Ce livre est un OLNI – Objet Littéraire Non identifié. Ce livre surprend par sa forme. de prime abord, on dirait un recueil de poésies : sur chaque page, une seule strophe, écrite sans ponctuation, composée de quelques lignes (généralement 8 ou 9), parfois composées d'un seul mot. Lors des 8 dernières pages, le texte est aligné au centre et non plus sur la marge de gauche. Mais ce n'est pas vraiment de la poésie. Découpé en 10 chapitres, le livre retrace de manière probablement autobiographique le parcours de lecteur, de l'enfance à l'adolescence, qui a construit l'écrivain d'aujourd'hui.
La quatrième de couverture annonce qu'il s'agit d'un hommage à la littérature. En effet Patrick Bouvet utilise la technique du collage pour incorporer dans son texte des extraits tirés de différents auteurs, venus du monde de la science-fiction comme
H.G. Wells ou de la littérature expérimentale comme
J.G. Ballard ou W. Burroughs. A vrai dire, cet hommage dépasse celui rendu à la littérature car Bouvet colle aussi des fragments de production triviale extraits de la presse populaire : la une de Spéciale Dernière (journal qui dans les années 70 était spécialisé non seulement dans les courses hippiques mais aussi dans les faits divers hyperboliques) ou encore des passages trouvés dans un roman photo de Nous Deux. L'hommage s'adresse ainsi à toutes formes de lecture et à au fond à toutes formes de récit, en particulier ceux venus des parents. Par un subtil système de résonnance et d'écho, le chapitre dans lequel s'incorpore les extraits du roman photo est celui où Patrick Bouvet évoque les douloureux souvenirs d'enfance de sa mère.
Ce livre est finalement une introspection. La lecture est d'abord la source d'acquisition de la langue. Imperceptiblement Patrick Bouvet montre comment le vocabulaire de l'enfant s'enrichit au contact du mot écrit et prend sens. Au-delà de cet apprentissage, les lectures et les récits d'origine aussi diverse soient-ils sont les matériaux dont l'auteur s'est servi pour se construire. La lecture crée un oubli de soi propice à la création d'un imaginaire, du développement d'une sensibilité, d'un ‘livre du dedans' qui en fin de compte vient enrichir la personnalité du lecteur et sa relation au monde. Cette dernière est à la fois une tentative de décrypter quelque chose de tellement vaste que jamais la connaissance ne peut en venir à bout mais aussi une construction personnelle d'un monde extérieur finalement pas moins faux que le vrai monde.
Patrick Bouvet réussit avec une grande économie de moyens (moins de 120 pages peu remplies) à développer un propos qui dépasse le parcours autobiographique pour aboutir à une évocation très riche du pouvoir des mots dans la construction de soi.