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EAN : SIE296221_469
Seuil (30/11/-1)
3.44/5   8 notes
Résumé :
Dans une petite ville perdue comme une porcherie au milieu de la steppe d'une Russie à la fois imaginaire et terriblement ancrée dans la fange du réel, un garçon cherche à exister, immergé dans sa graisse, face au monde malsain des adultes incapables de le comprendre.

Ce souvenir d'une enfance douloureuse et solitaire, extravagante aussi, est celui d'un ancien légionnaire enfermé entre les quatre murs d'une prison, peut-être d'un hôpital psychiatriqu... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (3) Ajouter une critique
« Svinobourg » est le second roman écrit par Dmitri Bortnikov, on devrait dire écrit en russe et traduit par Bernard Kreise (2005, le Seuil, 469 p.). Par la suite, il écrira « Purgatoire » traduit par Julie Bouvard (2022, Editions Noir sur Blanc, 288 p.), histoire qui rappelle plutôt une belle endormie, selon son titre russe.

« La nuit ici, tout est calme, très calme. Je parle de la cellule. Je suis déjà revenu à la prison. Je suis ballotté d'un endroit à l'autre. Maintenant me voilà de nouveau ici. Pas de tic-tac de réveils, pas de coups de feu à la télévision, pas de cris d'enfants, pas de larmes, pas de bruits de bagarres, pas de plaintes. Personne ne meurt, personne n'est malade. Tout est calme. Nous sommes immortels comme des pharaons ». Comme on le voit un jeune garçon russe, est enfermé dans une cellule. Prison, ou hôpital psychiatrique, on ne sait pas bien, mais c'est au milieu de l'immense steppe russe. Ancien légionnaire, tout comme Dmitri Bortnikov, lui aussi passé par la case « cellule » mais en tant que « professeur de danse ». Neuf mois dans la Légion Etrangère, alors qu'il avait les papiers et visas requis, mais c''était pour se refaire une vie anonyme. Comme il le dit, ce n'était riencomparé à son service national dans l'Armée Rouge entre 1986 et 1988. Période de rencontres bizarres mais intéressantes, comme celle des vrais chamans de Yakoutie.

Pépé, c'est son grand-père chez qui il a été élevé, avec Nastia sa grand-mère. « C'était un grand homme. Il lisait la Bible aux cabinets, tous les jours, à la même heure. A voix haute. En plus, il m'a appris à boutonner ma braguette ». Alexandre Vialatte, qui ne lisait pas la Bible aurait ajouté « Et c'est ainsi qu'Allah est grand ».
Puis, on passe à Madame Borgne. Mais c'est après une transition marquée par un « -------------------------------------» et cette « Madame Borgne me prend pour un dingue ! Tu parles ! Parce que je souris quand je me souviens de Pépé ». Mais en contrepartie, « Elle sent bon. On croirait du linge qui sort tout juste du repassage§ Ou une prairie au mois de mai, qui regorge d'herbes et d'abeilles complètement pétées ». Elle l'interroge, en compagnie d'un interprète. On ne sait jamais avec les fous. Il « parlera de l'interprète plus tard. C'est aussi un sujet very interestingable ».
C'est une prison. « La prison est ancienne, la vue est belle. C'est le premier indice d'une vieille prison. A main gauche, on découvre le château du roi René, et devant il y a un parc ». Me voilà tout perdu. Il est bien écrit « une prison à côté du château du roi René ». La scène se passe donc à Angers, dans la pénitentiaire. Alors que vient nous embrouiller le quatrième de couverture « Dans une petite ville perdue comme une porcherie au milieu de la steppe d'une Russie à la fois imaginaire et terriblement ancrée dans la fange du réel ». C'est encore le stagiaire qui l'a rédigée, comme le veut la plate excusatitude du prote éditorial. « Ah, ha, le personnel de la prison, voilà comment il embaume maintenant ». C'est sans nul doute dû au fait que la journaliste du « Canard Enchaîné », spécialisée dans le judiciaire et pénitentiaire a été nommée « Contrôleuse générale des prisons ». Ou alors j'ai loupé un épisode (des années de mitard sans doute).

