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EAN : 9782738125736
321 pages
Odile Jacob (21/10/2010)
3.9/5   5 notes
Résumé :
Qu'est-ce que la morale ? Pourquoi agissons-nous de manière morale ? D'où viennent nos idées sur le bien et le mal ? Face à ces questions, les philosophes ont longtemps développé deux stratégies. Certains ont cherché à ramener nos jugements moraux à quelques principes : l'équité, le bien-être, la vertu, etc. Nous agirions ainsi de manière équitable, comme si nous avions passé un contrat avec autrui. D'autres se sont penchés sur les origines de nos jugements moraux. ... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (3) Ajouter une critique
Nicolas Baumard soutient l'existence d'un sens moral tel qu'il fut avancé dès le 18e siècle par les philosophes comme Shaftesbury, Hutcheson et Adam Smith. Ce sens fonctionne au même titre que l'ouïe et la vue, de manière automatique, universelle, innée et spécifique. de même que nous ne pouvons voir le monde autrement qu'en couleurs, nous ne pouvons ressentir autrement que comme morales les situations sociales mettant en jeu une divergence entre intérêts. Il reprend et actualise cette thèse du sens moral en recourant aux idées forces de la tradition contractualiste (Hobbes, Rousseau, Rawls, Gauthier) et de la psychologie évolutionnaire. L'hypothèse selon laquelle nous agissons de manière conforme à (ou de manière à rechercher l'équilibre entre) nos intérêts mutuels s'avère adéquate à nos intuitions morales et elle en forme le contenu propre et spécifique, qui distingue le proprement moral d'autres dispositions (tel le souci de la réputation personnelle). Mais cette même hypothèse ne peut recourir à aucun contrat réel passé entre les membres du groupe social pour expliquer que ceux-ci agissent par égard à leurs intérêts mutuels.

Une des contributions centrales de Baumard est de remédier à cette lacune à l'aide de l'hypothèse évolutionniste d'un marché de la coopération ayant agi comme mécanisme favorisant la sélection d'une motivation à prendre les intérêts d'autrui en compte et à rechercher un équilibre entre ceux-ci et ceux de l'agent. Une part notable de l'ouvrage consiste à détailler le caractère théoriquement plausible et empiriquement réaliste de cette hypothèse, d'une part, et à montrer sa supériorité épistémique par rapport à ses rivales : la thèse culturaliste du holisme (le jugement et les sentiments moraux sont appris par les individus en tant qu'ils s'insèrent dans un ensemble de traditions qui les précèdent dans le temps), la thèse naturaliste de la sélection de groupe et de l'altruisme (aussi dénommé utilitarisme, pour lequel le sens moral repose sur le sacrifice d'individu ou d'un petit nombre d'individus en faveur du groupe, et s'appuie sur la punition), la thèse darwinienne classique du continuisme (ou morale des vertus, selon laquelle les dispositions prémorales que nous partageons avec les autres mammifères, la sympathie, l'affection parentale, le dégoût, en viennent à former notre sens moral grâce à l'apparition ultérieure de la capacité du langage et à la culture, qui raffinent ces dispositions et alignent leur exercice sur les attentes du groupe; voir Jonathan Haidt,The Righteous Mind: Why Good People Are Divided by Politics and Religion, pour une articulation récente de ce point de vue).

Une part de la défense du mutualisme naturaliste et du marché de la coopération consiste à démontrer que les hypothèses de celles-ci correspondent mieux que leurs rivales aux observations ethnographiques (sur les peuples non-occidentaux), aux jeux économiques (ultimatum, dictateur, bien public), aux dilemmes du wagon (trolley dilemma), notamment, une fois pris en compte un ensemble de distinctions entre intuitions et jugements réflexifs, entre normes environnantes et jugement personnel, entre jugement et comportement. Baumard estime démontrer notamment l'inutilité de la punition pour le développement du sens moral et pour sa protection, de même que l'incapacité du holisme et du continuisme à rendre compte de la spécificité du sens moral (en vertu duquel nous sommes en mesure de différencier notamment notre devoir moral d'une action inspirée par le dégoût, par la conformité aux règles, aux autorités ou par affection/ sympathie envers nos parents et amis). Une autre part intéressante de la défense du mutualisme naturaliste repose sur l'examen du rapport de celle-ci à la psychologie intuitive (soit à la capacité d'attribuer et de partager les états mentaux - buts, croyances et intentions, d'autrui). À la différence de Tomasello (voir A Natural History of Human Morality), Baumard soutient que le sens moral précède, et fonctionne indépendamment, de la psychologie intuitive, mais que celle-ci affecte ultérieurement son axiologie intuitive, à savoir, l'évaluation faite des intérêts en jeu (à commencer par l'évaluation de la responsabilité des actions). Baumard reprend cependant une part notable des études de psychologie comparée menée par Tomasello et son équipe, démontrant que la pauvreté de la psychologie intuitive des autres primates (leur faible accès aux états mentaux d'autrui) se traduit en une faible capacité à communiquer dans le but de coopérer (faiblesse de la capacité et de la motivation communicative se traduisant par une capacité coopérative restreinte et peu diversifiée, limitant d'autant la capacité sinon la motivation à prendre les intérêts d'autrui en considération).

