C'est lors d'un de mes petits tours dans ma librairie préférée que ce livre m'avait interpellé, avec sur sa 1re de couverture cette photo un peu surannée, cette voiture des pays de l'Est (me rappelant les célèbres Trabant), cette jeune femme décontractée assise sur le capot, et ce titre «
le silence des carpes » … Un titre qui m'évoquait de suite un pays que j'aime… Dans ce pays, à Noël, il n'y a pas de dinde en plat principal, mais une belle carpe bien dodue ! Les habitants de ce pays l'achètent vivante quelques jours avant, mais ne la préparent que le 24 décembre. En attendant, ils la conservent généralement… dans la baignoire familiale !
Les quelques mots au dos du livre me confirmaient bien que je ne m'étais pas trompé sur le pays en question !
Au début de ce livre, le narrateur est agacé par une goutte d'eau qui fait ploc, ploc, ploc. Ce goutte à goutte incessant le perturbe, et dans le même temps, il apprend de la part de sa compagne qu'elle veut « faire un break » ! le narrateur, c'est un trentenaire parisien, Paul Solveig. Il ne comprend plus très bien sa vie. le démarrage burlesque de ce roman m'emballait déjà, et je me demandais comment il allait évoluer…
Ce robinet qui fuit et sa femme qui veut le quitter, sont des problèmes qui n'ont pas le même poids, mais qui vont se conjuguer pour révéler la médiocrité de sa vie et lui permettre de prendre conscience qu'il lui faut changer quelque chose rapidement !
Bien sûr, la première chose qu'il va faire, c'est appeler un plombier ! Celui-ci va le dépanner, mais en repartant, sans s'en rendre compte, il laisse échapper de sa sacoche une photo que Paul va incidemment trouver en dessous de sa table de cuisine… Il est intrigué par cette photo un peu floue, en noir et blanc, qui date un peu, qui représente une jolie femme en maillot de bain, cadrée de manière tout à fait particulière, et sur laquelle quelqu'un a surligné le contour de ses formes avec un Bic et apposé une couleur sur une zone de l'arrière-plan…
Il rappelle le plombier qui a « une charmante raideur surannée dans la syntaxe » ! Un plombier à l'accent tchèque ! Celui-ci va lui expliquer qu'il s'agit de sa propre mère sur la photo et il va raconter l'histoire tragique qui est arrivée à sa maman, disparue en 1977 sans laisser de trace, en pleine période de « normalisation », sous le régime communiste tchécoslovaque.
Cette photo, c'est la seule image qu'il possède encore de sa mère. Il ne sait absolument pas ce qui lui est arrivée, et ce mystère va donner l'occasion à Paul Solveig de révolutionner sa vie, et de partir comme ça sur un coup de tête ! Il abandonne tout à Paris, et il part en Moravie (partie est de la République tchèque) pour essayer de faire la lumière sur cette mystérieuse disparition, et également pour peut-être retrouver l'auteur de cette photographie curieusement artistique, à ses yeux !
On suit notre narrateur, parti pour Blednice (le plombier avait reconnu sur le fond de la photo cette petite bourgade de Moravie), une ville de 11 000 h. Paul Solveig ne sait absolument pas ce qu'il va y trouver. Il ne connaît pas la langue. Il ne sait pas non plus pour combien de temps il est parti…
Ce qu'il sait, c'est qu'il ne rentrera pas tant qu'il ne saura pas ce qui est arrivé à cette femme !
Alors il commence son enquête, mais c'est la première fois qu'il fait ça et ses méthodes sont un peu rustiques. Comme il ne possède que le nom pour investiguer, et qu'il n'a pas accès au bottin téléphonique, il va devoir faire le tour de tous les interphones de la ville… mais ayant fait un calcul savant, il s'aperçoit que ce travail, bien qu'ardu, est possible à faire en quelques jours.
Et cette enquête va le mener jusqu'à la police secrète de la Tchécoslovaquie !
