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EAN : 9782360840274
166 pages
Inculte éditions (08/01/2020)
3.89/5   119 notes
Résumé :
Ségurian, un village de montagne, quatre cents âmes, des chasseurs, des traditions. Guillaume Levasseur, un jeune homme idéaliste et déterminé, a décidé d’installer une bergerie dans ce coin reculé et paradisiaque. Un lieu où la nature domine et fait la loi. Accueilli comme une bête curieuse par les habitants du village, Guillaume travaille avec acharnement ; sa bergerie prend forme, une vie s’amorce.

Mais son troupeau pâture sur le territoire qui dep... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (38) Voir plus Ajouter une critique
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C'est l'oeil goguenard et la raillerie aux lèvres que les habitants du petit village de Ségurian voient débarquer le jeune Guillaume Levasseur et son projet de bergerie. Les rires ne tardent toutefois pas à se faire grinçants lorsque les brebis de l'étranger se retrouvent à pâturer sur les pentes traditionnellement consacrées à la sacro-sainte chasse au sanglier. de coups de gueule en coups de dent et coups de feu, l'affrontement devient bientôt inévitable.


Toute l'originalité du roman vient du parti-pris de sa narration : l'auteur place d'emblée le lecteur à ses côtés, dans le rôle d'observateurs extérieurs venus se pencher avec une loupe ou une caméra sur les comportements aveugles d'hommes dominés par leurs peurs, leurs susceptibilités et leurs rancoeurs. Dès lors, c'est la folle et stupide démesure du fait divers que l'on voit peu à peu s'étaler, dans une escalade irrépressible qui tend le récit vers son dénouement forcément explosif.


La finesse d'observation et la psychologie de Jérôme Bonnetto lui permet de croquer des personnages plus vrais que nature, tels qu'on a l'impression de les avoir déjà plus ou moins rencontrés, en tout cas sous une forme approchante. Sans aucun effort d'imagination, le lecteur se retrouve immergé dans un terroir suffisamment vague pour que chacun le localise à sa guise, la seule indication de sa situation entre mer et montagnes permettant toutefois de faire sonner les dialogues avec l'accent du sud.


Cette histoire peut faire penser, fugitivement, à Jean de Florette ou aux romans de Franck Bouysse, mais ici, point d'émotion ni de lyrisme : derrière les phrases courtes et percutantes qui donnent rythme et muscle au récit, l'essentiel est la mécanique psychologique, implacablement disséquée avec une distanciation presque clinique, à moins que ce ne soit avec l'imperturbable certitude des pierres quant aux dérisoires conflits humains.

