie facilitée par le progrès et la modernité ; et son ami d'enfance François Deschamps, campagnard comme elle, venu faire ses études dans la ville de lumière mais portant bien son nom... Dans ce roman, Blanche symbolisera l'humanité toute entière, qui oscille entre nature et progrès : Elle cède d'abord à la facilité en se tournant vers la vie moderne confortable... Mais une gigantesque panne d'électricité, détruisant la ville mais la sauvant des bombardements annoncés, va remettre son choix de vie en question…
« du côté de la porte Saint Martin vint le bruit d'un choc énorme, et le sol trembla. Puis d'autres se firent entendre, un peu partout dans la nuit. Et des cris leur succédaient, gagnaient le long des rues. L'épouvante succédait à l'angoisse. Toute la ville, dans la nuit criait sa peur.
- Les avions qui tombent !
-On nous bombarde !
(...) Leurs moteurs arrêtés comme ceux des voitures, les milliers d'avions qui survolaient Paris étaient en train de regagner le sol par la voie la plus courte. (...) Ils tombaient sur la ville comme des pierres. La foule fuyait dans tous les sens, la panique au ventre ; le sol tremblait, des maisons s'écroulaient. »
Blanche se tourne alors vers François, l'homme qui sait encore prendre les choses en main lui-même et survivre sans électricité. S'en suit une tentative de survie dans la jungle urbaine à feu et à sang qu'est devenue Paris : Cette panne non seulement immobilise la ville, mais entraine la chute des avions sur les villes, des incendies qu'on ne peut pas éteindre puisque tout le matériel des pompiers est électrique, etc… Tentant de survivre dans ce carnage, les hommes pillent, tuent. François décide que la seule manière de s'en sortir est de quitter Paris pour sa campagne du Sud. Pour cela, il forme un groupe de gens de confiance et l'expédition commence… pour un retour aux sources sans concession !
*****
L'avantage de ce monde pour une novice de la science-fiction comme moi, c'est qu'il est construit sur des choses que l'on connaît : Je me suis donc amusée à découvrir les détails futuristes sans être totalement perdue. Donc si vous n'aimez pas la SF, ne vous laissez pas impressionner car l'auteur s'en sert pour traiter des sujets qui peuvent toucher tout le monde. Ici, le progrès est au centre des interrogations. Ecrit en 1942 pendant l'occupation, c'est en réalité la question de l'énergie et du pétrole qui inquiétait l'auteur : Peut-on réellement arriver à une civilisation à ce point dépendante de la technologie et d'une seule forme d'énergie ? Quels en sont les dangers ? Et surtout, doit-on pour autant vivre sans progrès, et est-ce possible ?
Barjavel nous montre les difficultés des deux extrêmes qui, s'ils ont chacun leurs avantages, sont aussi difficiles à tenir sur le long terme. Car si la panne nous donne l'envie d'un retour aux sources, celui que choisit François Deschamps est trop radicalement inverse : Il imposera en effet le rejet de tout progrès et de toute technologie (avec certes des hommes vivant plus sainement et plus longtemps) ; Et il se servira de l'histoire tragique de la grande panne pour persuader ses ouailles. Mais bien sûr, il est dans la nature de l'Homme de trouver des moyens de vivre plus facilement, et les générations futures y seront forcément confrontées, d'autant plus quand les témoins survivants de la panne se seront éteints… Car l'Histoire est un éternel recommencement. le lecteur perçoit donc bien à la fin de ce roman (et l'auteur nous y aide en décrivant une communauté dont l'organisation sociale ne fait pas rêver !) que, si l'on peut craindre le progrès et qu'il faut tirer des leçons du passé, on ne peut pourtant pas l'éviter et qu'il faut donc apprendre à le maîtriser, trouver un équilibre car le rejeter en bloc est aussi contre nature que de ne jurer que par lui.
Je n'ai pas eu le coup de coeur comme pour «
la nuit des temps » (la barre est tellement haute), mais la plume est toujours aussi agréable et le propos intelligent et bien amené. Contre toute attente, j'ai même préféré la première partie du livre consacrée à la cité en 2050 à la seconde consacrée à la fuite et au retour aux sources (même si c'était prenant aussi) : Car finalement elle est plus ludique, fait plus appel à notre imaginaire et garde en éveil notre esprit jusque dans les détails de cette civilisation futuriste qui a encore des liens avec la nôtre actuelle. La seconde est finalement plus simple en comparaison. Est-ce à dire que je commencerais à apprécier vraiment la science-fiction ? Je ne pourrais vous le dire qu'en poursuivant mon investigation !
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