Dans sa quête, il va faire des rencontres. Trois personnages, notamment, vont l'aider dans son enquête, mais aussi dans sa découverte du pays et de sa riche culture.
Il y aura - Míla, une serveuse grande fan de cinéma et libre comme le vent, - Veselý, un sculpteur contemporain, un peu dépassé par l'art qui évolue sans lui, et puis, -Antonín, un jeune menuisier qui n'aime plus son métier ! Grâce à ce trio, notre narrateur va être invité à participer à un « Cercle de poètes disparus » tchèque. Progressivement, il va entrer véritablement dans la culture tchèque, découvrir la langue, l'apprendre et changer complètement sa vision du monde.
Pendant ce temps-là, on suit à la fin de chaque partie, deux pêcheurs expérimentés, Ota et Pavel, qui découvrent au début du roman un étang mystérieux, dont ils ne connaissent pas l'existence jusque-là… Dans cet étang, frétillent des centaines de carpes d'une espèce rare et prisée, des carpes-amour, qu'il leur est bien difficile d'attraper !
Je n'ai pu m'empêcher de penser que le choix des noms attribués à ces pêcheurs n'était pas anodin, me rappelant immédiatement l'excellent livre écrit par
Ota Pavel, «
Comment j'ai rencontré les poissons » ! Et en plus, le nom que Jérôme Bonneton a donné au plombier est « Ryba », qui veut dire
« poisson » !
Tout au long de ce livre, il y a de chouettes métaphores, de belles trouvailles dans les expressions.
Grâce au narrateur (l'auteur a un vrai talent d'observateur !), vous arriverez même à distinguer 5 catégories dans la nature humaine en observant comment les clients mangent leur petit gâteau dans les restos ! Il y a … mais je vous laisse les découvrir vous-mêmes ! C'est très juste et absolument hilarant !
Beaucoup de psychologie, de mélancolie, de nostalgie, quand le narrateur parle de son enfance, de ses parents… On s'immisce aussi avec lui dans ces brasseries au décor suranné, toujours vivantes et bruyantes avec le tintement des chopes de bière qui s'entrechoquent toutes les deux minutes, et où les rencontres sont souvent hautes en couleur. Sur ce thème, on sent que l'auteur a apprécié les lectures de certains livres de
Bohumil Hrabal et de Vlastimil Třešňák !
«
le silence des carpes » est un roman sur la culture tchèque bien évidemment, sur le cinéma, avec sa Nouvelle vague -dont le célèbre film
« Les Amours d'une blonde » de Miloš Forman, mais également sur la musique, sur la littérature, sur les habitants, sur leur culture populaire et sur leur force de vie ! Mais au-delà, c'est aussi un roman sur la culture en soi.
Si Jérôme Bonneton parle si bien de la culture tchèque, c'est parce qu'il la connaît bien. Cela fait une douzaine d'années qu'il vit en République tchèque et qu'il s'y intéresse.
Ce livre est un roman humoristique avant tout, d'humour burlesque, mais d'humour également mélancolique. Les deux s'y mélangent. C'est un humour difficile à définir, qui renvoie peut-être quelque chose de l'âme slave.
J'espère que ma critique vous donnera envie de découvrir ce livre au texte vif et libre surtout, qui fait la part belle au romanesque, et de goûter au fil de ses pages aux charmes de la Tchéquie et de ses habitants ! C'est très bien écrit, fluide, parsemé d'anecdotes amusantes, de réflexions profondes et de mots d'esprit. En conclusion, un roman très agréable à lire, divertissant et vite attachant ! = 5/5
« … La culture tchèque savait se rendre aimable : cousine de la française, autre par ses proximités avec l'Est que nous n'avons pas, elle porte également quelque chose de difficile à définir, une force tendre qui lui vient peut-être de sa fragilité dans l'Histoire, la conscience d'avoir échappé de peu à sa fonte définitive dans un monde plus grand et plus fort qu'elle. »