L'ouvrage porte sur le processus de décomposition de la paysannerie, des valeurs liées à la "virilité", de la notion du "pater familias" et de la pratique du christianisme en France. L'auteur s'appuie sur de nombreux exemples et références littéraires et cinématographiques et il y a beaucoup à y apprendre à la lecture. L'essayiste s'abstient de commentaires personnels, de jugements de valeur et c'est important parce que son écrit induit beaucoup de questionnements. La seule fois où il s'autorise à tirer une conclusion est une erreur selon moi. Au début du livre, il interprète le concert des casseroles à 20h en période de confinement à une manifestation de valeurs obsolètes: l'entraide, la solidarité, la gratuité des services et des gestes. On pourrait tout aussi bien y voir l'expression d'une "servitude volontaire" à la pensée unique véhiculée par la télévision au sujet d'une pandémie qui, somme toute, comme le dit l'auteur lui-même n'aura pas causé tant de dégâts que cela. Pour ma part, j'ai trouvé le traitement de la perte d'audience du catholicisme beaucoup trop longue (250 pages sur 490) et sujette à des redites sous d'autres formes. Je me permets de suggérer aux lecteurs d'avoir bien présent à l'esprit, pour éviter toute connotation préoccupante aux questionnements qu'il ne manquera pas d'avoir au fil des pages, qu'il est dans la nature de l'homme occidental de toujours changer les choses sous couvert de "progrès", d'"évolution" toujours présentés pour le meilleur, bien entendu, et qui, invariablement, profite au Capital...
Commenter  J’apprécie         270
La France du vide
Une hécatombe silencieuse, une mort par asphyxie, une saignée ininterrompue : les images se bousculent, aucune n'est véritablement appropriée pour rendre compte du phénomène. En trente ans, de 1946 à 1975, l'agriculture française à perdu les trois quarts de ses effectifs. En trente ans, la population active agricole est passée de 7,5 millions à 2,1 millions et la main-d'oeuvre masculine a été divisée par trois, celle des femmes par six. Au-delà du bilan chiffré, Jean Giono y a vu l'oeuvre d'un implacable tri sélectif : « Si je fais une différence entre le paysan et le reste de l'humanité, c'est qu'à ce moment le départ s'est fait entre ceux qui voulaient vivre naturellement et ceux qui désiraient une vie artificielle. »
Une double mobilité caractérise alors ce vaste mouvement de déprise humaine et le différencie des périodes antérieures : d'une part les migrations intrarurales dans un périmètre réduit qui bénéficient aux petites villes et aux bourgs des campagnes, d'autre part un exode plus classique à destination des grandes villes ou des villes moyennes. A l'intérieur même de ces flux, les migrations rurales qui touchent les ouvriers d'usine, les employés, les commerçants et artisans se superposent aux migrations proprement agricoles qui concernent exclusivement les travailleurs de la terre pour faire du dépeuplement un processus complexe d'éloignements ou de glissements successifs.
Tout se conjugue, à partir du début des années soixante, pour lui donner une ampleur inédite : la crise de l'exploitation familiale écartelée entre la force de la tradition, qui impose à l'aîné de succéder au père à la tête de l'entreprise, et le désir de promotion qui entraîne les fils vers les métiers urbains aux revenus plus élevés et plus réguliers, la modernisation des méthodes de travail et une productivité toujours croissante qui suppriment, en l'espace de vingt ans, les deux tiers des emplois de salariés agricoles, les départs précipités à la retraite dont le mouvement est declenché par la loi d'orientation d'août 1962 instituant, dans le cadre d'une «politique des structures », avec l'indemnité viagére de départ (IVD), un supplément de retraite pour les cultivateurs agés à condition qu'ils consentent à céder leur domaine sous certaines modalités. Enfin, la loi qui porte à seize ans la scolarité obligatoire, en s'appliquant aux enfants nés en 1953, est devenue pleinement opératoire à partir de 1967. Elle va fournir les gros bataillons de l'émigration-promotion des jeunes diplômés dont les effets se cumulent avec l'émigration, plus ancienne, des pauvres et des déshérités.
