"
Contes de la folie ordinaire" fut mon initiation à
Charles Bukowski. Un baptême réussi à la découverte d'un univers où tout va mal, où le sens de la vie est douteux, mais un univers bien vivant malgré tout. La vision sombre du monde et de l'humanité de
Bukowski le relègue dans les couches sociales les plus marginales et trouve dans l'alcool et le sexe débridé le seul antidote au désespoir. Mais le lascar dévale vers l'autodestruction avec une énergie vitale impressionnante. Et dans ces nouvelles, j'ai aimé cette association de réalisme sombre qui donne envie de pleurer et de force brute qui m'a fait rire ou sourire.
Le style de
Bukowski n'a rien d'élégant, il n'est ni raffiné ni érudit. Il est vulgaire, proche de l'oral, franc et au plus près des émotions brutes. « Le style est un bon outil pour dire ce que tu as à dire, mais quand tu n'as plus rien à dire, le style est une pine qui bande mou devant le con mirobolant de l'univers », écrit-il à un ami. Il n'a aucun problème à décrire en détail des situations ambiguës ou embarrassantes qui feraient honte à la plupart d'entre nous. Des situations qui sont à bien des égards autobiographiques, les personnages étant l'auteur lui-même ou un de ses avatars.
Dans ce recueil, les nouvelles ont beau se distinguer les unes des autres, elles possèdent un refrain commun :
Bukowski, Buk, Hank, ou quel que soit le nom qu'on lui donne, est un paria alcoolique qui occupe un emploi subalterne et se débat avec ses frustrations sexuelles et sa vie instinctive. Il passe ses journées à boire de la bière ou du vin bon marché, à jouer (et perdre) aux courses, à courtiser des prostituées et à critiquer la société et les hommes. Cette ritournelle pourrait être ennuyeuse à la longue, mais la marginalité des personnages, leur bouillonnement, la plume acide de l'auteur, son style cru, son humour caustique et des répliques mémorables ont nourri ma curiosité de lecteur et excité mon intérêt.
J'avoue avoir été étonné plus d'une fois par l'absurdité, l'étrangeté et le manque de filtres dans l'écriture, et ce n'est certainement pas un livre facile à digérer. Mais il faut lire entre les lignes et comprendre que
Bukowski n'avait pas d'autre intention que celle de briser la vision hypocrite de la société américaine du milieu du XXe siècle, la désillusion rampante et le manque de perspectives provoqués par les nombreuses guerres et crises qui se succédaient dans ces années-là.
Certes, ce n'est pas un auteur qui plaira à tout le monde, trop indigeste, trop grossier, trop cynique, trop exhibitionniste. Mais personne n'écrit comme lui. L'attrait de son écriture réside certainement dans sa simplicité. Si quelque chose sent la merde, il l'écrit. S'il est trop bourré pour avoir une érection, il l'écrit. S'il parvient à s'envoyer en l'air, il l'écrit. Et s'il se retrouve en prison en raison d'une énième interpellation pour état d'ivresse, il l'écrit aussi.
Bukowski ne se cache pas derrière ses mots et n'a pas peur d'écrire ce qu'il ressent. Il est capable d'observer le monde, de s'en moquer et de rire de lui-même en même temps. Il mérite une petite chance de la part de tous, juste pour sa façon sincère, vivante et désenchantée, mais pas déprimée de raconter la vie.