Lien : https://leslecturesdecanneti..
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Si mes chroniques littéraires devaient un jour servir à quelque chose, eh bien ce serait à faire connaître des livres comme celui-ci. Car, oui, vraiment, ce roman est une splendeur et je pèse mes mots… le récit tendu à l'extrême est servi par une écriture intense, sensuelle et poétique de toute beauté… Dès les premières lignes, on est saisi et l'on comprend que l'oeuvre que l'on commence à peine va nous emporter, nous tenir en haleine jusqu'au bout… Franchement, lisez-le, lisez-le, lisez-le… Je vais tenter de vous convaincre mais mes mots seront bien pauvres par rapport à la force de ce texte et à la puissance qui s'en dégage.
En fait, nous entrons dans un monde tragique où, d'une certaine façon, la règle des trois unités est parfaitement respectée : unité de temps, six années dont les tensions s'exacerbent autour d'une fête : la saint Barthélemy (24 août) où l'on déguste la traditionnelle soupe au pistou ; unité de lieu : un petit village du Sud, entre mer et montagne : Ségurian, quatre cents habitants ; unité d'action : un certain Guillaume Levasseur qui, après avoir baroudé à droite à gauche, arrive au village avec un projet bien précis en tête : construire de ses propres mains une bergerie et s'installer comme berger.
Seulement, Ségurian est depuis toujours une terre de chasseurs à la tête desquels règne la dynastie des Anfosso, notamment Joseph, l'aîné, chasseur de sangliers, bâtisseur de la quasi totalité des maisons du village, un gars du pays, un enraciné, un du cru à qui on n'impose rien, à qui on ne la fait pas. À qui on obéit. « Ségurian, un village de chasseurs donc, avec une grande famille de chasseurs et un chef chasseur. »
Alors évidemment, l'arrivée de ce néo-berger, de cet étranger, titille fortement le Joseph… Parce que, non content de s'installer sur une terre qui n'est pas la sienne, ce Guillaume en impose : il est beau, grand aussi… Mais pas seulement… Il est aussi courageux, déterminé, méthodique, bosseur acharné et en plus, il sait parler, il serait même un peu intello sur les bords… Il sait mener son projet à bien, en restant réglo avec la loi, tout lui sourit à ce gars...
« Au village, Joseph se moquait un peu du berger quand le berger n'était pas là, mais il lui fallait cacher en même temps une certaine admiration. Au fond de lui, il reconnaissait des valeurs communes – le travail, l'abnégation, la détermination – et subodorait tout à la fois d'autres qualités qu'il craignait de ne pas avoir. le berger dérangeait l'ordre des choses. Il redistribuait les cartes. »
Et ses premières bêtes, de belles bêtes, triées sur le volet et avec amour, une cinquantaine de moutons et de brebis, paissent tranquillement dans la montagne comme si elles étaient chez elles…
Insupportable pour le gars Joseph, vraiment insupportable… D'autant que la bergerie du gars Guillaume, elles est juste au-dessus de la maison de Joseph… Elle domine en quelque sorte...
Il y en a bien eu un berger au village, un certain Jacquou, mais ça fait des lustres qu'il est mort, on n'en parle plus… Alors, qu'est-ce qu'il vient faire là, ce type, pour qui il se prend ?
Il va falloir qu'il les range, ses bestioles parce que les chiens pourraient bien, par accident hein, bien sûr, en saisir une ou deux à la gorge, comme ça, en passant, histoire que le berger comprenne qu'il n'est pas chez lui... Ça ferait mauvais effet tout ce rouge sang sur la blancheur immaculée de la bête… (Ceux qui connaissent ma passion pour Un Roi sans divertissement de Giono sauront à quel point ces contrastes me saisissent...)
Deux mondes, des valeurs opposées, des incompréhensions mutuelles, des tensions terribles…
Vous verrez : tandis que les clans s'affrontent dans un silence plein de haine, de détestation et de fureur, le choeur des villageois essaie tant bien que mal de maintenir une paix devenue impossible, cependant que le fou du village annonce, à travers d'étranges paroles sibyllines et prophétiques, des choses imminentes que l'on sent redoutables…
L'écriture à la fois imagée et réaliste, poétique et crue, sensuelle et âpre dit parfaitement la folie et la bêtise des hommes, leur impossibilité de calmer leur passion, leur jalousie, leur haine au point de redevenir des brutes, des sauvages, des bêtes.
Un roman noir, très noir...
Un IMMENSE coup de coeur, un très très grand texte que vous pouvez, à défaut du format papier, vous procurer dès à présent (comment attendre?) en epub sur le site des éditions Inculte. Vous allez vraiment être saisi par ce roman et vous régaler, allez, allez, foncez !
Lien : http://lireaulit.blogspot.fr/
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Chronique d'une mort annoncée....ou pas
Rassurez-vous.Je ne dirai rien de l'épilogue de ce très beau roman
Dès les premières pages, on se dit qu'il va y avoir du grabuge
Ce soi disant berger,arrivé de nulle part a le projet d'installer ses cinquante moutons juste au-dessus du village perdu, connu surtout pour ses chasseurs
Certes il a la loi pour lui.
Mais la loi de ce village de montagne n'est pas écrite dans les livres
C'est un consensus tacite qui dure depuis des générations
La vie est rythmée par les périodes de chasse et la fête de Saint Barthélémy
Guillaume, le berger, s'installe tranquillement sous la regard narquois des villageois
Mais ses moutons empiètent sur le territoire de chasse au sanglier
Les ennuis commencent
Inutile d'en raconter plus
Nous sommes proches de l'univers de Jean Giono ou de Franck Bouysse
Le style est épuré, tendu et poétique à la fois à la manière d'un Erri de Luca
Pas besoin de 100 pages pour décrire la naissance d'une histoire amoureuse
Nous sommes dans la montagne chez des gens simples et ces choses arrivent tout naturellement
J'ai souvent critiqué les livres à rallonge qui gagneraient à être élagués
Jérôme Bonnetto nous offre un texte simple dans le propos mais très travaillé.
Pas de scories, pas de digressions futiles.
Exactement comme le monde rural où il situe son livre
J'ai lu ce livre d'une traite, plongé dans une tragédie à l'issue incertaine
Une belle découverte.De la vraie littérature
Avec une intrigue assez classique, Jérôme Bonnetto nous donne une oeuvre ciselée et envoûtante .