Pour comprendre l’élection du plus jeune président de notre histoire, il fallait revenir un demi-siècle en arrière au moment où, selon le schéma d’Hirschman, l’histoire avait changé de cycle. Tout s’était passé en l’espace de quinze ans, ces quinze années qui couraient entre 1960 et 1975 jusqu’à épuisement des « Trente Glorieuses ». Là était la matrice à partir de laquelle il devenait possible d’identifier les césures, d’inventorier les grandes fractures et de nommer enfin les origines de la crise que nous vivions. À savoir : le krach de la foi, la destruction programmée du catholicisme rituel et festif, l’effondrement du monothéisme et, avec lui, la fin du monde des hommes, l’offensive libertaire contre la verticalité et le « nom du père » comme principe d’autorité, la destitution biologique, juridique et sociale de la paternité, le changement d’attitude devant la vie, l’érosion irrésistible des fondements de la domination masculine, la promotion du droit au bonheur individuel contre la stabilité et la pérennité des familles, le sexe comme ersatz de l’amour, la prévalence du désir sur le devoir, l’invention du corps comme projet narcissique, la mode en tant que « liberté de l’uniforme » et tenue de sortie des nouveaux conformismes, l’exhibition comme défi à la pudeur ancestrale, la licence pour liberté, l’imposition par l’industrie naissante du divertissement d’une culture de masse étrangère aux traditions populaires, la rage improductive des jeunes « rebelles » convertie en décibels et en source de profits, l’ethnocide bienveillant des campagnes, la terre livrée à une intensive exploitation chimique, l’économique comme réenchantement du monde et l’homo oeconomicus en tant que modèle achevé de l’aventure humaine, la préférence pour l’immédiat aux dépens du long terme, l’éthique pour morale, la marchandise et le discours publicitaire en guise d’eschatologie, le marché et la consommation pour fins dernières.
Au terme du formidable développement économique qui caractérise la période, la société française est devenue méconnaissable. Les Français, toutes catégories confondues, se sont considérablement enrichis, mais toute une culture de la dette, du devoir et du sacrifice à plus haut ou plus grand que soi est en passe de s’éteindre. Certes, il y a encore des mères pour se dévouer entièrement à leur famille et à leurs enfants, des pères qui poussent l’abnégation jusqu’à l’héroïsme, des fils et des filles pour prendre en charge leurs vieux parents, des chefs pour exiger davantage d’eux-mêmes que de leurs subordonnés ; autant de chromos placés sous le signe des vertus chrétiennes ou des anciennes normes sociales. Mais il y a aussi plus de familles désunies et plus d’unions rompues, plus de crèches et d’hospices pour accueillir les deux bouts de la vie, plus de contestataires dans les facultés et d’insoumis à la conscription, plus de réfractaires à l’autorité, d’où qu’elle vienne.
Tous les anthropologues font débuter l'histoire de l'humanité aux premières sépultures. L'homme devient humain à partir du moment où il consent à l'indémontrable, du jour où, ayant acquis une conscience douloureuse de sa finitude, il décide de changer cet événement biologique qu'est la mort en événement spirituel. En l'espace d'à peine deux décennies, la modernité lui a fait emprunter le chemin inverse. Et ce chemin ouvre une béance. Dans l'oubli de la mort, l'homme ne se sépare-t-il pas de lui-même? Ne met-il pas de côté son humanité?
La pandémie de la Covid-19 aura fait en France environ 65000 morts en 2020. Soit une surmortalité de 9% par rapport à 2019. Sans doute les historiens s'interrogeront-ils devant le désarroi si ce n'est la panique qui se sont emparés des pouvoirs publics et d'une grande partie de la population face à un phénomène aux effets, somme toute, limités, sans commune mesure en tout cas avec les grands fléaux qui avaient jusque-là accablé l'humanité.
(incipit)
En bref, nul n'était plus exclu de la possibilité du salut éternel et les bénéfices de l'affiliation à l'Eglise visible se trouvaient, du même coup, quasiment réduits à néant. On pouvait être sauvé sans appartenir à la maison Dieu via sa filiale romaine. A la stupéfaction de très nombreux fidèles, la divine Providence semblait abandonner l'enseigne évangélique du "beaucoup d'appelés, mais peu d'élus" ( cf. Ma 22,14 ) pour s'offrir une licence d'open bar.
La société française et ses valeurs ont-elles été détruites par la modernité ? C'est la thèse de « La fin du monde », livre publié chez Albin Michel, dans lequel Patrick Buisson assure que la France catholique et paysanne s'est désagrégée au profit du libéralisme social et économique.
Du concile Vatican II en 1965 aux événements de Mai 68, Patrick Buisson fait l'éloge d'une France forte de valeurs chrétiennes, patriarcales et communautaires, et se désole de les voir progressivement mises à mal pêle-mêle par la modernité, le féminisme ou la technologie.
Une condamnation du progrès social qui a parcouru la deuxième moitié du XXe siècle, de l'élévation du niveau de vie des Français, aux avancées du droit des femmes, à laquelle Marlène Schiappa répond en deuxième partie d'émission.
L'invité des Matins de France Culture.
Comprendre le monde c'est déjà le transformer(07h40 - 08h00 - 20 Mai 2021)
Retrouvez tous les invités de Guillaume Erner sur www.franceculture.fr
+ Lire la suite