Bon, retour à la « porcherie au milieu de la steppe ». Les deux personnes, dont l'interprète, « tous deux bouffis de compassion » ont demandé au jeune d'écrire ce qu'il ressentait, vu qu'il ne parlait pas. « Je lui ai rendu une feuille blanche ». Hélas, ce sont « tout simplement des espèces de Notre-Dame-de-Miséricorde à deux pattes ». Il n'y aura ni dessin, ni paragraphes. Juste une longue liste des gens qu'il a rencontré, à la Légion ou autre part. La plupart, morts maintenant ou disparus.
De « l'autre côté du village. C'est là qu'habitent les plus riches. Ils ont des réfrigérateurs. Ils ont des cuvettes de w.-c. Certains circulent dans leur propre voiture ». « Ici, ce sont d'autres chiens qui sont enchaînés, pas de vulgaires cabots ». C'est effectivement un autre monde. « Les maisons sont silencieuses. Il n'y a pas d'odeurs de cuisine ».
« Si j'avais vu des montagnes, j'aurais aimé les montagnes. Si j'avais vu la mer, j'aurais été différent. Je n'avais que la steppe devant mes yeux. Je ne me rappelle ni la mer, ni les montagnes, bien que je sois allé à la montagne et à la mer ». Bon il a vu Angers et le château du bon roi René. Mais il n'a pas vu Vesoul, ni Vierzon, ni Honfleur (il est vrai que je ne suis pas encore à la fin du livre). Pourtant, il a dû voir Elseneur. On le retrouve sous forme de « l'histoire ancienne de ce prince du Danemark qui feignait la folie afin de venger le meurtre de son père ». ce sera son Ophélie de soeur, sous le nom d'Olga, qui se noie dans la rivière, en robe rouge. Dans « Svinobourg », il rajoute le nom de « Saxo Grammaticus » qui résonne « comme un véritable enchantement ».
Peut-être a t'il tout simplement lu la « Gesta Danorum » qui raconte la geste qui a vu les exploits du père et du grand-père du moine danois, en tant que soldats du roi Valdemar le Grand. Ce qui est fort probable car on admet que Shakespeare ne connaissait même pas l'existence du danois, donc à priori celle de la saga, rédigée vers 1200. Et pourtant elle existe, traduite par Jean-Pierre Troadec sous le titre de « La Geste des Danois » (1995, Gallimard, L'Aube des Peuples, 448 p.). Dommage, mais Dimitri a bien retenu le roi Hadingus, qui n'a pas le caractère d'un dieu nordique. Il a sûrement plus apprécié le héros Starcatherus, de son petit nom local Starkaðr, né avec six bras (un autre texte stipule trois paires de mains). Et à qui Thor coupe les bras supplémentaires pour lui donner une forme humaine. Comme quoi Thor ne les avait pas tous, les torts. Mais c'est de la faute à son grand-père, qui a fauté, et qui transmet cette tare héréditaire. On excuse donc, en partie le prince Amlethus, qui simule la folie, et sa vengeance. A prendre connaissance avec la famille de Bortnikov, on n'est pas surpris de voir que la lecture de la saga danoise ait réveillé en lui des souvenirs douloureux.
Et ça continue à mourir dans l'entourage de Dimitri. « Après que les vieilles de l'immeuble moururent l'une après l'autre, tandis que celles qui restaient étaient solides, nous avons organisés des obsèques pour nous-mêmes. Tantôt c'est moi qui pleurais Vitka, tantôt c'est lui qui me pleurait. Là, il était meilleur que moi ». Voilà une occupation qui, du moins, ne risque pas de connaître une pénurie ou un manque. Il est surprenant de lire dans les livres de Bortnikov autant de référence à des personnes mortes ou disparues. D'autant plus que le jeu consiste « à faire rire le macchabée ». « Il suffisait de bien lui serrer le châle et, en plus, de faire saillir le menton pour que je m'écroule de rire sous la table ». On ne dira jamais assez les distractions simples que peuvent procurer les autres gens à ceux qui restent.
Un peu plus loin, c'est un autre cadavre qui assure le régal et la distraction d'un corbeau. « Je suis resté et j'ai regardé sans ciller ce corbeau. Il descendait et se posait sur le cadavre. Il entamait son festin. Après avoir piétiné le cadavre, il sautillait comme s'il s'amusait. Comme s'il dansait. Puis il grimpait de nouveau sur lui et se figeait quelques secondes ». Un seul corbeau vous manque et tout est dépeuplé. Et dire que pendant des périodes troublées, on utilisait des corbeaux pour en faire de la soupe. Plus loin, on aura des nouvelles du chien et du corbeau. Non pas que Bortnikov ne devienne fabuliste, mais tout simplement fabuleux. « Seulement la tête… Seulement cette tête aveugle… Cette relique… Il n'y avait pas d'yeux. le corbeau avait picoré les yeux. Il n'y avait pas de cervelle. le corbeau avait picoré la cervelle. Il n'y avait pas de langue. le corbeau avait picoré la langue ».
Il se met ensuite à écrire. Des lettres, la première à la soeur de mon père », pour son anniversaire. Et pour lui dire que « tout va bien ». Un peu sur le thème de la marquise. « Et chez nous, tout-va-pour-le-mieux ! la grange a brulé, la jument a crevé ! tout-va-bien, tout-va-bien !!! ». Puis, après un déménagement, il change de quartier, pas forcément en mieux, mais « avec des chiottes en bois dans la rue », et des inscriptions au charbon de bois. « Ecrire sur les murs des toilettes, je vais vous dire, c'est pas difficile… Au milieu de la merde : là, vous êtes tous des poètes ! Au milieu des poètes, là vous êtes tous de la merde ! ». C'est un peu le « Lutrin » traduit en le « l'étron » dans sa version en slavon.
Echos du presque bout du monde, avec des nouvelles de Petropavlosk-Kamtchatskoïé, là où il fait froid toute l'année où presque. La piste qui mène au volcan Moutnovski vaut le détour. Elle conduit à une centrale géothermique qui fournit l'électricité à la ville de Pétropavlosk, à la place d'une centrale a fuel qui fume d'un noir plus que noir. le long de cette piste, sèche au mois de septembre, des poteaux de 6 mètres de haut. Ce sont les jalons pour la neige. Et en ville, les appartements du rez de chaussée ne sont pas habités. Pas moyen d'ouvrir les volets, bloqués par la neige en hiver. Mais les rivières regorgent de saumons rouges. Et au marché de la ville, les oeufs de saumons se vendent dans des grands seaux de cinq litres. Un régal.

