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Le samedi 16 janvier 2016, une jeune femme arrive au musée d'Orsay à
Paris, se déshabille tranquillement devant les visiteurs ébahis, puis s'allonge, nue comme un ver, devant « L'Olympia » en prenant la pose de la femme étendue sur un lit peinte par
Edouard Manet en 1863.
Edouard Manet était un visionnaire puisque, de nos jours, son tableau fait encore la une de l'actualité... Les passions semblent ne s'être pas totalement éteintes…
Dans les années 1860,
Edouard Manet était le maître respecté de tous les jeunes artistes qui voyaient en lui le porte-étendard des peintres avant-gardistes. Il animait les réunions dans les cafés
parisiens où il exerçait une grande influence dans les discussions.
Un dandy ! le peintre aimait les cafés à la mode et la compagnie des belles femmes dont il croquait certaines dans son atelier. Presque chaque jour, il allait aux Tuileries où
Baudelaire était souvent son compagnon de promenade. le soir, il adorait se montrer aux Folies Bergères, élégamment habillé avec sa canne et un haut-de-forme en soie. Au premier rang de la salle de spectacle, sa loge était réservée d'où il contemplait une faune bruyante dont la fumée des cigares montait en formant une brume qui enrobait les lustres d'un nuage vaporeux.
Comme artiste, il était inclassable. Sa part dans la genèse de l'impressionnisme fut prépondérante. Solitaire, il refusait d'exposer avec ses confrères et amis qu'il soutenait. le Salon lui refusait la plupart de ses toiles, mais il s'obstinait : « Je triompherai au Salon officiel ! ». À mi-chemin entre classique et moderne, ses oeuvres déclenchaient des esclandres incroyables. Il faut dire que l'homme aimait choquer.
Je reviens sur les Salons des Refusés de 1863 et 1865 qui suscitèrent des réactions épidermiques et marquèrent sa rupture avec le classicisme.
Après son « Déjeuner sur l'herbe », beaucoup critiqué, présenté en 1863, Manet double la mise en 1865 avec « Olympia ».
Cette fois le scandale est énorme. Manet se plaint à
Baudelaire : « Les injures pleuvent sur moi comme grêle, je ne m'étais pas encore trouvé à pareille fête. » Les critiques se surpassent : « Qu'est-ce que cette odalisque au ventre jaune, ignoble modèle ramassé je ne sais où » ; « Une ignorance presque enfantine des premiers éléments du dessin, un parti-pris de vulgarité inconcevable » ; « Cette brune rousse est d'une laideur accomplie ».
Comble de la provocation ! Manet présente au Salon, associé à « Olympia », un « Christ insulté par les romains » ce qui choque encore plus les visiteurs.
Qu'a donc voulu faire
Edouard Manet dans sa toile « Olympia » ? Se confronter au passé ?
Manet ne voulait pas provoquer. Il semblait sincère : « J'ai fait ce que j'ai vu », écrit-il. Olympia remonte à la Renaissance italienne. le thème artistique de la prostituée est vu sous l'angle d'une réalité contemporaine non idéalisée, une prostituée de luxe ou cocotte disait-on. Les impressionnistes, de Degas à Lautrec s'en réclameront.
Incontestablement, deux références picturales ont inspiré le peintre :
Titien et sa « Vénus d'Urbin » de 1538 dont la pose est très ressemblante.
Goya et sa « Maja nue » de 1800 pour l'arrogance du modèle.
Pour les contemporains la scène est explicite : Manet a peint une prostituée allongée, offerte, attendant le client, l'ambiance exotique et érotique étant accentuée par le bouquet de fleurs, hommage d'un client, et une servante noire entremetteuse.
Manet a fait de son modèle préféré, Victorine Meurant, un nu moderne, réaliste. En 1890, le critique d'art
Gustave Geffroy dira : « libre fille de bohème, modèle de peintre, coureuse de brasserie, amante d'un jour […] avec sa face d'enfant vicieuse aux yeux de mystère. ».
Au milieu de toutes les critiques de « L'Olympia »,
Baudelaire soutiendra Manet, et je retiendrai un extrait de l'article élogieux écrit par
Emile Zola dans son Salon de 1865 :
« J'ai dit chef-d'oeuvre, et je ne retire pas le mot. Je prétends que cette toile est véritablement la chair et le sang du peintre. Elle le contient tout entier et ne contient que lui. Elle restera comme l'oeuvre caractéristique de son talent, comme la marque la plus haute de sa puissance.
(…) Lorsque nos artistes nous donnent des Vénus, ils corrigent la nature, ils mentent.
Edouard Manet s'est demandé pourquoi mentir, pourquoi ne pas dire la vérité ; il nous a fait connaître Olympia, cette fille de nos jours, que vous rencontrez sur les trottoirs et qui serre ses maigres épaules dans un mince châle de laine déteinte. le public, comme toujours, s'est bien gardé de comprendre ce que voulait le peintre ; il y a eu des gens qui ont cherché un sens philosophique dans le tableau ; d'autres, plus égrillards, n'auraient pas été fâchés d'y découvrir une intention obscène. Eh ! dites-leur donc tout haut, cher maître, que vous n'êtes point ce qu'ils pensent, qu'un tableau pour vous est un simple prétexte à analyse. Il vous fallait une femme nue, et vous avez choisi Olympia, la première venue ; il vous fallait des taches claires et lumineuses, et vous avez mis un bouquet ; il vous fallait des taches noires, et vous avez placé dans un coin une négresse et un chat. Qu'est-ce que tout cela veut dire ? Vous ne le savez guère, ni moi non plus. Mais je sais, moi, que vous avez admirablement réussi à faire une oeuvre de peintre, de grand peintre. »
Lors d'une exposition posthume, l'année suivant la mort d'
Edouard Manet en 1883,
Zola dira que son rôle de précurseur ne pouvait plus être nié par personne.
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