AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet

Édith Scherrer (Traducteur)Françoise Marrou-Flamant (Éditeur scientifique)
EAN : 9782070424214
368 pages
Gallimard (15/09/2003)
3.59/5   81 notes
Résumé :
Toute réalité comporte, il est vrai, une bonne dose d'irrationnel, à y regarder de plus près ; cependant, tout est une question de degré.
Dès l'instant où un certain nombre de critères élémentaires sont remis en question, dès lors que le bon sens et la raison sont mis en hibernation artificielle, l'engrenage diabolique est enclenché. Quand, sur simple décision administrative, on peut payer des travailleurs avec des allumettes qui ne s'allument pas, escamoter ... >Voir plus
Que lire après Les oeufs fatidiquesVoir plus
Critiques, Analyses et Avis (9) Voir plus Ajouter une critique
Mikhaïl Boulgakov a terminé la rédaction des « Oeufs fatidiques » en octobre 1924. La nouvelle a été publiée dans la revue littéraire Niedra en Février 1925. Elle a ensuite été éditée dans le premier livre de l'auteur, un recueil de nouvelles intitulé « Endiablade ». Il faut souligner l'importance de ces publications pour un auteur dont l'existence et la création ont été constamment brimées par la censure des autorités soviétiques et qui, de son propre aveu, écrivait pour « son propre tiroir ».

Le diable n'est jamais loin: apparitions mystérieuses, personnages méphistophéliques, succession effrénée et insensée d'évènements… Nous retrouvons bien les ingrédients du fantastique chers à Boulgakov . Mais les « Oeufs fatidiques » sont avant tout un récit de science-fiction dans la lignée directe de H.G. Wells. Boulgakov fait explicitement référence au roman « Place aux géants » dans son texte et en adapte la trame.

Ce récit rédigé en 1924, débute quatre années plus tard, dans un Moscou qui a passé le plus dur des épreuves de la guerre civile (logement, famine, chauffage, pénuries) et semble vivre dans une nouvelle opulence. le lecteur sarcastique peut noter que cette prospérité est l'élément fictif le plus incroyable du récit. Persikov, le personnage principal, est un éminent zoologiste, spécialiste des amphibiens. C'est un Professeur Nimbus au physique singulier. Il dirige un Institut qui retrouve sa grandeur passée après les pénuries des années de guerre. Dérangé au cours d'une expérience , le professeur découvre par hasard les effets d'un rayon rouge sur des amibes en culture. Les amibes se reproduisent rapidement et font preuve d'une agressivité inhabituelle. Il parvient à recréer le rayon en fabriquant des chambres noires et le teste avec succès sur des grenouilles. Là aussi, les résultats sont prodigieux : la reproduction et la croissance sont accélérées. La nouvelle de la découverte va s'ébruiter dans un Moscou enivré par une activité enthousiaste. Persikov va recevoir la visite de journalistes mais aussi d'un espion. Dans le même temps, les poulaillers du pays sont décimés par une maladie mystérieuse. L'épidémie est si virulente qu'elle conduit à une extinction complète de tous les poulets de la Russie soviétique, étonnamment circonscrite aux frontières du pays. Rokk, dont le nom en russe signifie « destin », voit dans l'invention de Persikov la solution pour réintroduire à grande échelle les volailles. Il obtient du gouvernement l'autorisation de confisquer les chambres noires et de les transporter au sein du Sovkhoze qu'il dirige, « le rayon rouge », alors même que Persikov lui a précisé que l'expérimentation n'était pas achevée. L'empressement passant devant la prudence, Rokk va être l'initiateur d'une véritable catastrophe….

