UN LIVRE UTILE.
C'est un essai très intéressant. J'avais quelques à priori sur l'analyse du fait que l'auteur s'appuie exclusivement sur des chercheurs et auteurs anglosaxons, ce qui pourrait introduire un biais dans son propos, mais c'est un travail fouillé qui n'hésite pas à dénoncer les dérives liées à l'économie de marché. Quelques redites donnent parfois l'impression de revenir en arrière. On aimerait que l'analyse soit moins centrée sur les USA mais il faut reconnaître que bien des dérives sont liées aux pratiques intensives agricoles, à la monoculture et au business de l'industrie agroalimentaire, qui ont initié et essaimé dans le monde un nouveau mode de consommation aux multiples effets délétères.
On remonte loin, au début de l'humanité où l'évolution de l'espèce humaine est directement corrélée à la maîtrise du feu (manger cuit et se protéger change la donne) et l'apprentissage de la culture des céréales et des plantes comestibles. Un chapitre fort intéressant montre que les colonisations de toutes sortes se sont accompagnées d'une monoculture imposée pour l'exportation et l'enrichissement des dominants, avec pour conséquences directes des famines à répétition. Et cela jusqu'à aujourd'hui ! le modèle de
l'agriculture américaine s'est construit au fur et à mesure de l'expropriation des autochtones, en cultivant des céréales puis en engraissant des bêtes qui consommaient le surplus de céréales (Cincinnati). Évidemment tout ce business a été organisé de manière démesurée avec comme seul objectif la rentabilité maximum. Outre l'expropriation "légale", c'est l'exploitation de la terre et son appauvrissement avec comme seul remède les engrais ...chimiques. Ce livre très documenté nous relate comment les exploitations agricoles se sont transformées en agro-industrie de monoculture enrichissant les banquiers, les fabricants de matériels agricoles et les producteurs de semences et de produits chimiques et conduisant à la ruine tous les petits cultivateurs. le dustbowl, grande catastrophe écologique que j'avais découvert à travers une bd de qualité (jour de sable de Aimée de Jongh) et les grandes famines qui ont sévit au 20e siècle en Russie (12 millions de morts) et en Chine (40 millions de morts) sont le résultats de politiques gouvernementales aberrantes, visant a casser la petite paysannerie et à instaurer une
agriculture d'exportation. Car finalement les grands changements sont souvent imposés par les gouvernements et leurs conséquences néfastes engendrent des remaniements sociétaux importants. Les mesures discriminatoires conçues pour sauver les agriculteurs dans le sud des USA sont directement à l'origine de la plus grande migration interne : entre la fin de la première guerre mondiale et les années 1970, 6 millions d'afro-americains ont dû s'exiler dans les villes industrielles du nord. La Californie n'a du son essor des cultures vivrieres qu'à la main d'oeuvre immigrée et exploitée. La congélation et la mise en conserve des fruits et légumes est une innovation technologique qui permettra à l'industrie alimentaire de se développer en absorbant les surplus de la production intensive.
Une donnée chiffrée m'a sidérée : 50 milliards de hamburgers sont produits aux USA annuellement soit 150 par personne. Un chapitre nous raconte comment les ingrédients de ce produit emblématique sont nés des surplus transformés et industrialisés : la viande hachée, le fromage fondu, le ketchup... La naissance des marques et du marketing a eu pour conséquence une standardisation du régime alimentaire américain. Puis après les progrès relatifs à la conservation des aliments par le froid, c'est le développement des supermarchés qui progressivement a transformé notre relation à l'alimentation. le développement du soja pour l'alimentation animale a permis d'augmenter la consommation de viande et notamment de poulet sous toute ses formes jusqu'aux nuggets!
Des études montrant les effets néfastes sur la santé de produits ultra transformés ont été de longue date minimisées par l'industrie agroalimentaire toute puissante, prête à financer des études scientifiques orientées. La malbouffe regorge de graisses saturées, de sel et de sucre à l'origine de maladies chroniques multiplies. Mais pendant des décennies tout a été fait pour occulter le rôle négatif du sucre pour la santé humaine : le sirop de maïs qui regorge de fructose était une mine d'or pour l'agroalimentaire. le marketing est très habile pour convaincre que le lait maternisé est meilleur que le lait maternel, que les céréales sont bonnes pour la santé des enfants.... "Nous vivons depuis 3 ou 4 générations dans un système alimentaire qui nous tue à petit feu".
