Printemps de barges

Bouquin Jérémy – "Printemps de barges" – Pavillon noir / Corsaire éditions (Orléans), 2011 (ISBN 978-2-91784-313-0)

Après "Le nègre du flic" (cf recension), j'ai également relu ce roman policier de ce même auteur, publié chez ce même éditeur. Pour ce qui est justement du travail d'édition, il convient de signaler d'emblée que ce livre est truffé d'erreurs typographiques, de fautes d'orthographe et même d'absurdités syntaxiques qu'un simple passage du correcteur orthographique-grammatical d'un logiciel comme "word" eût aisément repéré, ce qui laisse planer un doute sur les moyens techniques mis en oeuvre par cette société d'édition (qui, certes, ne doit pas rouler sur l'or)...

L'intrigue est cette fois articulée autour d'un schéma classique du genre, à savoir la chasse à l'innocent, organisée par des mafieux suréquipés, qui vont se heurter à la simple bonne volonté d'anciens gauchistes et anarchistes soixante-huitards vieillissant, retrouvant une deuxième jeunesse (nostalgie, nostalgie). L'auteur respecte les canons de ce procédé, et s'en sort plutôt bien.

Il prend pour cadre non seulement la campagne berrichonne, mais plus particulièrement le "Printemps de Bourges", dont il fournit au passage une saine critique (exemple p. 100 "le son était partout, mais la musique nulle part" ou p.107), dénonçant le pur marketing à l'oeuvre dans ce type de manifestation pseudo-marginale pour révoltés d'opérette (d'où le titre un peu lourdingue). Il est tellement rare dans la littérature française de se voir offrir un cadre autre que parisiano-parisien (voire carrément borné au monde germano-pratin) pour ne pas saluer l'effort de l'auteur et de l'éditeur "exerçant en région" comme disent les cultureux branchés qui ne quittent jamais la Tour Eiffel des yeux (ou une autre métropole puant le même conformisme à l'autre bout du monde).

Notons enfin que (dans une moindre mesure que dans "Le nègre du flic"), l'auteur glisse ici et là, discrètement, quelques allusions à la technique de rédaction d'un polar à partir d'un fait divers (exemple pp. 216-217).

Tout ceci est déjà méritoire, certes, mais l'intérêt de ce roman ne se dévoile que vers la fin, même si ce thème principal est présent dès le début du récit.
Un premier aperçu est donné p. 198, la grande explication est fournie comme il se doit dans le chapitre "big brother", dans les pages 253-263 :
- il existe réellement des "fermes de serveurs",
- il existe réellement des sociétés privées les administrant,
- il existe réellement des techniciens chargés de croiser toutes ces données et de les revendre à qui mieux mieux sans s'embarrasser de quelque règle déontologique que ce soit,
- il existe réellement des politicard(e)s inconscient(e)s ou cyniques déléguant à ce type de requin des missions relevant du service public voire de la souveraineté nationale.
Bref, il existe réellement un énorme danger de voir ces gigantesques bases de données servir à échéance plus ou moins brève de moyen de chantage ou de destruction massive.

Deux exemples récents suffisent à illustrer la puissance de ce phénomène.
Avec la complicité des fonctionnaires de Bercy (administrant les bases de données nécessaires) et des juges pétris de bien-pensance nommés plus ou moins directement par le pouvoir en place, les journalistes du "Canard enchaîné" ont su littéralement détruire la candidature de Fillon en quelques heures. Il va de soi que cette opération est répétable contre tout autre politicard(e) de quelque obédience que ce soit. On imagine le tour que ça prendra lorsque les pisse-copies décideront de réellement se demander d'où proviennent les quelques seize millions (constatés par la Cour des comptes... au mois de juillet, en pleine période de vacances béates !) drainés par Macron sur son seul nom dans un délai spectaculairement court pour une campagne électorale magistralement manipulée de bout en bout.
Dans un autre secteur, nos "brillants" scientifiques avides de gloire et de gloriole se sont livrés pieds et poings liés au trust "Elsevier" qui est en mesure non seulement d'imposer des tarifs exorbitants pour leur revendre leurs propres informations (!!!) mais aussi – et surtout – de faire et défaire leur réputation.

Le tout avec la bénédiction des citoyens béats se félicitant de voir leur GPS leur rendre tant et tant de "services", et leur téléphone portable leur offrir tant d'opportunités de rencontrer des "amis" pour constituer des "réseaux sociaux" (là, on atteint des sommets de flagornerie) tant prisés par les journaleuses et journaleux de tout bord.

Comme il semble bien maîtriser ce sujet, il est à souhaiter que l'auteur reprenne sa plume en en faisant cette fois le centre d'une intrigue aussi bien menée.
Au final, une lecture plaisante, pour un sujet hautement sensible.

Marco Ranucci, dit le typographe, est un ancien des Brigades rouges. Son ami Pépé, vieil anarchiste espagnol, le contacte pour qu'il protège un de ses filleuls, Alex. Marco emmène le jeune homme en voiture à travers le Berry pour le mettre en sécurité tandis qu'un groupe militaire privé est lancé à leur poursuite.
Réalisateur, scénariste de BD, Jeremy Bouquin originaire de Nevers et il nous livre ici son premier polar. Et quel premier polar ! Ce jeune homme a déjà tout d'un grand : Un style efficace, une écriture rythmée, une intrigue bien faite. Et je rajouterai une histoire originale et un scénario tiré au cordeau. Un joli coup d'essai. Moi je dis bravo l'artiste
Lien : https://collectifpolar.com/