Les trois coups résonnent, et le rideau se lève.
Acte I - 1909. L'odeur de la poudre finit de se disperser, sur cette frontière franco-germanique kaléidoscopique. La vie a repris, sans se douter que le rideau retombera bientôt.
Alors que bruissent les claquements de sabots dans les rues humides de Nancy, un vélo se faufile, dirigé par une femme en avance sur son temps. Une journaliste (donc une femme déviante ?) exerçant au sein d'un journal qui lui laisse la part belle pour seduire les ménagères par des faits divers poisseux.
Acte II - Cela tombe à pic,
Jeanne Weber est internée à l'asile psychiatrique, après avoir étouffé un enfant. Cette femme est folle, une pauvre fille, une prostituée égarée, droguée. Mais le fait divers est sordide : elle a enfoncé un mouchoir ensanglanté dans la gorge du garçon. de quoi glacer les lecteurs, mais de leur permettre surtout de ne pas lacher les pages noircies de caractères et de photos portraits, ancêtres des journaux spécialisés en faits divers.
Mais qui est précisément cette femme, et qui est cet homme qui lui rend visite à l'asile ?
Acte III - un mystérieux anglais se faufile dans le parloir face à Jeanne. Il porte un chapeau melon et fume la pipe. Et il enquête. Il n'en faut pas plus à Suzanne, notre intrépide journaliste, pour en deduire que
Sherlock Holmes a posé ses valises en Lorraine.
"- Ce mouchoir. Ce détail m'a permis d'établir que
Jeanne Weber n'était pas la tueuse que d'un seul petit être. Que tout cela dépassait le coup d'un simple coup de folie, de la naïveté qu'on veut bien faire croire. Cette femme est bien pire que ça. Elle est en prise à une forme de prédation, une forme d'habitude criminelle. Elle est ce que j'appelle «une criminelle par répétition ».
Je n'y comprenais plus rien.
- On parle d'une femme, une prostituée, alcoolique, certainement battue, une idiote, gentille bonniche un temps, nourrice, garde d'enfants.
Je faisais juste le point sur son passif. Cette femme, pour moi, comme aux yeux de certains enquêteurs, n'était que la conséquence funeste de la médiocrité et de la pauvreté. Une victime autant qu'une coupable. Folle, par les hommes. L'usage des drogues, de l'alcool, elle avait grillé ce qui lui restait de son âme.
- Cette femme a tué ce gosse, dans une auberge. Un fait divers comme il s'en passe des dizaines tous les jours, Comme ces gueux oubliant les gamins dans des bois, ou ces manouches qui les vendent à des gargotes pour des chirurgiens. Ces gamines qu'on retrouve dans les bas quartiers, vendues pour du tapin, d'autres désesperées tuant le rejeton débile mental. Ou le fils un peu idiot qui étripe la vieille maman. Des crimes odieux, il y en a tellement.
C'était si fréquent.
L'homme n'était qu'un prédateur, un animal. Des violences des rues à celles des champs de bataille, tout cela était inné.
- Je vous parle de prédation, s'énervait-il.
Holmes semblait tenir à sa théorie.
- Un schéma.
Jeanne Weber obéit à un schéma, un trouble puissant, une forme de rituel. Son interpellation ainsi que son internement à l'asile sont une opportunité !"
Acte IV - la Lorraine livre ses légendes, et son croque-mitaine local, le Craqueuhhe, ressort mâché par la bouche de la folle.
Mais quel rapport entre sa route meurtrière et ce nom de Jaulny ?
Le couple improbable sa lance dans une enquête dont le secret donne le ton à un rythme endiablé ! de fuites en courses poursuites, les deductions fines du célèbre enquêteur échappent parfois à Suzanne. Et donc au lecteur.
Acte V - les indices se combinent et le résultat s'offre à nos yeux, grâce au mythique détective, qui, pour être admiré par l'auteur, n'en est pas pour autant épargné :
Sherlock Holmes perd sa cape de héros de papier, et prend le souffle d'un personnage en trois dimensions.
Le cadre est extrêmement original, et la reussite est complète pour l'immersion dans un univers historique d'un entre-deux qui s'ignore encore. La naissance de la criminalistique et des tueurs en série, le placement d'un personnage passionnant hors de sa zone de confort, et un rythme vif et captivant pour un roman facilement transposable sur une scene de théâtre, dans lequel vous malmèneriez les accoudoirs,
Jérémy Bouquin le prouve une nouvelle fois (s'il le fallait vraiment), tous les styles lui collent à la plume ! Sa crédibilité est totale, une fois de plus, et je me prends à espérer que le format du titre de ce cosy mystery en presage bien des suites !