Boulgakov, conscient que l'histoire déplairait aux autorités, a écrit dans son journal : «Est-ce une satire? Ou un geste provocateur? ... Je ai peur que je pourrais être transporté hors ... pour tous ces exploits héroïques. » Il est même surprenant que la nouvelle ait été publiée. 1924 est une année charnière : Lénine vient de mourir, Staline installé dans une direction collégiale écarte peu à peu ses opposants et ses rivaux. Boulgakov utilise son ironie pour évoquer des événements tragiques comme le communisme de guerre ou lorsqu'il parle de la veuve d'un prêtre « décédé de contrariétés antireligieuses ». Nous sommes très loin des récits de Nikolaï Ostrovski
Il est aussi possible d'interpréter la nouvelle comme une satire de la jeune République soviétique : Lénine et Persikov se ressemblent, et le rayon rouge, idée brillante tant qu'elle est circonscrite dans un laboratoire, développée et non maîtrisée, sème la mort et la désolation dans toute la Russie… Cette nouvelle a été publiée et a été lue par les apparatchiks littéraires qui ont bien compris que l'auteur n'entrait par dans le cadre de ce qui sera prochainement appelé « le réalisme socialiste ». S'il ne sera ni interné, ni déporté, Boulgakov sera dans les années qui viennent suivi par le Guépéou et sera presque systématiquement censuré.

A noter aussi : dans la nouvelle, Boulgakov règle ses comptes avec le milieu théâtral (il le fera également dans deux de ses romans non publiés : le roman théâtral et le maître et Marguerite) : il raconte la mort d'un célèbre metteur en scène, personnage réel et toujours en vie en 1924, qu'il imagine écrasé par la chute d'acteurs nus au cours d'une adaptation avant-gardiste d'une pièce de Pouchkine...

Récit de science-fiction sur les dangers d'une "science sans conscience" ou satire antisoviétique sur la peste rouge? A vous d'interpréter ce texte. Je vous le conseille si vous avez déjà croisé le sieur Boulgakov et apprécié sa manière de tirer le diable par la queue, ses élucubrations apocalyptiques, son ironie ravageuse et ses tacles "les deux pieds décollés" sur le terrain des équipes d'Union Soviétique de littérature et de théâtre .
Commenter  J’apprécie          172
Un savant fou, une expérience qui tourne mal, une satire sociale de tous les instants, des personnages farcesques… Non ce n'est pas Coeur de chien, mais avec Les oeufs fatidiques, Boulgakov élabore un autre récit de science-fiction sous haute influence de HG WellsPlace aux géants » est cité comme référence au début du texte). Boulgakov situe cette fois son intrigue en 1928, soit trois ans en avance par rapport à la date d'écriture. Dans ce futur proche, la ville soviétique devient un maelström de sons et de lumières.

Sans doute inspiré par les débuts du cinéma et la propagation de la « fée électricité », Boulgakov anticipe l'apparition des écrans publics en couleur, qui diffusent des informations. Cela devait faire son petit effet pour le lecteur de 1925, et encore aujourd'hui les descriptions de cette Moscou futuriste s'avèrent très chatoyantes.

La critique du nouveau régime m'a d'abord paru assez subtile, j'ai surtout cru la distinguer dans la façon fort chaotique dont réagissent ces russes du futur antérieur, et dans l'épidémie qui décime leur volaille (allusion à la famine de 1920-1922)… jusqu'à me rendre compte que j'avais négligé le principal. À savoir, la couleur du rayon miraculeux, envisagé comme remède à ladite famine : un rayon rouge qui stimule démesurément la croissance et l'agressivité des êtres qui y sont exposés. Ce nez (rouge) au milieu de la figure semble avoir également échappé aux autorités soviétiques, puisqu'elles avaient initialement toléré la publication de ce texte (!)… avant de très vite faire machine arrière, aboutissant à la situation du Boulgakov impubliable que l'on connaît.