Pour revenir à Dimitri (ou Dmitri) Bortnikov, lisez-le. C'est fort agréable, cette nouvelle génération d'écrivains russes, maintenant ayant trouvé place en France.
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On retrouve une enfance ancrée dans les souvenirs des grands parents, obsessionnel du sang et qui n'a pas peur des mots de merdes, littéralement, mais ce n'est pas vulgaire, c'est bien plus que ça. La médecine s'illustre comme secours, un livre ode à la médecine

Un roman clé. Honnêtement, il a remué en moi. Récit d'enfance. C'est si beau, brillant, poignant que ça donne envie d'écrire. Aussi cette critique est écrite à chaud. Bouillante. C'est vraiment grand.
Un roman inachevé ? Qui s'achève à l'enfance ? Toujours dans l'écriture nébuleuse et noire qui m'avait tant charmée, accompagnée des fantômes de la mémoire.
Incroyable.
Inachevé ? On se perd dans le recit, un souvenir entraînant un autre, puis revenant… Et pourtant on s'y perd sans s'y perdre. Un coup de maître. Incroyable encore. Et souvent « mais je le raconterai plus tard » cette phrase, comme une litanie, et on continue, en attendant ces passages qui vont être aussi passionnant que le premier. Je ceux sous nos yeux. Et puis, plus rien. Ils n'arrivent jamais. Et c'est fabuleux.
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Ce récit d'enfance m'a profondément remué.
L'écriture de Bortnikov possède toujours cette pâte, ce je ne sais quoi ancré dans la fange, la mort, l'incapacité de s'exprimer qui pourtant donne un style bien reconnaissable, qui entraîne le lecteur, merveilleux.

Voilà des récits d'enfance, et bien que ce ne soit pas mon truc, ici, les tourbillons de vies qui encadrent l'enfance appellent plutôt à la mort et fascinent.

Cette enfance, grâce à l'écriture, paraît hallucinée, déjà hantée par de violents souvenirs. Sans atteindre réellement la vulgarité, les mots de ce livre sont durs, inquiétants.

Mais c'est si beau, brillant, poignant que ça donne envie d'écrire. C'est vraiment grand.
Un roman à l'écriture nébuleuse et noire accompagnée des fantômes de la mémoire.
Incroyable.
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Citations et extraits (13) Voir plus Ajouter une citation
La nuit ici, tout est calme, très calme. Je parle de la cellule. Je suis déjà revenu à la prison. Je suis ballotté d'un endroit à l'autre. Maintenant me voilà de nouveau ici. Pas de tic-tac de réveils, pas de coups de feu à la télévision, pas de cris d'enfants, pas de larmes, pas de bruits de bagarres, pas de plaintes. Personne ne meurt, personne n'est malade. Tout est calme
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Je suis resté et j’ai regardé sans ciller ce corbeau. Il descendait et se posait sur le cadavre. Il entamait son festin. Après avoir piétiné le cadavre, il sautillait comme s’il s’amusait. Comme s’il dansait. Puis il grimpait de nouveau sur lui et se figeait quelques secondes
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Après que les vieilles de l’immeuble moururent l’une après l’autre, tandis que celles qui restaient étaient solides, nous avons organisés des obsèques pour nous-mêmes. Tantôt c’est moi qui pleurais Vitka, tantôt c’est lui qui me pleurait. Là, il était meilleur que moi
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Seulement la tête… Seulement cette tête aveugle… Cette relique… Il n’y avait pas d’yeux. Le corbeau avait picoré les yeux. Il n’y avait pas de cervelle. Le corbeau avait picoré la cervelle. Il n’y avait pas de langue. Le corbeau avait picoré la langue
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Si j’avais vu des montagnes, j’aurais aimé les montagnes. Si j’avais vu la mer, j’aurais été différent. Je n’avais que la steppe devant mes yeux. Je ne me rappelle ni la mer, ni les montagnes, bien que je sois allé à la montagne et à la mer
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