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Les moutons de la discorde

Dans un roman rural construit comme une tragédie grecque, Jérôme Bonnetto nous entraîne dans un conflit entre un berger et des chasseurs. Et à une réflexion sur la place de l'autre au sein d'une communauté repliée sur elle-même.

Comme le fils prodigue, Guillaume Levasseur a choisi de partir pour découvrir le vaste monde, en travaillant notamment pour des ONG en Afrique. le voici die retour à Ségurian, un petit village de montagne où il retrouve ses parents, Jacques et Catherine. «À aucun moment ils n'eurent l'idée de lui faire le moindre reproche. Guillaume était devenu un homme. le verbe, surtout, avait changé. Il s'exprimait mieux, ses phrases coulaient dans une syntaxe ample que des mots précis et nuancés irisaient. Il était devenu un homme fin et fort tout à la fois.»
C'est là, dans ce village de 400 âmes qui «n'était pas un pays mais un jardin», qu'il entend s'installer en communion avec la nature et reprendre le métier de berger qui avait disparu au fil des ans.
Une initiative que les autochtones vont d'abord regarder avec indifférence avant de constater que ces moutons gênent leur loisir favori, la chasse. Désormais, ils sont entravés dans leurs battues, gênés par le troupeau. Guillaume sait qu'il a le droit avec lui et refuse de dégager. Mais que peut le droit face aux traditions solidement ancrées et à une histoire qui s'est cristallisée au fil des ans autour de la famille Anfosso? Leur entreprise de construction règne depuis des générations sur le village. Il suffit d'une visite au cimetière pour comprendre la manière dont la communauté fonctionne: «En dehors des Anfosso, on y trouvait quelques noms connus. Pastorelli, Casiraghi, Barral, Leonetti. Des familles bien de chez nous. Deux ou trois d'entre elles avaient fait les grandes guerres. On leur avait donné un emplacement à l'ombre sous des pierres lourdes et admirables. D'autres avaient défendu l'Algérie française. Allée principale, plein soleil. Chacun était à sa place et de la place, il y en avait pour tout le monde. Au fond dormait le caveau de la famille Levasseur. La pierre était lisse et fraîche, elle n'avait pas eu le temps de se polir, de faire des racines. On jurerait qu'elle sonne creux. Seulement une génération sous la terre. Une pièce rapportée, des estrangers, des messieurs de la ville comme on dit.»
Au fil des jours, le conflit s0envenime, les positions se figent. La Saint-Barthélemy, le jour de la fête du village célébrée 24 août, marquant le point d'orgue d'une guerre qui ne va pas restée larvée. Un mouton est retrouvé égorgé et il ne fait guère de doute sur l'origine de l'attaque. Mais Guillaume préfère minimiser l'affaire et se concentrer sur l'accroissement de son troupeau. «On continuait de se regarder de travers, des regards tendus comme une corde de pendu, mais – et c'était bien l'essentiel – on partageait la montagne, même si on le faisait un peu comme on séparerait le bon grain de l'ivraie. La vie poursuivait son cours.»
Construisant son roman comme une tragédie grecque, avec unité de lieu et même un choeur de femmes qui «s'ouvrait sur une étrange mélodie, tremblante, incertaine, comme le vol d'une chauve-souris en plein jour», Jérôme Bonnetto réussit à faire monter la tension page après page jusqu'à cet épilogue que l'on redoute. Ce roman est à la fois un traité de l'intolérance, une leçon sur les racines de la xénophobie et un conte cruel sur l'entêtement qui peut conduire au pire, mais c'est avant tout un bonheur de lecture.


