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EAN : 9782844851468
143 pages
Allia (27/04/2006)
3.77/5   11 notes
Résumé :

La Chine est de plus en plus présente dans le monde, mais elle est en même temps comme absente. Nous n'entendons pas sa voix.
.....
Dans cet ouvrage formé de deux essais qui se complètent l’un l’autre, Jean François Billeter éclaire doublement ce qui se passe en Chine aujourd’hui : d’abord du point de vue de l’histoire du capitalisme, de cette “réaction en chaîne non maîtrisée" dont il retrace l’histoire depuis son début en Europe, à l’époq... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (1) Ajouter une critique
Chine trois fois muette regroupe deux essais traitant de la Chine dans son évolution historique moderne et séculaire. Jean-François Billeter mène ici une réflexion de haut vol pour exposer de quelle manière la Chine est de fait engagée au sein d'une « réaction en chaîne non maîtrisée » provoquée par la victoire de l'impératif économique. Car selon lui c'est la raison économique toute puissante, c'est-à-dire le système capitaliste même si l'auteur ne le cite jamais textuellement, qui a depuis le XIXe siècle pris le pas sur le social et qui définit le jeu international.

La vision de Billeter se rapproche sur ce point de celle de l'économiste Daniel Cohen, qui a lui aussi diagnostiqué une rupture de l'économique et du social au XIXe siècle dans Trois leçons sur la société post-industrielle. Confrontée à l'extinction de l'URSS communiste, le Chine s'est vue forcée à se positionner par rapport au monde occidental et au modèle américain.

D'où une ouverture croissante de l'économie nationale vers l'extérieur, ouverture qui nie cependant tout processus de remise en cause politique et se conjugue avec un repli idéologique du pays sur lui-même. La mise en perspective historique devient alors cruciale, puisqu'elle permet de saisir une tradition socio-politique ayant pour matrice la domination et la hiérarchie, tradition qui remonte à plus d'un millénaire. Dans ce cadre l'État chinois a pour fonction première d'équilibrer les forces sociétales en présence. Ce qui amène à considérer la conception chinoise de la stratégie, qui a plus pour vocation de neutraliser l'adversaire, l'opposant ou l'ennemi que de le détruire. La stratégie trouve alors sa source dans la domination des communautés par une instance proclamée supérieure. de même que l'Empereur a incarné au cours des siècles un pouvoir transcendantal, le Parti Communiste constitue aujourd'hui l'entité suprême de décision politique.
Le verrouillage socio-politique de la Chine est ce qui la rend trois fois muette. En réprimant violemment toute révolte ou contestation sociale, comme le fit par exemple invariablement Mao Tsé-toung, en sacrifiant des générations d'intellectuels, d'étudiants et d'artisans, la Chine a perdu la capacité de se saisir de façon critique de son époque, de son histoire récente ainsi que de son passé pris dans sa totalité. Ce triple mutisme, parce qu'il ne permet pas de réinterroger le modèle politique du pays, condamne la Chine à une fuite en avant dans l'exploitation économique.

Cette dernière n'est que le symptôme de la réaction en chaîne enclenchée depuis deux cent ans, qui ne pourra être brisée sans un effort colossal d'imagination politique. Seul un regard historique sur ce que nous sommes devenus permettra selon l'auteur de fonder le nouveau paradigme de développement qui réconciliera l'économie, le politique et le social. En cela ce livre constitue plus qu'un regard socio-historique sur la Chine : il est une invite à repenser de manière lucide et stratégique de quelle manière les hommes d'orient et d'occident entendent vivre en société.