Le récit met un peu de temps à entrer dans le vif du sujet, Boulgakov privilégie les scènes et dialogues théâtraux, avec notamment un comique de répétition bien senti entre le savant Persikov et son assistant. L'horreur prend ensuite brutalement le pas sur la comédie, avant une fin décevante, douche froide que l'auteur paraît reconnaître lui-même dans le titre du dernier chapitre (« Deus ex machina glacé »). Faute avouée faute à moitié pardonnée ? Clairement pas le meilleur texte de Boulgakov, mais distrayant et imaginatif tout de même.
Commenter  J’apprécie          148
L'ouvrage contient quatre nouvelles : Les Oeufs fatidiques, Diablerie, La Commune ouvrière Elpite n°13 et Les Aventures de Tchitchikov.
On retrouve dans ces récits la forte influence des nouvelles peterbourgeoises de Gogol et les prémisses d'oeuvres maîtresses de Boulgakov à venir. La poursuite effrénée qui fait le sujet de Diablerie rappelle les futurs premiers chapitres du Maître et Marguerite, les difficultés de logement de la Commune ouvrière Elpite se retrouveront dans La Garde blanche. La dernière nouvelle décrit comment Tchitchikov (l'escroc des Âmes Mortes de Gogol) tire son épingle du jeu dans le chaos du Moscou des années 20.

Sans conteste, la plus aboutie des quatre nouvelles est celle qui ouvre le recueil, Les Oeufs fatidiques. C'est, derrière une apparente histoire de science-fiction à la H. G. Wells, une satire transparente du système soviétique (soumis à une mystérieuse lumière "rouge", d'inoffensifs animaux deviennent tout à fait agressifs) et surtout de la confusion qui règne dans ces premières années de la révolution russe. Au-delà de ce sujet, c'est toute la magnifique technique de narration de Boulgakov qui est déjà à l'oeuvre, sa caractérisation mordante des personnages (la description du Pr Persikov est inoubliable), ses splendides descriptions de paysages, ses sauts brutaux d'un point de vue à l'autre et son humour caustique qui, feignant de prêter un sens au chaos et une volonté au hasard, transforment la médiocrité en un univers profondément fantastique.
Commenter  J’apprécie          50
Livre intéressant.
Récit de science-fiction, court, il a pour cadre la Russie des années 1924 et développe un thème particulièrement d'actualité.
Il met en scène la découverte d'un chercheur, le professeur Persikov, intéressé par les amphibiens et les amibes.
D'autres ont voulu s'approprier ses recherches et courent au cataclysme…
Commenter  J’apprécie          80
A moins d'être un russophile invétéré, je ne vois pas l'intérêt de lire ce livre dans ce début de 21ième siècle, ébranlé en cette fin d'année par la protestation des gilets jaunes et le nouvel attentat terroriste de Strasbourg. Qu'en aurait écrit Boulgakov ? Quelles allégories aurait-il utilisées pour décrire ces violences perpétrées par de petits groupes: nos dites élites politiques et nos ennemis musulmans, contre les aspirations profondes de notre peuple et de sa civilisation ?
Il faut dire aussi que j'ai lu Роковые яйца dans une édition Folio bilingue dans le but d'améliorer ma connaissance de la langue russe. Et là il faut s'accrocher ! Quel russe alambiqué, ampoulé, très loin du russe parlé, avec des phrases dans la phrase et des gérondifs à ne plus en finir.
Donc en titre de conclusion ce roman est une très belle pièce d'antiquité, dont l'évocation au cours d'un dîner en ville tombera comme un cheveu sur la soupe et vous fera passer pour l'intellectuel décalé de service.
Commenter  J’apprécie          10

Citations et extraits (7) Voir plus Ajouter une citation
Les amibes grisâtres, lançant des tentacules, se traînaient de toutes leurs forces vers la bande rouge et là, comme par miracle, revivaient. C'était comme si une force mystérieuse leur avait insufflé le souffle de vie. Elles glissaient en masses compactes et luttaient entre elles pour obtenir une place dans le rayon. Là s'y produisait une multiplication littéralement démentielle. Brisant et renversant toutes les lois que Persikov connaissait sur le bout du doigt, elles bourgeonnaient sous ses yeux à la vitesse de l'éclair, éclataient en deux morceaux et chacun des morceaux au bout de deux secondes se transformait en un organisme entièrement neuf. Ces organisme parvenaient en quelques instants à une taille adulte mais c'était pour donner aussitôt le jour à une nouvelle génération. Dans la bande rouge, puis dans le disque tout entier, la place se mit à manquer et l'inévitable combat commença. Les nouveau-nés se jetaient furieusement les uns contre les autres, se mettaient en pièces et s'entre-dévoraient.