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« S'il y a des hommes par ici, c'est que la montagne les tolère ».
Cette montagne où se niche le petit village de Segurian, c'est justement là que Guillaume a choisi de s'installer après avoir bourlingué, pour y élever des brebis dans des pâturages naturels et sains. Une montagne où les espaces, la flore, les pierres, les loups ou les sangliers vivent en harmonie, tolérant les hommes qui n'y sont que de passage.

Reste que les hommes, eux, ont plus de mal à se tolérer les uns les autres. Au pays des taiseux et du « ici c'est chez nous », l'arrivée d'un étranger passe mal. Au pays des chasseurs, l'entrave, même limitée, à leur terrain de jeu habituel est inacceptable. Au pays des chiens, le mouton n'est pas un ami… Les regards se jaugent, l'incompréhension s'installe, l'incident arrive, le ressentiment devient vengeance, la tension monte et les conditions du drame se mettent inexorablement en place.

La certitude des pierres de Jérôme Bonnetto est un livre qui, à défaut de proposer une intrigue originale, parvient à nous immiscer crescendo dans cette atmosphère naturelle et poétique, tendue et sombre qui n'est pas sans rappeler certaines pages de Jourde, Brunet ou même Maupassant quand il écrit sur la chasse. Il y a en outre, une belle étude de caractères et d'analyse des âmes de ces villageois dont la destinée semble inflexible, à l'image du jeune Emmanuel, porteur d'espérances déçues.