L'utilisation des pesticides et du DDT à outrance est à l'origine de maladies chez l'être humain et de destruction environnementale. La promesse d'un usage ciblé grâce aux OGM était encore une erreur. Sauf pour Monsanto qui grâce à ses brevets sur les semences OGM à utiliser sous licence et avec les pesticides indispensables à leur rendement s'est imposé sur le marché. On connaît le roundup vendu avec les semences résistantes à cet herbicide large spectre ...et ses dégâts. Mais il a fallu une longue bataille juridique et politique pour faire interdire ce pesticide et aboutir à une condamnation avec versements d'indemnités aux personnes malades ou décédées d'un cancer directement généré par l'usage de ce produit. Même scénario catastrophique avec les OGM du coton utilisant des bactéries... Résistances donc introduction de nouveaux pesticides... Des néonicotinoïdes, responsables de l'éradication des abeilles!
La dernière partie de l'ouvrage s'intitule résistance. La naissance d'une réflexion écologique (les 4 lois de Commoner) remonte a dès la fin de la seconde guerre mondiale. Les écologistes affirment que les ressources ne sont pas infinies et que la nature est aux commandes, tandis que les capitalistes croient que la nature existe pour être exploitée par les humains. On découvre les précurseurs : Georges Washington Carver (polyculture traditionnelle),
Rudolf Steiner (la biodynamique),
Albert Howard (cycle de vie croissance et décomposition), Ève Balfour (comparaison entre
agricultures bio et conventionnelle sur 3 décennies).
Nous connaissons aujourd'hui les effets néfastes de
l'agriculture intensive sur la biodiversité, sa contribution au réchauffement climatique....des conditions qui risquent de mettre en péril
l'agriculture et la possibilité être confrontés à des pénuries alimentaires et d'eau. Quant au gâchis alimentaire c'est encore un fléau !
Sur le plan nutritionnel, revenir à des équilibres simples est le chemin le plus sage. Mais les produits chimiques sont partout et pas seulement dans l'alimentation...le cortège des maladies induites est considérable.
La maltraitance animale, et le mot est faible, liée aux conditions extrêmes de l'élevage intensif est légale! Cette cruauté est révoltante. La concentration et les cadences infernales des abattoirs ont transféré sur les salariés cette même violence.
L'absence de réglementation sur les pratiques des gros éleveurs est sidérante. Conséquences sur la pollution de l'eau, de l'air, résistances aux antibiotiques, exposition aux pandémies...."la production animale industrielle est un désastre écologique et moral, presque aussi dégradant pour la humaine qu'il est pour la vie animale".
Bien sûr la main d'oeuvre est exploitée et le recours aux immigrés sous-payés est devenu une nécessité "juteuse"puisque les bons alimentaires qui leur sont versés pour compléter leur misérable salaire sont financés par l'impôt et seront dépensés chez Walmart...la boucle est bouclée !
A la fin de ce livre c'est un sentiment de découragement et de répulsion face à ce système mortifères qui se pare de toutes les lumières scintillantes du marketing pour nous faire avaler toujours plus de malbouffe et d'injustice.
Il existe des pistes d'amélioration, des mouvements favorisant les prises de conscience, de nouvelles pratiques et des choix plus intelligents des consommateurs...mais c'est très peu abordé dans ce livre, qui a force de propos démonstratifs peut décourager plus qu'inviter au changement. L'auteur nous parle d'une démarche "l'agroécologie" qui aborde l'ensemble des problèmes avec des résultats modestes mais qui serviront de tremplin pour un réel changement. Les exemples de changement auraient pu être l'occasion d'un regard plus poussé hors des États-Unis. Mais ce livre reste un document étayé sur ce qui fait que notre alimentation est devenue un produit financier.
Merci aux éditions Actes sud et à Babelio de m'avoir donné la possibilité de lire cet ouvrage très documenté. On y apprend beaucoup sur les liens entre le pouvoir, l'argent et notre nourriture devenue un bien à haut rendement, alors même que les connaissances scientifiques devraient permettre de faire de l'alimentation un facteur de développement équilibré et de bien être sanitaire et social.
"Notre alimentation s'est retournée contre nous, il n'est pas juste de mettre cela sur le compte de choix personnel. le problème vient plutôt de ce qui est cultivé et vendu"
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