Par Matthieu Roger.
Lien : http://leslecturesdares.over..
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Citations et extraits (9) Voir plus Ajouter une citation
L'américanisation du langage quotidien est le phénomène le plus sournois [NB : de l'uniformisation universelle de la vie quotidienne]. Il n'est pas mauvais en soi qu'une langue soit influencée par une autre ou se mette même à son école. Mais dans le cas présent, il s'agit d'un appauvrissement, et d'un appauvrissement qui va uniformément dans le sens de la soumission à la logique de la marchandise. La contagion progresse par l'attrait du moindre effort. La simplification du vocabulaire dispense de choisir des mots, donc de penser.
En outre, les ressources anciennes sont comme effacées à mesure. Une fois que nous serons enfermés dans ce nouveau langage, nous serons privés du moyen de formuler "la moindre objection contre le discours marchand" (Debord, commentaires...). Dans 1984, les promoteurs de la "novlangue" prédisent qu'à la fin, ils rendront "littéralement impossible le crime-de-pensée parce qu'il n'y aura plus aucun mot pour l'exprimer". Nous allons aujourd'hui par simple inertie et très vite vers cette forme accomplie de soumission à l'ordre établi.
Il est temps, me semble-t-il, de reprendre les réflexions d'Orwell sur le langage politique et de montrer que c'est le jargon économique qui est devenue la langue de bois de notre temps. Ce phénomène mériterait une étude comparable à celle que Victor Klemperer a consacrée la corruption de l'allemand par la propagande nationale-socialiste.
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Anticipant sur le miracle annoncé, les cadres se sont engagés à livrer de tels quotas de grain que, le moment venu, ne pouvant se déjuger, ni dénoncer la folie de l'entreprise, ils affament les paysans pour tenir leurs engagements. Tel n'est pas le seul, mais tel est le principal mécanisme qui a causé, en 1959, 1960 et 1961, la plus grande famine, non seulement de l'histoire de la Chine, mais de l'histoire tout court. Elle a été terrible parce que, ayant des causes purement politiques, elle a frappé toute la Chine en même temps, ce que n'avait jamais fait aucune famine dans le passé. Trente millions de personnes en sont mortes selon l'historien Jasper Becker, quarante-trois millions selon Tch'en Yi-tseu, ancien collaborateur du premier ministre et chef du parti Tchao Tseu-yang (Zhao Ziyang). Elles sont mortes non de fatigue ou de maladie, comme c'est le plus souvent le cas dans les famines, mais de faim uniquement, en silence, encadrées par un régime maître de la situation.
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La première mesure est une impitoyable campagne contre tous ceux qui ont critiqué le Parti lors des cent fleurs [NB : à partir de 1957 jusqu'en 1976, date de la mort de Mao]. Des centaines de milliers d'étudiants, intellectuels, fonctionnaires et membres du Parti (300 000 selon les estimations) sont critiqués, condamnés, privés de leurs postes, envoyés dans les camps. Beaucoup n'en reviendront pas. Tous ont leur vie brisée. Ils seront réhabilités en 1979, bien souvent à titre posthume. Le but de la campagne est de faire taire la critique à l'extérieur du Parti et, plus encore, à l'intérieur. Ce Parti, purgé et désormais soumis, est chargé l'année suivante, en 1958, d'imposer aux ouvriers et surtout aux paysans une expérience sans précédent, celle de créer à mains nues et quasiment du jour au lendemain, une puissance industrielle. C'est à ce moment-là que le phénomène totalitaire apparaît en Chine sous une forme à peu près pure. Une société privée de ses derniers retranchements face au pouvoir, totalement asservie, est contrainte de se lancer à corps et sans âme dans une entreprise "d'émancipation" sans exemple. Chacun est obligé de simuler l'enthousiasme, ce qui permet aux dirigeants de soutenir qu'ils ne font que suivre l'irrésistible élan des masses révolutionnaires. L'intimidation est telle que le moindre doute a quelque chose de terrifiant pour celui qui le conçoit, de sorte qu'il préfère ne point douter.
Ainsi naît "l'homme nouveau", en 1958.
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La dynastie royale des Tcheau a été fondée à la suite d'un soulèvement contre la dynastie Chang (Shang). Le premier roi Tcheau a vaincu les Chang parce qu'avant de se soulever, il s'était assuré l'appui de puissants alliés. Au lendemain de sa victoire, il dut les payer de retour. Il leur donna des fiefs, mais cela ne suffisait pas. Il fallait encore trouver le moyen de transformer l'alliance de circonstance qui les avait réunis en une alliance permanente, en un ordre institutionnel durable. Avec ses conseillers, le fondateur de la nouvelle dynastie trouva à ce problème une solution remarquable. Ils réinterprétèrent les relations que le roi entretenait avec ses alliés en relations familiales : ils seraient tous frères, les rapports d'aînesse entre ces frères seraient des rapports hiérarchiques et le roi en tant qu'aîné aurait le pouvoir sur ses frères. On ne pouvait mieux faire pour assurer la prééminence du roi et de la cohésion du groupe.
Les fondateurs des Tcheau ne s'arrêtèrent pas là. Pour que le nouvel ordre fût durable, ils fixèrent les règles selon lesquelles les privilèges ainsi distribués seraient transmis. Et comme il était aisé de prévoir que cette famille aristocratique allait croître et se multiplier, et que cette multiplication allait mettre la structure familiale en danger, ils développèrent cette structure de façon à ce qu'elle pût s'étendre sans que jamais ne s'y introduisît le moindre désordre. Ils créèrent un système susceptible d'organiser une famille de plusieurs dizaines ou de plusieurs centaines, voire de plusieurs milliers de membres, réunissant jusqu'à quatre générations simultanées, sans que jamais, entre deux de ses membres quels qu'ils fussent, l'ordre de préséance ne fût ambigu. Ils forgèrent une nomenclature qui permettait d'identifier exactement la place de chacun dans cette hiérarchie générale. Cette nomenclature s'est perpétuée jusqu'à aujourd'hui pour l'essentiel. Elle ne comporte par exemple de termes pour "frères" ou "sœurs", mais seulement des termes pour "frère aîné / frère cadet", "sœur aînée / sœur cadette". Il en est toujours ainsi de nos jours. Ne serait-ce que d'un point de vue purement formel, ce système est à coup sûr l'une des plus grandes créations de l'esprit humain.
L'oeuvre des fondateurs des Tcheau fut un moment de cristallisation capital. L'ordre q'ils ont crée se retrouve ensuite, plus ou moins transformé, tout au long de l'histoire chinoise.
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Nous assistons d'un côté à une concentration sans précédent du pouvoir économique et financier, de l'autre à une dissolution avancée du lien social qui se manifeste par le repli communautaire, la ségrégation, la violence, mais aussi, par exemple, le recours généralisé au tribunaux et au règlement financier de litiges. Nous voyons ce processus s'étendre au monde entier et provoquer l'uniformisation universelle de la vie quotidienne. Partout, les modes, le langage s'américanisent. Mais plus que d'américanisation, il s'agit d'une soumission de plus en plus complète à la raison économique.
Tel est le moment présent.
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