Un regret cependant sur le style, certes puissant, souvent enlevé et passionné, mais parfois à l'excès : j'ai eu notamment du mal avec la profusion d'adjectifs et de métaphores, comme si un mot ne pouvait jamais se suffire à lui-même mais se devait d'être systématiquement renforcé ou comparé, avec une répétition du procédé finissant par lasser. Mais pas au point de gâcher une lecture – gentiment transmise par Séverine - où la bêtise de l'homme se révèle dans toute sa petitesse, ne méritant pas que la montagne le tolère plus longtemps…
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Citations et extraits (32) Voir plus Ajouter une citation
LA PREMIÈRE SAINT-BARTHÉLEMY
Il nous faut un homme, inconnu, avec un grand sac, un homme qui arrive par la route : le noir d’un point, d’une silhouette tout d’abord, longue, lointaine, puis un corps déjà, qui soulève un peu de poussière comme un petit nuage bas, puis un être, plus précis dans un savant contre-jour qui dessine le va-et-vient des cheveux au balancier de la marche, enfin un homme.
Il est grand, robuste. Il semble venir de loin. Il avance dans un frottement de jean, de cuir et de coton, arrangement naturel pour la mélodie légère des boucles métalliques du sac sur lesquelles rebondit une sorte de grigri africain. C’est la seule musique audible, juste suffisante pour égayer la marche.
On reste un peu avec lui, comme un ange invisible. On n’est pas si mal sur son épaule. On voit haut et bien. On écoute sa longue respiration que la barbe filtre. On s’en voudrait de fouiller dans ses poches ou d’ouvrir son sac. On saura bien assez tôt ce qu’il trimballe. Pour l’instant, il coupe la lumière prometteuse du matin.
Dans un virage s’esquisse à peine un petit chemin de terre. La pente est un peu plus rude par là, à l’écart de la route, et le soleil plus incisif, mais le chemin plus direct. Il n’est guère emprunté dorénavant et, malgré de longues années d’abandon, il résiste aux hautes herbes, comme si la terre, tellement foulée et refoulée, avait perdu toute vertu de fertilisation.
C’est ce chemin qu’il choisit, sans la moindre hésitation. Le village n’est plus qu’à un petit kilomètre, mais un kilomètre de rude montée en ligne presque droite. On aperçoit un ou deux lacets en contrebas des premières maisons, puis, tout là-haut, le clocher.
Le rythme de sa marche ne faiblit pas malgré la raideur de la pente. Par endroits, il pourrait presque toucher le sol simplement en tendant les bras. Son souffle s’accélère, raisonnablement. On ne perçoit pas de fatigue particulière. Parfois, les pierres roulent derrière lui, en entraînant d’autres au passage. Parfois, il prend appui sur une tige plus haute et plus solide que les autres, la serrant d’une main puissante. Parfois, les racines cèdent, alors il jette la tige dans les broussailles avant de s’agripper à une autre.
Il avance, mais c’est ici que l’on s’arrête. Le village est tout près. De dos, sa progression paraît encore plus rapide. Les herbes et le chemin au premier plan, il s’enfonce dans le cadre. On le devine désormais enroulant le dernier lacet. Puis sa tête disparaît.
C’était un 24 août. Guillaume Levasseur allait entrer dans le village.
C’était jour de fête. Comme tous les 24 août, on fêtait la Saint-Barthélemy et ce n’est pas rien.
Le 14 juillet, on faisait la fine bouche, on buvait un coup, on se couchait un peu plus tard, mais au fond on se préservait. Il y avait bien les enfants pour ouvrir de grands yeux devant le feu d’artifice, mais les anciens savaient que même les plus hautes fusées de la ville ne parviendraient jamais jusqu’au village. La révolution, on n’y était pas, on ne savait plus trop ce que ça signifiait. Il avait fallu trancher des têtes, on avait changé de salauds.
Le 24 août, c’était quand même autre chose. C’était la fête du Saint-Patron. Le reste du monde s’en contrefoutait et on adorait ça. Notre saint à nous. Bénédiction et protection. Ad vitam æternam, pour nous seuls.
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INCIPIT
Prologue
Le vent de Ségurian remonte le chemin Saint-Bernard et va se perdre tout en haut de la montagne, au-delà des forêts. C’est un vent tiède et amer comme sorti de la bouche d’une vieille, un souffle chargé de poussières de cyprès et d’olives séchées qui emporte avec lui les derniers rêves des habitants et les images interdites – les seins de la voisine guettés dans l’entrebâille -ment d’une porte, les rires des hommes à tête de chien, la dame blanche qui hante les bois. Dans sa course, il écarte ses bras et fait bruisser les feuillages des arbustes, les herbes folles, comme une rumeur. Partout sur les chemins, il efface les traces de pas.
Le village est plongé dans la torpeur, il est un corps suspendu, pour quelques instants encore, le temps de planter le décor.
On dort. Personne ne sait à qui appartient la nuit. Tout est gris-mauve et les chats ont des yeux de loup. La montagne le sait : bientôt, le disque solaire se reflétera dans la mer et la loi des hommes reprendra ses droits. Tout pourra recommencer.