(Les Œufs fatidiques, III- Persikov capte le rayon, p22)
Commenter  J’apprécie          230
Les crapauds n'avaient pas plus tôt déserté en masse cette première section des amphibiens (...) qu'émigra vers un mone meilleur le vieux Blaise, gardien inamovible de l'Institut, lequel n'appartenait pas à la catégorie des amphibiens. La cause de sa mort, au reste, fut la même que pour les malheureux batraciens, et Persikov la définit aussitôt d'un mot :
"La malnutrition !"
Le savant avait parfaitement raison : on nourrissait Blaise avec de la farine et les crapauds avec des vers de fairne, et de même que la première était devenue introuvable, de même les seconds avaient eux aussi disparu. Persikov essaya d'effectuer une mutation dans l'alimentation des vingt derniers exemplaires de rainettes en les orientant vers les cafards, mais les cafards eux-mêmes s'étaient mystérieusement évanouis, montrant par là leurs sentiments hostiles au communisme de guerre.
Commenter  J’apprécie          50
" Le professeur Persikov ne lisait pas de journaux, n'allait pas au théâtre. Sa femme s'était enfuie en 1913 avec un ténor de l'opéra Zimine en lui laissant le billet suivant:
- Tes grenouilles m'inspirent d'insurmontables frissons de répulsion. Elles m'ont rendue malheureuse pour le restant de mes jours. "
Commenter  J’apprécie          110
C'est à ce moment-là que les cheveux de Rokk blanchirent. Cela commença par la moitié gauche de son crâne, puis la teinte argentée envahit la totalité de sa chevelure noire comme le jais. En proie à une nausée mortelle, il finit par quitter brusquement le chemin et se mit à courir droit devant lui, à l'aveuglette, en poussant un hurlement affreux qui se propagea à tous les échos.
Commenter  J’apprécie          30
Une faible coloration parut sur les pommettes pâles et non rasées de Persikov.
"Bon, bon, c'est bien, marmotta-t-il.
- Vous acquerrez une célébrité...poursuivit Ivanov. J'en ai la tête qui tourne, Vous comprenez, Vladimir Ipatytch, continua-t-il avec passion, les héros de Wells, à côté de vous, ce sont des enfants...Et moi qui pensais que c'étaient des fables...Vous vous rappelez son "Place aux géants".
- C'est un roman, je crois ?
- Bien sûr, et des plus connus encore !
Commenter  J’apprécie          20

Videos de Mikhaïl Boulgakov (22) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Mikhaïl Boulgakov
Retrouvez les derniers épisodes de la cinquième saison de la P'tite Librairie sur la plateforme france.tv : https://www.france.tv/france-5/la-p-tite-librairie/
N'oubliez pas de vous abonner et d'activer les notifications pour ne rater aucune des vidéos de la P'tite Librairie.
Que faire quand on n'est plus libre de s'exprimer ? Quand des chefs politiques, tout en se déchirant pour le pouvoir, embrigadent, surveillent, intimident, déportent ou exécutent qui bon leur semble ? Réponse dans un roman sublime, un monument de la littérature russe.
« le Maître et Marguerite » de Mikhaïl Boulgakov, dans une nouvelle traduction d'André Marcowicz et Françoise Morvan, c'est aux éditions Inculte.
+ Lire la suite
Dans la catégorie : Littérature russeVoir plus
>Littérature des autres langues>Littératures indo-européennes>Littérature russe (472)
autres livres classés : littérature russeVoir plus
Les plus populaires : Imaginaire Voir plus


Lecteurs (240) Voir plus



Quiz Voir plus

La littérature russe

Lequel de ses écrivains est mort lors d'un duel ?

Tolstoï
Pouchkine
Dostoïevski

10 questions
437 lecteurs ont répondu
Thèmes : littérature russeCréer un quiz sur ce livre

{* *}