Forces du livre
• Baumard transcende le dualisme simplificateur entre égoïsme et altruisme dans lequel la réflexion sur l'origine (ou l'impossibilité) de la motivation morale authentique s'engouffre parfois trop rapidement;
• À la différence des philosophes et psychologues qui en ont usé avec avidité pour démontrer le bienfondé de leurs postulats (voir notamment Greene, Moral Tribes: Emotion, Reason, and the Gap Between Us and Them), Baumard estime à bon droit que les jeux économiques de type dictateur ou ultimatum, dans lesquels le partage et l'équité sont établis entre étrangers qui n'ont jamais interagi auparavant, ni ultérieurement, n'a qu'une validité écologique faible et réduite ;
• La richesse des distinctions conceptuelles employées enrichissent considérablement l'analyse et en favorisent l'avancement;
• Il y a une maîtrise claire d'un large pan de la littérature philosophique et scientifique pertinente à son objectif. Baumard écrit avec clarté, sans jargon, sans pesanteur. Sa maîtrise du champ est palpable dans l'ensemble de l'ouvrage, et donne la satisfaction d'avoir un vue globale de l'état des réflexions dans le domaine de la philosophie et de la psychologie morales ;
• L'auteur s'inscrit ouvertement dans la continuité d'autres penseurs, dont Adam Smith (celui de la Théorie des sentiments moraux , qui jette, sur les motivations humaines, un éclairage différent, plus authentique, que La richesse des nations ) et Dan Sperber, tout en évitant les affrontements caricaturaux. Les différences entre mutualisme naturaliste, continuisme, et utilitarisme - altruisme, d'abord mises au premier plan, sont ensuite relativisées et recadrées de manière à rendre leurs points focaux complémentaires;
• La volonté de favoriser la maturation du mutualisme naturaliste conduit Baumard à dresser une carte des territoires à explorer et des possibilités de mettre cette hypothèses en difficulté, ce qui atteste de la qualité d'esprit avec laquelle l'ouvrage est conçu

Faiblesses du livre
• Il paraîtra que les arguments réputés suffire à démontrer le caractère autonome, universel, spécifique et inné du sens moral, son unicité par-delà l'apparente diversité des jugements, sont rapides et courts, peut-être trop ;
• le même concept de mécanisme est employé, tantôt en référence à une entité discrète telle un organe, tantôt en référence (suivant les recommandations de Jon Elster) à une successions ou configuration caractéristique d'interactions (un mécanisme évolutionnaire au sens de la sélection de parentèle ou de la sélection des meilleurs partenaires de coopération); cette ambiguïté est un irritant, certes mineur, mais un irritant tout de même.
•Pour central qu'il soit, le concept d'intérêt n'est jamais défini. Son évidence peut être questionnée à la lumière de la diversité des usages qu'en fait Baumard, et de celles que l'on retrouve dans les discussions ordinaires.
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Mon avis de profane est que le plus intéressant dans ce livre est de donner des arguments pour sa morale de type mutualiste en soulignant qu'elle justifie (plutôt bien) les "anomalies" de nos intuitions quand on regarde les affirmations de l'utilitarisme (typiquement les différents développement du dilemme du trolley).
Pour le reste, résumer la morale à ce mutualisme est presque décevant tant ça parait simple.
Ce n'est pas le travail qu'ils se sont donnés et je trouve que "et l'homme créa les Dieux" donne une perspective différente. Peut-on vraiment parler de morale et faire l'impasse sur son caractère sociale (entendre culturel ou familial, traité par aucun ouvrage) et sur les ouvrages de référence ?
J'ai oublié ce qu'en dit un des anciens thésards de l'auteur (qui a créé la chaîne Youtube Homo Fabulus) mais il me semble que pour beaucoup le sens morale désigne plus que de défendre ses intérêts personnels. Est-ce une erreur ? En tout cas, c'est à mon sens le fond de commerce des religions et de l'utilitarisme.
En tout cas, ce livre est à lire.
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Il est question de la morale, de ses origines supposées et comparées selon les différentes philosophies et les courants d'idées.
Pourquoi sommes-nous équipés d'un sens moral ? Disposition naturelle ou principe inculqué ?
L'auteur nous propose sa réponse, dans cette sorte de thèse un peu ardue, mais le débat reste ouvert !
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