On allume ici une lampe, là une cafetière, on fait glisser une savate, claquer l’élastique d’un slip. On avance à petits pas.
On a transpiré toute la nuit dans la mollesse des matelas, on s’est tourné et retourné en quête d’un peu de frais, pour quelques secondes à peine, puis on a retrouvé la chaleur froissée des draps. On en veut à l’autre d’être gras, de dégager toute cette moiteur, si bien qu’on a fini par le pousser un peu du talon, comme ça, en douce, pour gagner quelques centimètres.
La nuit peut être infernale par ici. On a cru que cette fois, on ne parviendrait pas à s’endormir, mais on a fini par y arriver, on a passé l’heure des braves, comme toujours, en bout de course, plus fatigué encore d’avoir lutté, les reins inondés de sueur tiède et la bouche sèche. Plus tard, on dira qu’il a fait chaud, juste pour lancer la conversation, mais on admet qu’on ne serait pas mieux dans le froid du Nord. On ne serait mieux nulle part ailleurs au fond. Inutile de chercher.
On est une race, un bois. La mesure se prend dans le ventre, on ne trouverait pas vraiment les mots pour bien l’expliquer. Ça se sent, voilà tout. C’est qu’on vient d’un pays à l’intérieur d’un autre pays comme la langue chante son accent local, son vocabulaire, une autre langue au fond de la langue, d’autres hommes parmi les hommes. C’est la terre qui décide ici, c’est elle qui trace les mêmes lignes sur les fronts, les mêmes cors aux pieds, les mêmes gestes. On est un bois, un bloc, une race.
On se comprend. On fait à notre idée. On a nos règles, les seules qui vaillent. Les autres peuvent passer, on les salue, de loin, comme ça. Du plus loin possible.
Les premiers rayons caressent la montagne. Chaque jour serait une naissance s’il n’y avait les hommes. Deux coups de chevrotine déchirent l’aube. Voilà, ça va commencer. Pas besoin de faire un dessin.
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Jeanne sentait bon la tarte aux myrtilles et aimait s'attacher les cheveux avec une vieille barrette en nacre. Elle aimait écouter Bob Dylan et Téléphone à fond dans sa voiture pourrie qu'elle garait partout de manière acrobatique. Elle aimait noter des petites phrases qu'elle oubliait dans des carnets qu'elle égarait. Elle avait vu tous les films de Truffaut, connaissait par cœur toutes les répliques de Jules et Jim. Elle aimait aussi fermer un œil puis l'autre pour déplacer les objets ou regarder se promener sur le sol le point de lumière perçant à travers le jour d'un volet. Elle aimait les dimanches matins, le bruit de la douche derrière une porte close et les imprimés fleuris. Il lui arrivait de faire couler du café et d'oublier de le boire. Elle aimait aussi quand ça résiste, quand ça fait un peu transpirer, quand il y a une récompense à la clé. Elle était arrivée à bout de Guerre et Paix et elle collectionnait les casse-tête. Elle aimait dessiner les visages des personnages dans les marges des livre. Elle aimait sa poitrine voluptueuse, ses mains, le creux de son aine, mais elle ne supportait pas d'entendre sa voix enregistrée. Elle aimait les mi-saisons, les prunes très mûres et pleurer quand elle était heureuse.
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Il fallait venir au cimetière, là, lové en contrebas du village, pour prendre son pouls et lire l'état civil. A Ségurian, il y avait quatre cents âmes qui vivaient et des milliers qui reposaient. On se dit parfois que les vivants ne font pas le poids.
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La troisième Saint-Barthélemy
Des mois étaient passés, on ne savait trop comment. On faisait aller. L’hiver replie les âmes sur elles-mêmes, rétracte les envies comme les coins d’une vieille lettre jetée aux flammes. Le berger avait fini par oublier les chasseurs, petit à petit, il avait cessé d’attendre une explication concernant la mort du mouton. L’assurance avait refusé de rembourser sous prétexte qu’il fallait le collier du chien pour preuve du préjudice. Finalement, Guillaume s’était recentré sur son travail et il avait fait fructifier, c’était le moins que l’on puisse dire. Les premières rentrées d’argent avaient dépassé ses espérances. Son cheptel s’était très vite fait une place sur le marché. C’est qu’il faisait de la qualité, le berger, tout le monde le disait dans le métier. Il commençait déjà à se faire un nom. Il voulait réinvestir sans attendre. Il prospectait déjà en vue d’acquérir de nouvelles bêtes jusqu’à doubler dès l’été son troupeau. Il n’avait aucun besoin : un peu d’essence dans la moto, quelques pochettes de tabac à rouler et, pour la nourriture, il vivait encore, sans se l’être explicitement formulé, dans le giron de Catherine, sa mère, qui n’arrivait jamais les mains vides et laissait chaque jour des plats cuisinés ou abandonnait ici et là des boîtes, des fruits et des sacs gorgés de victuailles. Guillaume faisait semblant de s’en offusquer, il soufflait, refusait, s’énervait même p. 77
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